Un Premier ministre devait être nommé, ce mardi, en Côte d’Ivoire. Ce nouveau personnage-clef pour la sortie de crise, personnalité dit de consensus national, est attendu depuis le 1er novembre dernier. Les candidats retenus par Olusegun Obasanjo, président du Nigeria et de l’Union Africaine, suivant la résolution 1633 des Nations Unies, n’ont pas eu, ce mardi, l’approbation du Président Gbagbo.
Seize, quatre, deux… zéro. Laurent Gbagbo, actuel chef de l’Etat ivoirien, a opposé son veto. Aucun des candidats retenus par la médiation internationale pour devenir Premier ministre n’incarne, apparemment, sa vision du consensus. Olusegun Obasanjo, chef d’Etat nigérian et président de l’Union Africaine (UA), Thabo Mbeki, Président sud-africain et médiateur de la crise ivoirienne, et Mamadou Tandja, Président du Niger et de la Communauté Economique des Etats d’Afrique de L’Ouest (Cedeao), avaient effectué, ce mardi, le déplacement dans la capitale ivoirienne pour soumettre au Président Gbagbo les noms retenus afin de désigner un Premier ministre de transition.
Le ministre des Affaires étrangères nigérian Oluyemi Adeniji avait consulté, dans la matinée, le camp présidentiel, l’opposition et les Forces nouvelles (FN, rébellion qui occupe le Nord du pays depuis son coup d’Etat manqué de septembre 2002). Plus tard, les trois Présidents ont rencontré Laurent Gbagbo, avant de s’entretenir avec les responsables des partis ivoiriens. « Les chefs d’Etat nous ont informés qu’ils n’ont pas trouvé de consensus autour d’un nom et qu’ils reviendraient dans les meilleurs délais » pour la désignation du Premier ministre, a déclaré Amadou Koné, le directeur de cabinet de Guillaume Soro, Secrétaire général des FN. Selon lui, la réunion aurait duré une dizaine de minutes, sans qu’il n’y ait eu de débat. D’après Pascal Affi N’Guessan, président du Front populaire ivoirien (FPI, parti présidentiel), les médiateurs ont indiqué lors de cette réunion que « la méthodologie » employée « n’avait pas fonctionnée » et qu’ils allaient en adopter une nouvelle « dans les prochains jours ». Avant de quitter la Côte d’Ivoire, le Président Obasanjo a demandé aux parties ivoiriennes de faire des compromis, rappelant que les acteurs de la réconciliation ne disposaient que de douze mois pour réaliser le processus de désarmement et organiser les élections.
La guerre des listes
En désignant le Premier ministre, les trois chefs d’Etat mandatés par l’Organisation des Nations Unies (Onu) doivent faire appliquer la résolution 1633 du Conseil de sécurité. Résolution qui, malgré les contestations de l’opposition (les rebelles du Nord du pays, le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), ex-parti unique, et le Rassemblement Démocratique Républicain (RDR), partis traditionnels d’opposition) a, d’une part, maintenu au pouvoir le Président Laurent Gbagbo au-delà du terme de son mandat (30 octobre dernier), et ce jusqu’au 30 octobre 2006. D’autre part, cette résolution impose un Premier ministre de transition aux pouvoirs élargis, dont la très importante prérogative d’organiser des élections présidentielles avant le 31 octobre 2006. Ce personnage de consensus, garant de l’unification et de la stabilité de la Côte d’Ivoire, dont la partie Nord fait sécession depuis septembre 2002, devait, en principe, être en fonction depuis le 1er novembre dernier.
Les parties ivoiriennes avaient été invitées à proposer leurs candidats à ce poste stratégique pour la résolution de la crise depuis la fin du mois d’octobre 2005 et le report des élections présidentielles initialement prévues par la Constitution. Une première liste de 16 noms avait été soumise à M. Obasanjo, qui donnait alors le 15 novembre comme date de clôture du processus de nomination du Premier ministre. Enfin, le 16 novembre dernier, une nouvelle liste réduite à quatre noms était rendue publique par Oluyemi Adeniji. Bien que comptant deux opposants au pouvoir en place, MM Koné du PDCI et Tiémoko Coulibaly du RDR, la liste n’a pas été reconnue par les FN parce que Guillaume Soro, leader du mouvement, n’y figurait pas.
Le consensus, une utopie ?
La désignation d’une personnalité qui satisferait toutes les parties est-elle raisonnablement envisageable ? Chacune des parties veut placer son pion sur l’échiquier, comme si le clan du futur Premier ministre, organisateur des élections, devait aussi devenir celui du futur chef de l’Etat. Comme si également, il était entendu que le Premier ministre ne devrait finalement être que le bras d’un parti. Gervais Coulibaly, Gaston Ouassenan, Koné Yadé Tiémoko Coulibaly et Jacqueline Lohouès Oble. Trois hommes, une femme, tel était le quatuor officiellement retenu le 16 novembre dernier. Le consensus était-il possible quand il était admis que, quelle que soit la personnalité émanant de cette liste, elle ne serait pas légitime aux yeux des Forces nouvelles ?
« Cet après-midi, lorsque nous nous sommes penchés sur la question, nous avons pu réduire la liste de quatre à deux. Mais malheureusement, aucune de ces deux personnalités n’a pu rencontrer les conditions d’acceptabilité », a déclaré à la presse, ce mardi, M. Obasanjo à l’aéroport d’Abidjan, sans toutefois donner les noms des deux finalistes. Selon la presse ivoirienne, Gaston Ouassenan et Koné Yadé Tiémoko Coulibaly seraient les deux élus. Dans son édition du mardi 22 novembre, Le quotidien Fraternité Matin expliquait que les deux hommes avaient déjà été récusés par Laurent Gbagbo. Gaston Ouassénan Koné, général de division à la retraite, est un militant actif du PDCI-RDA dont il est le président du groupe parlementaire. Laurent Gbagbo lui avait déjà refusé le ministère de la Défense. Son rejet aurait pour cause officielle sa responsabilité dans « l’affaire du Guébié », du nom des massacres, par les forces régulières, des partisans de l’opposant Kragbé Gnangbé dans le département de Gagnoa en 1970. Quant à Koné Yadé Tiémoko Coulibaly, maire RDR de Sinématiali, il est très proche d’ Alassane Dramane Ouattara. Il est officiellement soupçonné d’être l’un des financiers de la rébellion.
Suivant la logique tacticienne, respectivement issus du PDCI et du RDR, les deux hommes pouvaient difficilement être l’un comme l’autre, acceptés par le Président Gbagbo. Ce dernier aurait dû, le cas contraire, céder une partie de ses prérogatives nationales et surtout, l’organisation des futures élections à un membre de l’opposition, donc à l’un de ses deux rivaux : Henri Konan Bédié du PDCI ou Alassane Dramane Ouattara du RDR. En revanche, les deux autres personnalités de la liste finale auraient été plus séduisantes pour le clan présidentiel : Gervais Coulibaly, directeur général de la Décentralisation et du Développement local, et Jacqueline Lohouès Oble, ex-doyenne de la faculté de droit de l’université de Côte d’Ivoire, ancienne garde des Sceaux, ministre de la Justice du gouvernement Ouattara. Elle avait été exclue pour avoir estimé que la nationalité ivoirienne d’Alassane Ouattara était douteuse.
Par Alix Koffi