Au Sénégal, plus rien ne va à la Poste, depuis quelques temps. Pour les travailleurs dont le salaire est domicilié au Centre des chèques postaux, c’est la croix et la bannière pour espérer empocher son dû, après un mois de labeur. Les retraités dont la pension transite par la Poste ne sont pas épargnés puisqu’ils sont beaucoup plus dans la tourmente.
Vendredi 29 juillet 2022, il est 12h46 précises devant le service de Poste Finances de la ville de Thiès. On se croirait au village, où après les travaux champêtres, les hommes se retrouvent sous l’arbre à palabre, en train d’échanger sur diverses questions de leur localité. Entre autres questions habituelles, des discussions sur des méthodes de cultiver, des difficultés rencontrées dans les champs, la pluviométrie, d’éventuels mariages à sceller et les démarches à effectuer, des familles à réconcilier après une brouille, des rendez-vous à honorer… Mais ici, devant le bureau de Poste, il est plutôt question de salaire pour justifier les chaises sous les arbres. Plus précisément de pension de retraite.
«Nous ne savons plus où donner de la tête. Cela fait trois jours que je fais la navette entre mon domicile et ici, juste pour empocher ma pension de retraite. En vain», nous confie ce septuagénaire, drapé d’un boubou bleu ciel, bonnet de couleur bleue foncée, à peine posé sur le crâne. Une tête déjà bien remplie de soucis, car dit-il, il doit «faire face à des dépenses urgentes. Et je ne suis pas le seul dans cette situation. Tous ceux que vous voyez ici sont dans la même situation que moi. Ils veulent leur dû alors qu’à l’intérieur, on ne nous dit rien de clair au sujet des paiements de nos maigres pensions».
«Nous sommes habitués à ce genre de situation»
En fasse de la chaussée, ils sont une trentaine de vieillards, des septuagénaires, des octogénaires et même des nonagénaires. Tous ont un même souci : faire en sorte d’empocher leurs sous. Dans l’enceinte de la Poste, ils sont autant en train de guetter le moindre mouvement notamment des recettes de fonds. «On nous a dit que d’un moment à l’autre, les fonds qu’ils attendent vont arriver. Hier, c’était pareil. Mais nous sommes habitués à ce genre de situation. Assez souvent, c’est au bout même d’une semaine d’attente que nous percevons notre pension. Ce n’est pas intéressant».
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A l’intérieur, c’est un calme relatif, avec quelques agents en mouvement, alors que certains sont sur leur téléphone, en train de répondre à un appel, un SMS ou un message WhatsApp. Le directeur est parti en congé, il a laissé un suppléant, qui préfère ne pas se prononcer sur la question. De peur d’être sanctionné ? Difficile de confirmer. Un employé accepte d’évoquer la situation qu’il juge difficile. «Face à une telle demande, notamment de personnes âgées, nous sommes très peinés. Ça fait mal au cœur de les voir ainsi. Heureusement qu’ils comprennent la situation qui commence à durer», confie notre interlocuteur.
Revenir la semaine prochaine et espérer se faire payer
Certains qui ont perdu patience après plusieurs allers et retours, ont fini par se décourager et décident de rentrer chez eux. «Il vaut mieux revenir la semaine prochaine et espérer se faire payer. On risque de passer un week-end difficile, sans le sou», fulmine cette dame venue récupérer la pension alimentaire laissée par son défunt mari. «Je pense que je vais faire comme vous madame», lance un autre vieux, environ 75 ans, les cheveux tout blancs, barbu à souhait et visiblement très moqueur. Il a eu en effet le temps de taquiner ses pairs retraités en les traitant de capitalistes. «Vous aimez trop l’argent. Vous êtes de vrais capitalistes. Rentrez chez vous !», lance-t-il, déclenchant moult commentaires
L’homme venait de détendre l’atmosphère avant d’arrêter un taxi qui l’embarque vers son domicile. Comme ceux qui étaient déjà rentrés avant lui, il devra se pointer à la Poste lundi matin, à la première heure, espérant enfin empocher sa pension, pour «aller gâter mes petits-enfants», nous avait-il auparavant confié, quant à la destination de sa pension de cheminot à la retraite. D’autres, beaucoup plus dans le besoin, attendent leur dû pour se payer, qui du riz, de l’huile et du sucre, qui d’autres pour régler la facture d’eau ou d’électricité.
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