Même si la Côte d’Ivoire renoue timidement avec ses bailleurs de fonds, grâce à son Premier ministre Charles Konan Banny, elle n’en est pas moins défaillante économiquement. Jean-Louis Billon, le président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Côte d’Ivoire, nous brosse sans faux-semblants et avec pragmatisme, la situation économique de ce pays divisé en deux depuis 2002.
Jean-Louis Billon est, à 42 ans, président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Côte d’Ivoire, qui compte 156 élus, depuis 2002. M. Billon est à la tête du groupe Sifca, l’un des plus importants groupes agro-alimentaires ivoiriens et il est maire de Dabakala, un grande ville du Nord du pays, depuis 2001. Jean-Louis Billon est marié et père de trois enfants.
Afrik.com : Comment se porte aujourd’hui la Côte d’Ivoire ?
Jean-Louis Billon : Sur le plan économique, pas très bien. Nous sommes virtuellement en faillite parce qu’on ne respecte pas l’ensemble de nos engagements. Nous nous contentons de payer les salaires des fonctionnaires et de l’armée. Les paiements à la Banque mondiale sont suspendus. Le processus du développement est interrompu. Comme on ne parle pas de faillite pour un Etat, nous bénéficions d’un échappatoire. Autrement nous sommes complètement défaillants économiquement.
Afrik.com : Comment cette défaillance se ressent-elle concrètement ?
Jean-Louis Billon : La Côte d’Ivoire avait atteint dans les années 70 et 80 un niveau de développement relativement important pour cette région de l’Afrique de l’Ouest. Et tous les critères de développement allaient en s’améliorant comme le taux de mortalité, l’espérance de vie, le nombre d’établissements de santé par habitant, le nombre de km de routes supplémentaires… Tous ces seuils connaissent actuellement un recul important. Un Ivoirien était mieux loti en 1978 qu’aujourd’hui en 2006. Les motifs sont évidemment : la guerre, mais aussi l’incapacité de nos leaders à faire face aux défis et à les relever, à assurer tout simplement le processus de développement.
Afrik.com : Certains ont évoqué une dévaluation possible du F CFA si la crise perdurait en Côte d’Ivoire. Vous pensez que cela est toujours d’actualité ?
Jean-Louis Billon On craignait que la situation économique de la Côte d’Ivoire ne se dégrade plus qu’elle ne l’est maintenant. Cela est dû au simple fait des acteurs économiques qui vivent sur l’infrastructure et l’environnement laissés par Félix Houphouët Boigny- tout est là depuis 1985 – et une conjoncture internationale favorable en ce qui concerne le cours de nos matières premières.
Afrik.com : Avec la crise, les entreprises font-elles montre d’une ingéniosité particulière ?
Jean-Louis Billon : Depuis 1999, les relations entre la Côte d’Ivoire et les bailleurs de fonds ont été rompues. Elles sont peut-être en train d’être renouées avec l’arrivée de M. Banny. Les aides multilatérales étaient coupées. Ce sont les entreprises qui ont assuré la jonction et ont donc fait d’énormes restructurations pour survivre. Par conséquent, celles qui sont là aujourd’hui sont plus solides en termes de management et elles résistent dans cet environnement hostile. Cette épuration économique a conduit à la disparition de centaines de milliers d’emplois dans le secteur privé. Par contre, une économie parallèle, qui vit sur la fraude, s’est développée dans toute la Côte d’Ivoire. Elle s’est spécialisée sur l’import-export de produits comme le tabac, le sucre, les appareils électroménagers…. Cette économie parallèle constituera un risque plus important dans l’avenir parce qu’il se développe au détriment de l’embryon économique local.
Afrik.com : Les entreprises ont-elles déserté le Nord du pays ?
Jean-Louis Billon : Les entreprises industrielles qui opèrent dans le secteur du sucre, du tabac de l’arachide, du coton… ne sont pas parties. Au début de la crise, elles ont connu quelques problèmes avec la rébellion qui se sont très vite résolus dans leurs intérêts communs. Cette dernière a procédé à des aménagements pour leur permettre de poursuivre leurs activités.
Afrik.com : L’insécurité que connaissaient, l’année dernière, les entrepreneurs – enlèvements et autres menaces – est-elle toujours d’actualité ?
Jean-Louis Billon : Il y a toujours de l’insécurité, des casses pendant les émeutes, mais les gens se montrent plus prudents. Cette prudence se combine avec une amélioration de la sécurité comme en témoigne l’augmentation des dépenses des entreprises dans ce domaine. La pression policière s’est aussi accrue.
Afrik.com : Pourrait-on faire un bilan de l’impact de la crise que connaît la Côte d’Ivoire depuis 1999 sur les entreprises ?
Jean-Louis Billon : Le tissu économique ivoirien a beaucoup perdu en termes de fermeture d’entreprises. Cinq cent quatre-vingt entreprises le sont selon les chiffres déclarés. Et puis, il y a toutes celles qui n’ont pas fait part de leur situation. Et depuis 1999, ce sont des centaines de milliers d’emplois qui ont disparu dans le secteur privé.
Afrik.com : Pensez-vous que la crise ivoirienne est en passe de trouver très prochainement une issue si l’on s’en tient aux récents évènements ?
Jean-Louis Billon : Personne ne peut augurer de ce qui va se passer dans quelques mois. D’accord en accord, on arrive à des consensus en ce qui concerne le règlement de la crise. En outre, il y a une volonté du gouvernement de préserver le monde économique des problèmes politiques. Elle s’est manifestée notamment par la réactivation, après des années, du comité secteur public/secteur privé dont le rôle est de contribuer à l’amélioration de l’environnement économique. Il existe également une plate-forme de médiation secteur public/secteur privé à la primature qui a pour mission de régler les problèmes ponctuels qui se posent entre l’Etat et les opérateurs économiques. Ces deux structures ont d’ailleurs été lancées lors du récent forum de dialogue économique qui s’est tenu à Abidjan. Le gouvernement essaie de prendre en compte les problèmes des entrepreneurs afin de trouver des solutions et de les préserver de toute nouvelle perturbation qui entraverait la bonne marche de leur activité. Pour ceux qui ont connu des sinistres, il réfléchit à la manière de leur apporter réparation.
Afrik.com : Peut-on dire que l’arrivée de Charles Konan Banny à la Primature y est pour quelque chose ?
Jean-Louis Billon : Dans un sens, oui. Il connaît les problèmes économiques et il a dirigé la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, l’une des seules structures publiques qui tient la route dans notre sous-région. Cela n’est possible qu’avec beaucoup de discipline. Il nous comprend très bien et on craint que la classe politique ne lui mette des bâtons dans les roues.
Afrik.com : Mais l’espoir semble être toujours de mise ?
Jean-Louis Billon : Nous avons beaucoup d’espoir, mais sans nous faire d’illusions. Nous pensions, au début que la crise ne durerait que 15 jours, au maximum trois mois. Voilà quatre ans qu’elle perdure. La crise politique et militaire va certainement se résoudre en elle-même, mais ce sont ses séquelles qui seront les plus difficiles à gérer. Il va falloir apprendre tout l’art du pardon et de la réconciliation pour nous en sortir. Heureusement, les bonnes volontés sont plus nombreuses que les autres.