Le Bénin fêtait le 1er août le cinquantenaire de son indépendance. La veille, à Paris, Albert Agossou, l’ambassadeur du pays, en France, organisait une rencontre avec la diaspora pour fêter l’événement, débattre et présenter Liane, un magazine qu’il a créé afin de tisser un lien plus fort entre les Béninois vivant dans l’Hexagone. Sur les objectifs de cette nouvelle publication, les incidents qui ont émaillé les commémorations au Bénin et le bilan des cinquante années écoulées, M. Agossou a répondu à nos questions.
En poste à Paris depuis mai 2008, Albert Agossou est à l’aise dans son costume d’ambassadeur. Diplomate de carrière, ce natif de Porto-Novo, la capitale politique du Bénin, a longuement servi à Washington et Bruxelles. En 2006, à l’avènement de l’actuel président Yayi Boni, il a été nommé ministre délégué chargé de l’Intégration africaine et des Béninois de l’extérieur auprès du ministre des Affaires étrangères, avant d’occuper ses nouvelles fonctions. Pour le cinquantenaire de l’indépendance, il a dévoilé Liane, un magazine créé sous son impulsion et diffusé par l’ambassade. A Paris, la commémoration officielle s’est déroulée dans la sérénité. Mais, au Bénin, l’affaire ICC Services, qui porte sur le chef de l’Etat des soupçons de corruption, a créé de nombreux remous.
Afrik.com : Un incident a entaché la commémoration du cinquantenaire de l’indépendance du Bénin. L’interruption pendant 14 heures des programmes de RFI, parce que la radio traitait largement de la mise en accusation du président Yayi Boni, par l’opposition, dans l’affaire ICC Services. Cette mesure a dû être embarrassante pour vous, ambassadeur en France. Ne la trouvez-vous pas exagérée ?
Albert Agossou : Comme vous, j’ai eu l’information. Je n’en sais pas plus que vous. Je sais cependant que la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication, qui est en charge de ce dossier, a joué son rôle. Elle a convoqué la correspondante de RFI pour qu’elle s’explique. RFI a recommencé à émettre, c’est le plus important. Les choses sont rentrées dans l’ordre. Que la collaboration entre le Bénin et RFI se poursuive, c’est une satisfaction pour moi. RFI est un grand organe que je respecte.
Afrik.com : L’affaire ICC services a largement éclaboussé la commémoration. Ce cinquantenaire de l’indépendance méritait-il d’être fêté ?
Albert Agossou : Mais bien sûr ! Cinquante ans dans la vie d’un homme, ça se fête. Il est important de marquer le coup, de mesurer le chemin parcouru. Porto-Novo, la capitale politique du pays, a abrité les festivités. Nous avons aussi célébré le cinquantenaire, le samedi 31 juillet, ici à Paris, où nous avons rassemblé la diaspora dans la ferveur. Et nous espérons pouvoir célébrer le centenaire avec la même ferveur !
Afrik.com : Qu’avez vous fait à Paris, avec la diaspora ?
Albert Agossou : Nous avons organisé une table ronde sur le plateau de la télévision LC2, sur le thème de la diaspora béninoise et son rôle dans le développement du pays. Elle a réuni des membres de l’ambassade, notre délégation à l’Unesco, le consulat général, notre ambassadeur à Bruxelles et des membres de la diaspora représentant le Haut conseil des Béninois à l’extérieur, l’Union des Béninois de France, l’Union des professionnels et acteurs de santé…
Afrik.com : Nombreux sont les Béninois, et en particulier les diplômés, qui sont partis s’installer en Occident. Pensez-vous qu’ils doivent revenir pour contribuer au développement de leur pays ?
Albert Agossou : Beaucoup sont partis pour plusieurs raisons, mais ils n’ont jamais coupé le cordon ombilical. Ils n’ont jamais cessé d’apporter leur contribution. Il s’agit maintenant de canaliser ces flux financiers à travers des projets qui contribuent au développement économique du pays, d’alléger le fardeau des populations. Le retour des membres de la diaspora n’est pas impératif, mais il peut être profitable s’il permet le développement. Nous avons signé une convention France –Bénin en novembre 2007 (Accords de gestion concertées de flux migratoires, signé le 27 novembre 2007, ndlr), qui intéresse en particulier les Béninois porteurs de projets novateurs. S’ils réussissent, cela favorise leur retour. L’objectif de cette convention n’est pas de faire rentrer les Béninois au pays par wagons entiers. Je tiens à rassurer les membres de la diaspora sur ce point. Le retour se fait sur la base de ces projets et de leur réussite. Il y a eu beaucoup d’incompréhension et de méprises chez nos compatriotes au sujet de cette convention. Ils doivent savoir qu’elle a été mûrement réfléchie et négociée avec le gouvernement français. Elle n’a pas été signée au détriment de nos compatriotes.
Afrik.com : Vous venez de créer un journal baptisé Liane. Pourquoi ?
Albert Agossou : Le titre de ce magazine en dit long sur ses objectifs. Il se veut être un lien, un ciment entre les Béninois de France. Depuis que je suis arrivé à ce poste d’ambassadeur, j’ai constaté la nécessité de le créer. L’idée n’est pas d’éliminer les associations déjà existantes, car notre objectif est le même que le leur : favoriser le mieux-être des Béninois de l’extérieur, leur faire dire ce qu’ils pensent d’eux-mêmes et de leur pays. C’est une publication apolitique. L’on peut tout dire, dans la mesure où cela concourt au consensus et à réunir davantage les Béninois. Liane a été lancé samedi (31 juillet 2010), lors de la commémoration du cinquantenaire que nous avons organisée samedi, à Paris. Il est réalisé par l’agence Public métis, et en tant que directeur de publication, j’en valide le contenu. C’est un trimestriel, qui va à la rencontre des Béninois de chaque ville de France.
Afrik.com : Pourquoi avoir choisi de commencer par Bordeaux ?
Albert Agossou : Parce que notre premier déplacement s’est fait à Bordeaux. Nous y avons reçu un bon accueil. D’autre part, Bordeaux a un passé, la traite, qui la lie à l’Afrique, et c’est une ville universitaire qui accueille beaucoup de Béninois. Mais nous aurions aussi pu commencer par Lyon ou Marseille. Liane n’est pas seulement le magazine des Béninois de Paris. Nous ne voulions pas faire un journal parisien. La diaspora qui vit dans les autres villes compte aussi.
Afrik.com : Quel regard portez-vous sur le Bénin après cinquante ans d’indépendance.
Albert Agossou : Cinquante ans après, le Bénin a fait une avancée extraordinaire, tout au moins sur le plan politique. Après l’indépendance, jusqu’en 1972, le pays a connu de multiples coups d’Etat. 1972-1990 a été une période d’accalmie, 18 ans de marxisme-léninisme. Puis, tous les paramètres mis en place ont marqué des faiblesses. En 1990, a donc été organisée la Conférence des forces vives de la Nation, qui a réuni les forces politiques, les armées, la société civile, et qui a débouché sur le renouveau démocratique. Depuis, la démocratie fait son petit bonhomme de chemin. Il y a désormais une Cour suprême, une Haute cour de justice, un Parlement élu sur une base périodique de quatre ans, une Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication, un Conseil économique et social. Il y a aussi, depuis deux ans, la Médiation de la République qui, comme l’ombudsman dans les pays scandinaves, aide à régler les problèmes des citoyens qui se sentent lésés par l’administration. Des instances ont été mises en place, et elles fonctionnent à la satisfaction de tout le monde. Les élections législatives se déroulent tous les quatre ans, les présidentielles tous les cinq ans. Elles se déroulent normalement. Nous nous acheminons vers des élections cruciales l’année prochaine…
Afrik.com : Des élections qui s’annoncent tendues, au regard des attaques musclées de l’opposition contre le président en place…
Albert Agossou : L’opposition est dans son rôle. Ca donne tout son sens à la démocratie.
Afrik.com : Si vous ne deviez retenir qu’un événement marquant depuis la proclamation de l’indépendance du Bénin. Quel serait-il ?
Albert Agossou : La Conférence des forces vives de la Nation, en 1990. C’est la date charnière. Tous les Béninois se sont retrouvés, pro ou prou, dans cette conférence. Pro ou prou, parce qu’il est normal, dans une démocratie, qu’il y ait des discordances.
Le site du magazine Liane