Créer son espace de liberté en prison


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Ancien journaliste à Médi1 de 1981 à 1989, Sami El Jaï a passé au préalable 13 ans au journal L’Opinion, puis il a été condamné en 1989 à 20 ans de prison. En 2001, libéré après 12 ans de détention de « travaux pas forcés mais agréables ». Actuellement, il est journaliste à 2M. Témoignages de 12 ans de détention. Il revient sur l’incendie de la prison de Jedida qui a fait 50 morts, il y a plus de deux semaines.

En tant que ex-détenu, que vous inspire le drame de la prison de Sidi Moussa?

Sami El Jaï: Nous sommes sur un terrain dangereux, mais il y a des choses qui doivent être dites. C’est la conséquence de la petite corruption. Il faut dire qu’il y a trop de corruption et de laisser-aller dans les prisons. Résultats: trop de morts. Le drame survenu est également la résultante de la volonté de mieux faire de l’administration pénitentiaire. Le Maroc ne se donne jamais les moyens de sa politique. On annonce d’excellentes idées, mais on n’assure ni les moyens de maintenance, ni de contrôle de sécurité, de la corruption… Tout d’abord, il faut savoir que la nourriture servie aux détenus est presque infecte. La corruption s’est installée pour des détenus qui ont les moyens. Ce qui fait qu’il y en a qui peuvent avoir des réchauds. Il y a un énorme trafic à l’intérieur des prisons. Un simple réchaud de 100 dirhams (DH) est payé au fonctionnaire à 500 DH en plus des droits d’utilisation, 50 DH par semaine qu’on paie chaque vendredi au dit fonctionnaire. En cas de fouille, le réchaud est confisqué par le même fonctionnaire qui le revend, c’est une véritable mine d’or.

Qu’est-ce qui justifie la présence des réchauds au sein des cellules?

C’est l’alimentation. Dans la prison de Tanger, nous avons eu des entretiens avec l’administration pour la généralisation des réchauds. Et pour cause, l’absence de budget pour l’alimentation. A Tanger, l’administration avait compris que ce sont les familles qui devraient prendre en charge l’alimentation des détenus en prison. Ces derniers ont un minimum vital avec un énorme déficit en protéines… Au menu: soupe avec beaucoup d’eau, quelques féculents, un pain par jour et… un oeuf par semaine. A titre d’exemple, un détenu de 80 kg qui ne mange que la nourriture de la prison peut perdre 20 kg en deux ans. C’est ce qui fait que les familles amènent des plats cuisinés, mais aussi des légumes pour cuisiner. Les détenus s’associent en groupes qui s’élargissent pour assurer la continuité durant la semaine selon le jour de la visite.

Selon vous, quelles peuvent être les causes de l’incendie?

C’est simple, on autorise les réchauds, c’est très bien. D’ailleurs, on ne peut plus les interdire. Mais l’électricité devrait suivre. Il faut des câblages encastrés dans les murs, des prises. Dans les cellules, les câbles sont partout en guise de source d’électricité pour la lecture, les réchauds et les radiocassettes. En prison, la musique est encore plus vitale que la nourriture. Il en est de même que les infos. Ainsi, des câbles, en mauvais état, serpentent partout dans les cellules. Il y a la part de responsabilité des détenus qui bricolent les fils et l’électricité; nous sommes irresponsables quelque part. Les détenus doivent gérer leur sécurité et assurer leur propre responsabilité. Il ne faut pas toujours rejeter les responsabilités sur l’Etat. En fait, les torts sont partagés. Je pense également qu’à El Jadida, les 50 morts ont fait les frais de la petite corruption également des fonctionnaires. Il faut gérer les urgences, parce que la vie des êtres est en jeu.

D’après votre expérience, que faut-il faire dans l’immédiat pour éviter que cela ne se reproduise?

– Les prisons sont très mal conçues. On doit démissionner si on est incapable de gérer les crises. Pourquoi on n’installe pas un système d’ouverture électrique avec caméras de surveillance et détecteurs de fumée. A ce moment-là, nous aurons besoin de moins de fonctionnaires et on peut réagir vite. Il y a même des micros qu’on devrait installer dans les cellules pour entendre les gens crier, se plaindre… Avec ce système, il y aurait peut-être des morts mais pas autant. Il faut savoir gérer le prévisible. Sinon, on va vers la catastrophe. Le Maroc va, dans pas mal de choses, vers des catastrophes annoncées. Pour ce qui se passe dans les prisons, ce n’est pas une fatalité.

On parle de plus en plus d’humaniser les établissements pénitentiaires au Maroc? Mais les résultats tardent à se faire sentir?

Tout n’est pas noir. Il faut dire que les salaires des fonctionnaires n’arrangent pas les choses. Eux aussi, ils sont prisonniers quelque part. En France, il y a des psychologues qui viennent en aide aux fonctionnaires. La plupart sont obligés d’être corrompus. Il faut pas oublier que ce sont des fonctionnaires paramilitaires. Autrement dit, pas de droit à la grève, pas le droit de s’exprimer, ni d’appartenir à un syndicat… Si j’étais fonctionnaire, j’aurais été corrompu. Je devrais faire en sorte que mes enfants ne vivent pas dans la misère. J’ai même rencontré des jeunes qui ont fait des études poussées en psychologie ou en sociologie, et qui ont débarqué dans la prison en tant que fonctionnaires. Au bout de quelque temps, ils ont fait une lente métamorphose vers la crasse morale. Quand on perd l’estime de soi, on accepte tout. En plus, on n’a plus aucun point de repère moral. Il faut dire qu’il y a beaucoup de tentation dans les prisons et beaucoup d’argent qui circule.

Lire l’entretien en entier chez notre partenaire L’Economiste.

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