Côte d’Ivoire, Tidjane Thiam écarté des élections : Ouattara joue-t-il avec des allumettes ?


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Alassane Ouattara
Alassane Ouattara, Président de la Côte d'Ivoire

À six mois d’une élection présidentielle importante pour l’avenir de la Côte d’Ivoire, le pays est à nouveau secoué par une décision judiciaire aux allures de manœuvre politique. La radiation de Cheick Tidjane Thiam, président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA), de la liste électorale provisoire soulève de lourdes interrogations. La justification juridique – la perte de la nationalité ivoirienne à la suite de l’acquisition de la nationalité française en 1987 – ne convainc guère. Plus encore, elle ravive de douloureux souvenirs d’un passé que l’on croyait derrière nous : la crise post-électorale de 2010-2011.

Si l’histoire ne se répète jamais vraiment, elle bégaie parfois avec une effrayante similitude. En 2010, la Côte d’Ivoire s’enfonçait dans une guerre civile née d’un bras de fer électoral entre Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo. Les Ivoiriens, encore marqués par ces violences qui ont fait plus de 3 000 morts, voient aujourd’hui poindre des signes qui ne trompent pas : une justice instrumentalisée, un climat politique crispé, et surtout, une exclusion jugée arbitraire d’un candidat de poids. Cette fois, la victime semble être Tidjane Thiam.

Un appareil judiciaire acquis à Ouattara

Le parallèle avec 2010 est troublant. À l’époque, le camp de Gbagbo avait usé de tous les leviers pour remettre en question la légitimité de Ouattara, accusé de ne pas être pleinement Ivoirien, en s’appuyant sur une interprétation douteuse du concept de nationalité. Aujourd’hui, c’est ce même Ouattara, par le biais d’un appareil judiciaire qui lui est acquis, qui reproduit une mécanique semblable pour écarter un rival redoutable. Ironie de l’histoire ou stratégie cynique ? À chacun d’en juger.

Il ne s’agit pas ici de remettre en cause l’État de droit ni de contester la souveraineté des juridictions ivoiriennes. Mais le timing, les circonstances, et l’interprétation rétroactive d’une législation surannée – l’article 48 du code de la nationalité, datant de l’époque coloniale – soulèvent de nombreuses suspicions. D’autant plus que Tidjane Thiam, né en Côte d’Ivoire, a publiquement renoncé à sa nationalité française en mars dernier pour se conformer aux exigences de la Constitution. Faut-il alors considérer que cette radiation est uniquement motivée par un formalisme juridique rigide, ou bien est-elle le reflet d’une volonté politique d’évincer un candidat trop populaire ?

Tidjane Thiam en tête des intentions de vote

Les récentes enquêtes d’opinion plaçaient Thiam en tête des intentions de vote. Son profil international, son aura de technocrate compétent, et son image de candidat du changement séduisent une large frange de l’électorat, y compris au-delà du bastion traditionnel du PDCI. Ce potentiel de rassemblement est perçu comme une menace par le pouvoir en place. En l’éliminant de la course, Ouattara et ses partisans prennent le risque non seulement de saper la légitimité du scrutin à venir, mais surtout d’embraser une société ivoirienne déjà fragilisée par les tensions ethniques, économiques et politiques.

Car la démocratie ne se résume pas à des élections. Elle repose avant tout sur la possibilité, pour chaque citoyen, de choisir librement ses représentants, sans que des obstacles administratifs ou juridiques ne viennent biaiser la compétition. En cela, la radiation de Thiam est non seulement injuste, elle est dangereuse. Dangereuse pour la stabilité du pays, pour la crédibilité des institutions, et pour la paix sociale.

Le discours de Tidjane Thiam, un avertissement ?

Le discours de Tidjane Thiam, empreint de fermeté mais aussi d’inquiétude, sonne comme un avertissement : « Le pays est au bord d’une crise », a-t-il déclaré. Ces mots rappellent ceux entendus en 2010, à l’orée d’un drame que personne ne semblait pouvoir empêcher. Aujourd’hui, le pouvoir joue-t-il avec des allumettes au-dessus d’un baril de poudre ? La question mérite d’être posée.

La communauté internationale, les partenaires de la Côte d’Ivoire, mais aussi les forces vives de la nation – société civile, médias, intellectuels – doivent s’élever contre cette dérive. Il en va de la crédibilité du processus démocratique ivoirien. L’expérience passée a démontré que l’exclusion, la frustration et le sentiment d’injustice sont les meilleurs combustibles des crises politiques. Le pays a trop souffert pour retomber dans de telles tragédies.

Les conséquences portées par tout un peuple

Alassane Ouattara, fort de son expérience et de son rôle historique dans la reconstruction post-crise, devrait être le garant d’un processus électoral apaisé, inclusif et équitable. En tentant d’écarter un adversaire de manière aussi contestable, il abîme cet héritage et compromet la transition démocratique qu’il avait pourtant promise.

En 2010, l’exclusion, la rigidité juridique et l’absence de dialogue avaient mené la Côte d’Ivoire au chaos. En 2025, allons-nous répéter les mêmes erreurs ? Ou allons-nous, enfin, tirer les leçons du passé pour bâtir une démocratie mature, où l’adversité politique ne se règle pas par des décisions de justice, mais dans les urnes ? Le choix appartient à ceux qui dirigent aujourd’hui, mais les conséquences, elles, seront portées par tout un peuple.

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Très attaché à l’Afrique Centrale que je suis avec une grande attention. L’Afrique Australe ne me laisse pas indifférent et j’y fais d’ailleurs quelques incursions
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