Coups de foudre sur le Rwanda, un livre pour raconter comment l’esprit et l’acte génocidaires sont nés et comment ils ont balafré le petit Etat d’Afrique Centrale. Bernard Chupin, qui a brievement séjourné en 1965 dans le Pays des milles collines et qui y est retourné en 2004 pour se recueillir sur la tombe de victimes, ne manque pas d’épingler le rôle de la France dans le massacre de quelque 800 000 Tutsis et Hutus dits « modérés ».
Bernard Chupin a connu le Rwanda dans les années 1960. Il y a séjourné en 1965 et témoigne du fait que le génocide a commencé bien avant avril 1994, même si c’est la date que l’Histoire retiendra sans doute le plus. Dans Coups de foudres sur le Rwanda, il couche sur papier la façon dont il a ressenti le drame qui a ôté la vie à quelque 800 000 Tutsis et Hutus dits « modérés ». Il revient sur son court voyage dans le Pays des milles collines et sur la peur des habitants, déjà palpable en 1965, car des Tutsis y étaient chassés et tués. Il raconte aussi son retour sur cette terre qu’il aime tant en 2004, pour se recueillir sur la tombe des victimes à l’occasion des dix ans « officiels » du génocide.
Bernard Chupin décrit, avec une lucidité empreinte de lyrisme ou parfois de cynisme, ce qu’il a vu, senti et retenu des témoignages ou de ses lectures sur la catastrophe rwandaise. Admettant la part de responsabilité des Rwandais, il s’indigne de la réaction tardive de la communauté internationale et dénonce la haine des Hutus contre les Tutsis construite par la Belgique, ancienne force colonisatrice. Mais il n’oublie pas la France. Sa douce France qu’il n’hésite pas à juger comme coupable de complicité de génocide. Pour avoir fermé les yeux alors qu’elle aurait pu empêcher des massacres, pour avoir fourni des armes aux assassins, pour les avoir formés et même protégés au cas où la justice leur demanderait des comptes. Ce constat, l’auteur le fait la mort dans l’âme, le cœur à vif et les yeux pleins de larmes. Parce que son pays, qui a bafoué les droits de l’Homme dont il a accouché, il l’aime. Et que, comme tout amoureux trahi, il souffre terriblement.
La complicité de la France lui brise le coeur
Surtout lorsqu’il participe aux cérémonies de commémoration ou se rend sur les tombes de certaines victimes des machettes. Surtout quand il parle à des Rwandais et que le malaise l’envahit parce qu’il craint que ses interlocuteurs ne voient en lui qu’un Français fourbe venu voir le Rwanda se remettre des atrocités auxquelles l’Hexagone a pris part. Surtout lorsqu’à la commémoration il voit la maigre délégation française minauder, se vexer et tourner les talons après que le Président Paul Kagamé n’ait pas manqué de souligner la responsabilité de la France dans le génocide. Et pour qu’elle ne tombe plus dans ces travers, il appelle la nation bleu-blanc-rouge à se réveiller.
Laissant échapper la peine qui l’étreint quant au rôle de l’Occident, il écrit : « Bravo mon Occident ! De bons chrétiens tu as fait des musulmans, de bons habitants des collines tu as fait des révolutionnaires sanguinaires ! C’est à pleurer. D’ailleurs je pleure sur toi, mon Occident, sur la tombe de Rosalie Gishanda, que j’avais croisée il y a quarante ans et dont le regard en biais, insondable, trahissait déjà une tristesse sans fond devant un destin inéluctable. Mon Occident, tu es bête à pleurer et je pleure parce que je t’aime, comprends qu’il est temps que le regard d’Orphée ne vienne plus perturber les Cercles de l’Afrique ». Et il avertit que le génocide pourrait recommencer si des mécanismes préventifs ne sont pas mis en oeuvre. Et de conclure avec amertume que si ce scénario se produit : « Les machettes reprendront du service pour ‘finir le travail’, et comme les Tutsi ne sont ni Slaves, ni Juifs, ni Arabes, les opinions baisseront à nouveau les yeux sur leurs reality-shows, autrement bien plus vivants ». Pourvu qu’il se trompe et que la terre rwandaise ne soit plus rougie par le sang.