Je voudrais rassurer les nombreuses personnes qui ont réagi après la publication de mon dernier article que je n’ai jamais eu l’intention de me taire. Me taire, pourquoi ? Pour que Laurent Gbagbo continue de me montrer ses dents refaites au Maroc ? Pour que Blé Goudé continue de hurler dans mon poste téléviseur ? Certainement pas ! J’avais juste envie de réveiller ceux qui dorment en attendant que le jour se lève tout seul. Et je me tairai d’autant moins que les tueurs de Laurent Gbagbo sont sur mes pas.
Le lundi 10 janvier, aux environs de 16H30, un véhicule du CECOS, avec des hommes lourdement armés à bord s’est présenté devant mon ancien domicile. Un de ces hommes a sonné à la porte et a demandé si c’est bien là mon domicile. On lui a répondu que je n’habitais plus là depuis longtemps et ils sont repartis. Je suppose qu’ils ont agi ainsi, en pleine journée, devant tous les voisins, pour faire savoir qu’ils sont toujours tout puissants, qu’ils ne se gênent plus pour aller chercher qui ils veulent, pour intimider ainsi tout le monde. Les hyènes pourront peut-être broyer mes os, mais certainement pas mon esprit.
Fatou, joins ta voix mélodieuse à la mienne, rocailleuse, pour leur chanter notre chant d’amour pour notre pays, ce pays que les chacals veulent déchiqueter, pour leur chanter notre soif de démocratie. Non, ils n’auront pas le dessus, parce que nous ne nous tairons jamais et notre chant dominera les hululements des hiboux et les coassements des crapauds. Fatou Kéïta, ma sœur, me pardonneras-tu cette agression inutile de ma part, ce soir d’insomnie où je t’ai interpellée, ce soir de spleen ? Tu m’as expliqué plus tard que tu m’avais demandé de répondre à Thierno parce que tu admirais mon écriture. Merci Fatou. Moi aussi j’admire la tienne. C’est pour cela que je ne t’avais pas comprise. J’admire aussi ton courage Fatou. Tu n’avais pas hésité à marcher ce jour où les hyènes puantes ont brisé les os de tant de nos frères et sœurs. Que ceux qui veulent dormir continuent de le faire. Nous serons leur Sakouato, Fatou. Nous serons cet oiseau des mythes bété qui, chargé de veiller sur le village, s’est arraché les paupières pour ne pas succomber au sommeil. Nous nous arracherons les paupières pour les prévenir de l’arrivée des hyènes gloutonnes, pour qu’ils dorment en paix, en attendant l’aube. Et quand l’aube viendra, nous continuerons de chanter la liberté retrouvée, mais nous garderons nos paupières toujours arrachées afin que personne ne vienne nous la voler de nouveau. Dormez, braves gens. Allez gagner votre pitance que Gbagbo menace de vous retirer. Donnez-lui votre force, votre sueur, votre intelligence, afin qu’il continue de se repaître de vos chairs et de vos esprits. Il est insatiable, l’ogre, et vous le savez bien. Continuez de le nourrir. Il aime aussi le sang, et vous le savez aussi. Et sa soif est inextinguible. Ecoutez les prêtres, pasteurs et évêques aux bouches menteuses vous chanter leurs chants de haine, de division et de mort. Continuez d’aller au travail, continuez de rouler vos cars, gbakas et taxis afin que Laurent Gbagbo triomphe. Braves chefs d’entreprises du RHDP, continuez de crier au vol de votre victoire tout en continuant de travailler pour Koudou. Il vous en remerciera. Et vous savez comment. Si en dix ans vous ne l’avez pas su, vous n’en aurez pas assez du reste de vos vies pour le savoir. Vous croyez que s’il se maintient au pouvoir il le lâchera un jour ? Et qu’il se muera en démocrate, en développeur ? Rêvez, doux naïfs. Il a gagné du temps et il gagne du terrain. Cela fait plus d’un mois qu’il est là. Je sens les fêlures, ici et là. « Et si finalement on recomptait les voix comme il le demande » entends-je ici. « Et si finalement il y a eu vraiment des fraudes comme il le dit, » entends-je là. Doutez, braves gens. L’ogre vous en sera reconnaissant.
Chantons, Fatou. Chantons notre chant d’amour. Ne nous taisons point, dussions-nous y perdre la voix. L’amour vaincra la haine. Chantons notre chant de paix. L’imposture ne triomphera jamais tant que nous continuerons de chanter. Tiburce Koffi arrive avec sa guitare. Il a pris du temps pour l’accorder. D’autres viendront aussi avec leurs instruments pour que nous chantions sous les fenêtres de la liberté. Et notre aubade couvrira les ricanements des hyènes, les hululements des hiboux, les hurlements des forcenés qui manipulent nos jeunes sœurs et frères abrutis par dix ans de Refondation. Non, ma sœur qui m’a appelé de Ouagadougou, nous ne nous tairons point. Nous ne laisserons jamais Laurent Gbagbo brigander notre démocratie. Nous avons trop attendu son avènement, nous avons payé trop cher, avec trop souvent notre sang, pour regarder des tricheurs se prendre pour des ministres de notre république. Nous respectons trop ce pays pour nous taire devant une telle forfaiture. Que ceux qui veulent se taire le fassent. Que ceux qui ont peur se cachent. Nous, nous resterons debout et continuerons de chanter.
Par Venance Konan