Les jeunesses houphouëtistes ont décidé, mercredi dernier, de répondre systématiquement aux attaques des jeunes Patriotes, qu’elles soient armées ou non. Ces derniers interdisent et répriment les manifestations en zone gouvernementale. En face, les jeunesses houphouëtistes n’entendent pas tendre l’autre joue et organisent leur défense. Devant la perte de contrôle de leurs aînés politiciens et de la communauté internationale, la jeune garde s’octroie de plus en plus de prérogatives et envenime une situation déjà bien explosive.
Par Anna-Alix Koffi
Œil pour œil. Les délégations régionales des jeunesses houphouëtistes, militants de l’alliance des partis d’oppositions PDCI[[<1>Parti Démocratique de Côte d’Ivoire]], du RDR[[<2> Rassemblement des Républicains]], de l’UPDCI[[<3>Union Pour la Démocratie et la Paix en Côte d’Ivoire]] et du MFA[[<4>Mouvement des Forces de l’Avenir]], ont annoncé, mercredi dernier, depuis Yamoussokro, qu’ils répliqueraient aux violences des Patriotes le cas échéant, par les armes s’il le faut. Cette décision fait suite à de récentes représailles subies à Abidjan, capitale économique du pays. Les jeunesses houphouëtistes devaient se réunir ce mardi, au siège du PDCI à Abidjan, dans le quartier huppé de Cocody. Les jeunes patriotes, militants acquis au gouvernement, leur auraient interdit l’accès de l’immeuble. » Simplement priés de rentrer chez eux » selon Serge Kassi, artiste musicien, membre de l’alliance des jeunes patriotes pour le sursaut national. Selon la presse, la centaine de jeunes houphouëtistes aurait été rudoyée et bastonnée. Présents sur les lieux, un adjoint au maire d’Adjamé (commune d’Abidjan, ndlr) et l’épouse d’un ancien général auraient été passés à tabac. Non défini, le bilan de ces altercations varient selon les sources. Face à la crise qui enlise et divise la Côte d’Ivoire depuis septembre 2002, la jeune garde des parties adverses prend une part de plus en plus importante dans le conflit.
» On sort du cadre démocratique »
Dans l’engrenage que connaît la Côte d’Ivoire, ces troubles répondaient aux évènements survenus au nord à 70 kilomètres d’Abidjan. Dans la nuit de samedi 23 à dimanche 24 juillet, la gendarmerie et le commissariat d’Anyama (banlieue Nord d’Abidjan), étaient attaqués. A Agboville (70 kilomètres au nord d’Abidjan) le commissariat était également pris pour cible. Le bilan des ces attaques, dont les auteurs n’ont pas été identifiés à ce jour, ont fait au moins cinq morts. Les deux villes sont en zone gouvernementale (au sud du pays, incluant Abidjan et Yamoussokro, les capitales du pays ndlr), territoire des jeunes patriotes.
» Dès cet instant, j’interdis toutes les manifestations, tous les meetings du G7. La récréation est terminée « . Telle est la sentence prononcée le même dimanche par Charles Blé Goudé, président de l’Alliance des jeunes patriotes pour le sursaut national, lors de la cérémonie de clôture du Congrès panafricain des jeunes patriotes (Cojep). Celui qu’on appelle » général » désignait ainsi tous les membres de l’opposition, leur proscrivant toute activité en zone gouvernementale aux risques de vives représailles. » On nous a attaqués ! « , a déclaré Serge Kassi à Afrik. » Chacun doit être à sa place, quand on décide de s’allier à la rébellion, on sort du cadre démocratique. On n’a plus le doit de se réunir ni de manifester. Le jour où ils déposeront les armes, ils pourront faire des meetings« . Il a ajouté que malgré l’interdiction de Blé Goudé » les Houphouëtistes ont dit qu’ils manifesteraient et que personnes ne pourraient les en empêcher « …
Libre arbitre ?
Se proclamant au service de la démocratie et de la Nation ivoirienne, les jeunes patriotes, favorables au Président Laurent Gbagbo, orchestrent les manifestations des rues d’Abidjan. A leur tête, Charles Blé Goudé est vu, dans l’entourage même du Président, comme un élément de plus en plus embarrassant. » L’agissement des jeunes patriotes consacre la démission de l’Etat et ouvre la porte à l’anarchie » a déclaré à Afrik Karamoko Yayoro, Président national du Rassemblement des Jeunes Républicains. Il n’y a pas si longtemps, les Patriotes formaient le providentiel bouclier humain et étaient les vaillants soldats de Laurent Gbagbo et de tous ces partisans. Si le noyau dur tient absolument à utiliser » la seule voix démocratique pour s’exprimer », les nombreux dérapages de certains stigmatisent l’ensemble et lui vaut d’être perçu comme une milice pro gouvernementale dont on a perdu le contrôle. Avec leur intransigeance, on se souvient de leur slogan : » à chacun son Français « , et la multiplication des barrages intempestifs, les preux chevaliers d’hier risqueraient bien de devenir les parias de demain.
Les jeunes Ivoiriens s’affrontent sous les yeux de politiciens peu réactifs et tacitement encourageants. Larges colonnes dans les organes de presse pour les uns, temps d’antenne sur les chaînes nationales pour les autres, chacun assistent dans l’ombre aux agissements de son » équipe « . L’opposition accuse le parti du Président de manipuler la jeunesse et finalement d’en perdre le contrôle en lui laissant une totale liberté d’action. Si cette opposition arrivait au pouvoir, quel serait le champ d’action réservé à leurs jeunes membres ? Au même titre, quels seront les moyens de retenir la horde des jeunesses houphouëtistes lorsqu’elle décidera, affrontant les Patriotes, d’investir les rues d’Abidjan?
Les jours prochains ne devraient pas voir venir l’accalmie. Deux rassemblements de grande envergure sont programmés samedi 30 juillet. La rentrée politique des jeunesses houphouëtistes au parc des sports de Treichville, et pour les Patriotes, un meeting dit du » dernier carrefour » au stade Robert Champoux de Marcory. Ces deux quartiers d’Abidjan ne sont séparés que de cinq kilomètres tout au plus… Seule l’intervention des aînés, membres du gouvernement comme ceux de l’opposition, pourrait éviter un massacre annoncé.