Coup de projecteur sur une « Nuit noire » des Algériens à Paris


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Le 17 octobre 1961 © Jean Texier
Le 17 octobre 1961 © Jean Texier

La production du téléfilm « Nuit noire » diffusé le mardi 7 juin sur CANAL+ en Europe et au Maghreb est un véritable événement audiovisuel : pour la première fois, la télévision ose montrer ce que les autorités françaises de l’époque s’étaient employées à masquer : la terrible répression, par le Préfet de Police Maurice Papon, de la manifestation non violente du FLN à Paris le 17 octobre 1961.

Le 17 octobre 1961 reste marqué comme une date noire dans l’histoire des Algériens de France pendant la guerre d’Indépendance. Ce jour-là en effet, le FLN (Front de libération nationale) avait décrété une mobilisation générale de tous les Algériens travaillant à Paris et dans sa banlieue (où ils vivaient dans les fameux bidonvilles de Nanterre ou d’Issy-les-Moulineaux…) pour une manifestation pacifique de grande ampleur au centre de la capitale. Ceci afin de protester contre le « couvre-feu » que leur imposait le Préfet de Police Maurice Papon et contre la détention des militants FLN dans les prisons françaises.

Faire échec à la manifestation fut le mot d’ordre immédiat du Préfet de Police, qui ordonna à ses forces, minées ou exaspérées par la tension montante (assassinats de policiers par des commandos FLN, « ratonnades » en rétorsion, sentiment d’insécurité croissant) de ne pas faire de quartier dans la dispersion ou la répression des rassemblements attendus.

Des corps jetés dans la Seine

Une chose est claire : la mobilisation des travailleurs algériens et de leurs familles fut entièrement pacifique. Aucune arme ne fut retrouvée sur aucun manifestant. Une autre chose est certaine : les affrontements entre ces manifestants désarmés et des policiers parisiens furent sanglants. Perdant leur calme, sans doute redoutant d’être débordés par la marée humaine qui montait, les forces de l’ordre firent pleuvoir les coups de matraque, les tirs de sommation cédèrent parfois la place aux tirs à vue, et les corps blessés ou sans vie furent souvent jetés à la Seine.

De ces événements tragiques qui se poursuivirent pendant la nuit, peu de témoignages dans la presse du lendemain : Maurice Papon et le ministre de l’Intérieur de l’époque firent régner le silence dans les médias. Quelques journaux pourtant rompirent l’omerta officielle : Témoignage Chrétien, par exemple, dont le rédacteur en chef était Hervé Bourges, publia les clichés tragiques et accusateurs du photographe Elie Kagan, fils de déportés, horrifié par les souvenirs que faisait se lever en lui le regroupement «musclé» des Algériens dans les stades de la capitale… De même Libération ou L’Observateur évoquèrent les violences policières…

Un événement passé sous silence

Mais Maurice Papon fut couvert par le ministre de l’Intérieur, et le Général de Gaulle, engagé déjà dans les négociations (qui quelques mois plus tard aboutiront aux accords d’Evian) préféra ne pas risquer d’être déstabilisé sur le front intérieur par l’écho que pourraient susciter les débordements policiers. Le silence régna dans les rangs et la guerre d’Algérie reprit son cours sanglant, ponctuée bientôt par les violences de l’OAS (Organisation de l’armée secrète) disputant la palme à celles du FLN… Du 17 octobre 1961, il ne fut plus guère question.

Le film que la chaîne CANAL+ a produit et qui est diffusé le 7 juin au soir sur l’Europe et le Maghreb fait donc acte de mémoire. La télévision française prouve que désormais, la guerre d’Algérie appartient à l’Histoire, et que cette histoire peut d’autant mieux être dépassée qu’elle est assumée, reconnue, expliquée. Ni manichéisme, ni simplification, ni sensiblerie, le film sobre et puissant écrit par Patrick Rotman et réalisé par Alain Tasma vient compléter avec talent la série de films historiques rigoureux et intelligents que Fabrice de la Patellière (directeur de la fiction) a lancée pour CANAL+.

En bref, une œuvre utile, qui vient à point nommé pour solder les comptes d’un passé trop longtemps masqué.

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