Les enfants sont souvent les grands oubliés de la lutte contre le sida. L’Unicef lutte pour inverser la tendance et soutient la mise en place de soins pédiatriques destinés aux enfants infectés. Dans le centre de Protection maternelle et infantile de Yopougon, à Abidjan, les enfants séropositifs sont suivis au sein d’une unité pédiatrique dynamique et efficace.
Aujourd’hui, il pleut averse sur le centre de Protection maternelle et infantile de Yopougon, à Abidjan. Qu’à cela ne tienne. Malgré les flaques qui se forment et la boue qui colle aux chaussures, les malades ont fait le déplacement. Le Docteur Vemin, pédiatre spécialisée dans le VIH/sida des enfants depuis 4 ans, responsable de la prise en charge pédiatrique, nous accueille dans un bâtiment flambant neuf. Construit fin 2005, il est composé de deux unités, trois salles de consultation et une salle d’hospitalisation de jour. Quatre médecins à plein temps sont là pour les enfants séropositifs.
« On reçoit des enfants exposés, qui viennent de la PTME (Prévention de la transmission mère-enfant, ndlr) et des enfants déjà infectés. On propose aux parents de dépister ceux qui ne le sont pas encore et on assure un suivi mensuel dès la première semaine. On pratique le dépistage précoce, qui n’est malheureusement pas encore vulgarisé, et on fait la première PCR (méthode de détection du virus, ndlr) à 6 semaines. La prise en charge précoce peut retarder la mise sous anti-rétroviraux (ARV), c’est à encourager. On met alors les enfants sous antibiotiques avant la phase ARV », résume le Dr Vemin. Le principal obstacle à la généralisation de la PCR est son prix : 30 000 F Cfa (45 euros) pour un examen, une somme exorbitante pour beaucoup de foyers. L’unité accueille des enfants qui « viennent de partout, et surtout d’autres structures qui n’ont pas la spécialité pédiatrique ». Elle est spécialisée VIH, traitant les maladies opportunistes, les infections. Les pédiatres prescrivent les ARV tous les mois, gratuits pour les enfants, et font un bilan de tolérance 25 jours après la mise sous traitement de l’enfant. L’unité est secondée par deux psychologues. « Il y a une vraie demande. Lorsqu’un médecin suspecte des problèmes, il propose automatiquement un rendez-vous chez le psychologue. Ça débloque beaucoup de choses et ça optimise la prise en charge médicale », explique la pédiatre en chef.
Les médicaments posent problème
Principal problème dans le traitement des enfants séropositifs : les médicaments, qui ont très mauvais goût et ont souvent des effets secondaires : vertiges, céphalées, somnolence, éruptions cutanées… « Les ARV sont difficiles à gérer au quotidien. Tous les médicaments posent des problèmes. Même quand ils sont écrasés et mélangés à une soupe, l’enfant sent leur goût. J’ai connu des petits qui jetaient les médicaments par la fenêtre pour ne pas les prendre… Les mamans sont obligées d’utiliser toutes sortes d’astuces ! Il faudrait un sirop pédiatrique avec un meilleur goût. A cause des effets secondaires, on est obligés de changer de molécule, sinon, le médicament est moins bien pris. Enfin, il y a la lassitude : les médicaments sont à prendre au moins deux fois par jour et certains enfants doivent prendre 9 ou 13 comprimés par jour à heures fixes ! Quand ils atteignent l’âge de 4-5 ans, ça devient plus difficile de leur faire avaler : ils posent des questions… C’est là que le psychologue peut intervenir. Quand l’enfant est plus grand, vers 10-11 ans, on lui fait l’annonce. Mais les mères sont souvent réticentes à l’idée de dire la vérité, elles ont peur et protègent leurs enfants le plus longtemps possible. »
D’autres problèmes apparaissent selon l’âge de l’enfant. La conduite de l’alimentation en est un pour les tout-petits. « Il faut un suivi rigoureux », explique le Dr Vemin. « Par exemple, il arrive qu’une mère séropositive donne son lait en petite quantité en pensant que c’est moins dangereux, en réalité ça aggrave tout et ça peut même mener à la malnutrition. Du coup, on se retrouve avec des cas où le premier dépistage de l’enfant est négatif mais le deuxième positif… Le sevrage est une période difficile : les femmes ne veulent pas arrêter de donner le sein. C’est souvent un problème d’argent, elles n’ont pas les moyens d’arrêter l’allaitement et le font jusqu’à ce que l’enfant entre dans les repas familiaux. Deux boîtes de lait pas semaine coûtent 5 000 F Cfa, c’est beaucoup. Et puis, ça demande de l’eau bouillante et un minimum de matériel. Nous avons mis au point plusieurs propositions pour faire une préparation à base de produits locaux comme des farines enrichies en pâte d’arachide mais de 6 mois à 1 an, on ne peut pas se passer de lait. »
Parler de la sexualité
Une fois scolarisés, les enfants séropositifs manquent la classe à cause de la fatigue. Certains tombent souvent malades, attrapent la tuberculose. Dans ces cas-là, les pédiatres font un certificat médical pour excuser l’enfant car il n’existe pas à Abidjan de structures spéciales pour que l’enfant hospitalisé suive ses études. Lorsqu’ils grandissent, se pose le problème de leur avenir et de leur sexualité. « Il existe des groupes de parole animés par les psychologues pour parler de la sexualité et de la reproduction. On espère que les enfants de ceux que nous suivons ici seront négatifs. Mais le sujet est sensible et difficile à aborder. Les jeunes ont du mal à l’évoquer car, en Côte d’Ivoire, on ne parle pas de sexualité dans le contexte familial », regrette la pédiatre.
Avec ses collègues, elle suit les enfants jusqu’à 18 ans et « on les prépare à nous quitter dès 16 ans ». Deux ans pour se préparer à affronter la vie, sans le soutien de l’équipe pédiatrique. Et à continuer à vivre avec le virus. Car, comme le rappelle le Dr Vemin : « C’est vrai qu’il faut prendre des médicaments à vie, faire attention aux maladies opportunistes comme la pneumonie ou le paludisme grave et avoir une hygiène de vie rigoureuse. Mais un enfant séropositif traité dès sa naissance a la même espérance de vie qu’un séronégatif ». C’est pour cela que les pédiatres de la PMI de Yopougon se battent tous les jours.