La tâche de Guillaume Soro promet d’être ardue. Le Premier ministre ivoirien a été chargé de former un nouveau cabinet après la dissolution du gouvernement et de la commission électorale décidée vendredi par le président Laurent Gbagbo. Depuis cette annonce, la Côte d’Ivoire est sur le qui-vive. Les quotidiens de l’opposition étaient les premiers à réagir sur internet. Entre colère et résignation, la presse fait le point sur la décision du chef de l’Etat ivoirien.
Le Premier ministre ivoirien devra user de ses talents pour former au plus vite un nouveau gouvernement, après la décision vendredi de Laurent Gbagbo de dissoudre le cabinet et la Commission électorale indépendante (CEI). Au programme de ce lundi : des discussions avec des formations politiques ivoiriennes de tous bords, notamment avec le parti présidentiel (FPI), un forum des Confessions religieuse, un représentant de l’ONU ou encore avec l’Association des Rois et des chefs traditionnels.
La technique de séduction de Guillaume Soro devra être bien rôdée car les récalcitrants promettent d’être nombreux, comme le constate le quotidien ivoirien, Fraternité Matin. A commencer par le principal parti ivoirien d’opposition, le Rassemblement des Houphouetistes pour la démocratie et la paix (RHDP) qui ne voit plus « Laurent Gbagbo comme le président de la Côte d’Ivoire ». Pour le quotidien ivoirien Le Nouveau Réveil, le RHDP est en effet le seul à pouvoir faire face au président. « Il appartient au RHDP, par sa fermeté de le faire mentir et lui faire comprendre enfin qu’il se trompe sur toute la ligne ». Les quotidiens de l’opposition étaient les premiers ce lundi à avoir réagi vigoureusement sur internet. A la différence de la presse gouvernementale qui s’est faite plutôt discrète sur la décision du chef de l’Etat ivoirien.
« Scier la branche sur laquelle on est assis»
Le quotidien d’opposition Le Patriote, en tout cas n’a pas mâché ses mots. Il a publié un édito grinçant intitulé : « Pourquoi Laurent Gbagbo n’est plus président ». « Scier la branche sur laquelle on est assis. C’est la prouesse que vient de réussir Laurent Gbagbo. En prenant la décision de dissoudre la CEI et le gouvernement, il a décrété la mort de sa propre légitimité à la tête du pays. Laurent Gbagbo dit que la CEI n’existe plus. Or la Commission électorale indépendante est non seulement reconnue par la Constitution, mais elle est également le fruit de tous les accords politiques qui lui ont permis d’être, sans élection, à la tête de la Côte d’Ivoire jusqu’à aujourd’hui. Les accords qui faisaient que Laurent Gbagbo était reconnu comme chef de l’Etat, sont les mêmes qui consacraient et donnaient toute légitimité à la CEI. C’est le même cas pour le gouvernement Soro. Ce gouvernement est issu de l’Accord politique de Ouagadougou. Même si cet accord a été signé par le camp présidentiel et l’ex-rébellion, il est le résultat des consultations entre les principaux partis politiques ».
Le Soir Info, moins tranchant que son confrère, revient en Une sur « les dessous de la décision de Gbagbo ». Selon le quotidien, c’est à l’issue d’une rencontre entre Blaise Compaoré, le président du Burkina Faso, et le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le 11 février dernier, que tout aurait basculé. « Pendant son tour de passage, la coalition de l’opposition politique ivoirienne, conduite par le Pr Alphonse Djédjé Mady, dit au président Burkinabé que si Beugré Mambé doit quitter la tête de la CEI, alors tous les ministres de l’opposition vont démissionner. (…) Le chef de l’Etat Burkinabé fait donc le compte rendu à son homologue ivoirien. Colère de Laurent Gbagbo ! Il informe son Premier ministre, Soro Guillaume, de la situation. Il martèle qu’il prendra ses responsabilités ».
Selon une source citée par le quotidien ivoirien, il ne fait pas aucun doute que Laurent Gbagbo voulait former un nouveau gouvernement. « La menace du RHDP, jeudi dernier, de quitter le gouvernement fut donc une aubaine pour M. Gbagbo de faire ce qu’il nourrissait depuis longtemps. Tout est allé vite. Blaise et Soro, qui s’opposaient au remaniement avant, ont, a-t-on appris, donné leur Ok », souligne Soir Info.
«Après les frayeurs du vendredi, les Abidjanais ont pompeusement fêté la Saint Valentin»
La palme de la poésie revient au quotidien ivoirien L’Inter qui a préféré évoquer avec humour la réaction des amoureux, suite à l’annonce de la dissolution du gouvernement et de la CEI. « Ce jour, les fêtards avaient prévu d’inonder les lieux chics de la ville, quand la nouvelle de la dissolution du gouvernement et de la Commission Electorale Indépendante (CEI) est tombée. Croyant peut-être à des troubles, chacun s’était terré chez lui ».
Un début de journée peu joyeuse qui va ensuite laisser place à la fête, comme l’ont constaté les journalistes présents sur place. « Mais rassurés par la situation paisible après les décisions du Président Laurent Gbagbo, les amoureux sont sortis massivement, le samedi 13 février. (…).Aux environs de 1h 30 du matin, nous nous déportons à la Rue Princesse à Yopougon. L’endroit est inondé de monde. La foule est immense. La circulation est impossible pour les véhicules et les hommes. Les amoureux du tout Abidjan s’y sont apparemment donné rendez-vous. Nous faisons une virée au bar restaurant ‘’Le Cyclone’’. L’ambiance est féerique et électrique. Après les frayeurs du vendredi, les Abidjanais ont pompeusement fêté la Saint Valentin. »
Les quotidiens d’opposition ont pris l’habitude de tremper leur plume dans du vitriol à chaque fois qu’il s’agit d’évoquer le cas Gbagbo. L’annonce de la dissolution du gouvernement et de la Commission électorale indépendante n’est pour eux qu’une énième provocation du président ivoirien qui obscurcit un peu plus l’avenir du pays. « Le crépuscule est tombé brutalement par la faute de certains dont l’ambition démesurée et irraisonnée était pour eux au-dessus de l’intérêt général. Aujourd’hui, c’est la nuit noire, une nuit à découper à la tronçonneuse et qui nous rapproche du trou noir des premiers temps galactiques. Et ce ne sont pas les délestages que nous subissons en ce moment qui nous démentiront », note Le Nouveau Réveil.
Depuis longtemps, Laurent Gbagbo cherchait le moyen le plus efficace pour reporter les Présidentielles. Avec ce « grand coup de balai », il semble que c’est chose faite.