Tariq Ramadan a profité de son séjour au Sénégal pour aborder divers sujets de l’actualité mondiale. Invité par la RTS (télévision nationale sénégalaise), le Suisse d’origine égyptienne, a ouvertement indexé les Américains qu’il a accusé d’être à la base de la situation que vit actuellement l’Egypte.
(De notre correspondant à Dakar)
Pour l’islamologue, théologien, professeur à l’université d’Oxford, il ne fait aucun doute, « les Etats-Unis ont accompagné ce processus » qui a abouti à la destitution par l’armée de l’ancien Président, Mohamed Morsi.
« L’armée va recevoir 3 milliards de dollars annuels »
« (…) Ce qui se passe en Egypte est un véritable scandale. Pour vous dire, l’armée est directement en contact avec l’administration américaine pour recevoir les trois milliards de dollars annuels et qui protège la stratégie américaine dans la région. On peut dire que tout ce qui s’est passé durant ces dernières semaines, les Américains sont derrière. Les Etats-Unis ne veulent pas utiliser le terme « coup d’Etat militaire ». Mais comment peut-on qualifier ce qui s’est passé en Egypte? C’est bel et bien un coup d’Etat militaire. C’est clair ! Mais ils ne veulent pas parler de coup d’Etat militaire. Donc il y a chez les Américains cette volonté manifeste d’accompagner le processus qui a mené à la destitution de Mohamed Morsi ».
« Les USA veulent recapitaliser l’ensemble de ce processus »
Le dernier élément sur lequel j’aimerai insister, c’est quand on pense à ce qui se passe dans la région, quand on pense que les Etats-Unis ont accompagné ce processus. Les Etats-Unis étaient le soutien de Moubarak, ils étaient aussi le soutien de Ben Ali. Ils ont accompagné la transformation, non pas parce que ce sont des amoureux de la démocratie, mais parce que quelque chose se joue au Moyen Orient aujourd’hui avec la nouvelle pénétration économique de la Chine, de l’Inde, du Brésil et de la Russie. En ouvrant, ou plutôt en fragilisant le champ politique, exactement ce qui est en train de se passer en Irak où il y a un système politique très fragile et où tout le secteur économique est sous l’autorité des entreprises américaines ou britanniques : donc le Fonds monétaire internationale et la Banque mondiale, ils veulent recapitaliser l’ensemble de ce processus en terme économique et géostratégique. Alors, on parle de l’Egypte, on parle de la Syrie, on parle de tous ces autres problèmes-là. On déplace le centre de gravité et on oublie la Palestine avec tout ce qui s’y passe.
« Des évènements qui vont partir de la radicalisation »
« La vie ne peut pas être apaisée en Egypte, Malgré la nomination d’Adly Mansour. Ce n’est pas pour maintenant que la paix va revenir. Il faut cependant toujours rester prudent. On ne sait jamais ce qui peut se passer, c’est un scénario à l’intérieur duquel le fils du pays était privé de la victoire et s’est radicalisé. On a vu après le fait d’avoir fait tomber Morsi, qu’il y a eu beaucoup de morts. On ne sait pas ce qui va se passer. Il peut y avoir des évènements qui vont partir de la radicalisation. Mais on peut aussi se dire que de l’armée et de la police, il y a une volonté de pousser à une certaine radicalisation. Par exemple, les membres d’Amnesty international, juste après les premières manifestations pro-opposition contre Morsi, étaient étonnés de voir la police à côté de gens qui se tapaient dessus. Oui, des gens tabassaient quelqu’un, ils n’intervenaient pas. Comme si leur but était de laisser la violence s’installer et de se présenter ensuite comme garant de la stabilité et de la paix. On peut tout à fait imaginer que l’armée joue ce jeu-là ».
« El-Baradei pourrait être le prochain Président »
« Le processus qui a amené ce changement-là se prépare depuis des semaines. Je pense que la mobilisation qui s’était faite le 30 juin avait été bien planifiée depuis assez longtemps. Le fait d’amener, le lendemain de l’ultimatum de l’armée, toutes ces personnes, le patriarche, El-Baradei.., tout le monde était là. Parlant de Baradei, dans mon livre, je mets en évidence ses relations avec l’administration américaine. Contrairement à ce que l’on pense, il n’est pas en opposition avec les USA, il a une grande admiration pour Barack Obama. Ils sont très liés. On est dans une situation un peu plus complexe. Dire que cela s’est fait en 48 heures, je ne le crois pas. Il y a eu une préparation de long terme, depuis mars. Et même bien avant. En 2008, El-Baradei était aux Etats-Unis où il rencontre les jeunes du Mouvement du 6 avril. Je dis bien en 2008 ! Il y a des choses qu’on n’oublie pas. Avec le Département américain, il se dit qu’il faut continuer de faire croire qu’on est dans l’opposition. Les Américains se disent que c’est notre meilleur allié. Plus il apparaît aux Egyptiens comme anti-américain, plus il donne l’impression d’être autonome. C’est un jeu qu’on connaît. Ce n’est pas nouveau tout ça. Ce sont là des techniques américaines. Il ne sera pas surprenant qu’El-Baradei devienne le prochain Président et que ça soit lui (El-Baradei) qui représente la société civile (…) ».