Sécurité, ivoirité et prospérité : ces trois mots résument les principaux chantiers du nouveau chef d’Etat ivoirien Alassane Ouattara qui a, depuis l’arrestation de son prédécesseur Laurent Gbagbo, accès au fauteuil présidentiel.
Alassane Ouattara avait prévu de prendre ses quartiers dans le palais présidentiel au plus tard la semaine prochaine mais il attendra plusieurs semaines pour cause de travaux. «Travaux», un mot auquel le successeur de Laurent Gbagbo, déchu ce lundi, devra s’habituer. Il a cinq ans pour assurer la sécurité des Ivoiriens et les rassurer, en finir avec l’ivoirité et faire rimer Eburnie avec prospérité. Pour espérer diriger la Côte d’Ivoire dans les meilleures conditions, le nouveau président ivoirien doit avant tout ramener la sécurité. Les quatre derniers mois de crise post-éléctorale, mais surtout la partition de la Côte d’Ivoire depuis le coup d’état manqué de septembre 2002, ont plongé le pays dans l’insécurité. Alassane Ouattara s’est fixé un délai maximum de «deux mois» pour «pacifier» son pays.
Dans l’immédiat, les premières cibles sont les pillards et les miliciens de Laurent Gbagbo qui sont dispersés à Abidjan et dans le reste du pays, la capitale économique. Les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) sont censées en venir à bout. Elles ont été créées par Alassane Ouattara, en application selon lui de l’Accord politique de Ouagadougou signé en mars 2007 qui prévoit la réunification d’une armée ivoirienne. Cette dernière doit être être composée des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (FANCI), affaiblie depuis le putsch militaire, et de l’ex-rébellion des Forces nouvelles (FN). A l’heure actuelle, elles rassemblent les ex-combattants des FAFN, les éléments des Forces de sécurité et de défense (FDS), autrefois fidèles à Laurent Gbagbo, et tous ceux qui ont rejoint la cause Ouattara, notamment les commandos invisibles. La tête de ces groupes armés est revendiquée par un dissident de la rébellion ivoirienne, Ibrahim Coulibaly, alias « IB ». Résultat : les FRCI sont une armée hétéroclite en formation. Ses contours restent imprécis tout comme son avenir. Dans un premier temps, la nouvelle armée de Côte d’Ivoire compte d’ailleurs sur les forces onusiennes pour l’aider à ramener la sécurité. Après le chaos, Alassane Ouattara commence à diriger sans pouvoir s’appuyer sur une armée stable et unie.
Reconstruire l’appareil sécuritaire et l’Etat
Par ailleurs, le chef de l’Etat ivoirien devra décider du sort de structures sécuritaires particulières érigées par Laurent Gbagbo pour résorber l’insécurité induite par la situation de « guerre ». Le Centre de commandement des opérations de sécurité (Cecos), parfois assimilé à des « escadrons de la mort » et dirigé par le général de gendarmerie Georges Guiai Bi Poin, qui figure sur la liste des sanctions de l’Union européenne depuis décembre 2010, est l’une d’elles. Le patron du Cecos, mis en place par décret présidentiel en 2005, a fait depuis allégeance à Alassane Ouattara. Pour autant, les fidèles de Laurent Gbagbo comme le général Dogbo Blé, chef de la Garde républicaine, le vice chef d’état-major de la Marine ivoirienne, l’amiral Vagba Faussignau, également sanctionnés par l’UE, ont laissé leur empreinte sur les hommes qu’ils ont commandés.
Ramener la sécurité en Côte d’Ivoire pour Alassane Ouattara, c’est aussi veiller à l’effectivité de la présence de l’Etat dans un pays officiellement divisé de 2002 à 2007 : le Nord aux mains de la rébellion, soit environ 60% du territoire, et le Sud contrôlé par le président sortant ivoirien. Cependant depuis 2007, rien n’a profondément changé. La zone tampon érigée par la force française Licorne entre les belligérants ivoiriens en 2003, après le coup de force, a disparu en 2007 mais le Nord de la Côte d’Ivoire est resté un fief rebelle. En dépit du redéploiement de l’administration, le désarmement de l’ex-rébellion avant l’organisation d’élections prévu dans les différents accords de sortie de crise n’a jamais été total à la veille de l’échéance électorale. Les responsables des Forces nouvelles l’ont reconnu et indiqué que la situation était liées à l’absence de ressources financières que l’administration Gbagbo devait mettre leur disposition. Cette démilitarisation incomplète, Laurent Gbagbo l’utilisera même après la présidentielle du 31 octobre 2010 pour expliquer les fraudes électorales dans le Nord à son détriment.
A l’image du pays, les Ivoiriens sont divisés. A l’origine de cette animosité qui conduit des voisins à se regarder en chiens de faïence – les témoignages dans ce sens se multiplient -, l’ivoirité. Utilisé par Henri Konan Bédié, chef du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et président de 1993 à 1999, ce concept culturel qui devait magnifier le sentiment d’appartenir à la nation ivoirienne, selon ses créateurs, s’est transformé en outil d’exclusion politique. Son unique cible : Alassane Ouattara, taxé d’être Burkinabé, pour être né à Dimbokro, en Basse-Volta (actuelle Côte d’Ivoire) au moment où cette région et la Haute-Volta (actuelle Burkina Faso) ne constituaient qu’un seul territoire. Bientôt, l’ivoirité se transformera en xénophobie envers les ressortissants issus des pays frontaliers du Nord de la Côte d’Ivoire. Puis, elles se retournera contre les Ivoiriens du Nord dont les patronymes sont évidement proches de leurs voisins. Car la balkanisation de l’Afrique à Berlin est une hérésie reconnue. Le Rassemblement des républicains (RDR), résultat d’une scission au PDCI dont Alassane prend la tête à la mort de son fondateur, devient le porte-voix de ces Ivoiriens marginalisés dans leur propre pays. Les rebelles ivoiriens justifient leur action par la validation de l’ivoirité par la Constitution. Cette démarche, dont Laurent Gbagbo se fera complice en s’alliant avec le général Robert Gueï, devenu président à la faveur d’une mutinerie en 1999, excluera la candidature d’Alassane Ouattara aux élections de 2000.
En onze ans, l’ivoirité est devenue l’instrument politique de prédilection de Laurent Gbagbo, qui s’est fait entretemps le chantre de la lutte contre l’impérialisme français. Les impérialistes sont par extension « ces étrangers » qui veulent « se mêler» de la politique ivoirienne et leur chef de file n’est autre que l’Hexagone. Le président avait oublié que ces mêmes Français avaient arrêté l’avancée des rebelles au nom des accords militaires entre les deux pays. Laurent Gbagbo avait d’ailleurs estimé qu’ils n’étaient pas assez vite intervenus. La raison de cette mémoire sélective : les évènements de novembre de 2004 où le sentiment anti-français atteint son paroxysme. Selon le camp Gbagbo, la France aurait tenter de débarquer leur champion. Comme en 2000, contre Gueï qui voulait se proclamer vainqueur d’une élection qu’il n’a pas remporté, le peuple s’érige comme un bouclier. En premier les « Jeunes patriotes » de Blé Goudé, devenu ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo et qui s’est volatilisé depuis l’arrestation de l’ancien chef de l’Etat.
Aussi la campagne présidentielle, qui s’ouvre après le premier tour du 31 octobre 2010, fait de cette vision néo-indépendantiste un argument de campagne. Alassane Ouattara est « l’étranger », soutenu par les « étrangers », qui veut gouverner la Côte d’Ivoire. Les conditions de la proclamation des résultats, annoncés en primeur sur les médias internationaux, le soutien de la communauté internationale, une presse ivoirienne inexistante pendant les deux dernières semaines de la crise apportent de l’eau au moulin de l’argumentation de Laurent Gbagbo. Ses militants ont les faits et Dieu de leur côté. Simone Gbagbo et son époux sont de fervents chrétiens.
Faire choir l’édifice de l’ivoirité
Les résultats du second tour de la présidentielle ivoirienne prennent alors aujourd’hui tout leur sens. Laurent Gbagbo a été crédité de plus de 45% des suffrages. Alassane Ouattara a contre lui au moins un tiers du pays, voire plus. L’alliance entre le RDR et le PDCI, entre autres, a produit le Rassemblement des houphouétistes pour la paix (RHDP). Le taux de report des électeurs PDCI sur le candidat RDR a été d’environ 80% selon les chiffres de la Commission électorale ivoirienne. Mais que vaut-il véritablement ? S’il ne s’agit que d’une alliance de façade, Alassane Ouattara devra se faire adouber par près de la moitié des Ivoiriens conditionnés par des années de rhétorique anti-Ouattara que Laurent Gbagbo a accusé d’être à l’origine de la rébellion. Ces dernières semaines, la télévision nationale, la RTI, restée proche du président sortant n’a cessé de noircir le tableau en montrant les images des « rebelles » proches d’Alassane Ouattara terrassés par les FDS, notamment à Abobo, fief du nouveau président dans la capitale économique.
Aujourd’hui, les partisans de Gbagbo craignent à leur tour des représailles. Les exactions perpétrées par les forces pro-Ouattara depuis le lancement de l’offensive, qui a conduit à la prise puis à la bataille d’Abidjan, et la chute de Gbagbo ne sont pas de nature à les rassurer en dépit des messages de réconciliation lancés par Alassane Ouattara. Le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno-Ocampo, avait déjà indiqué le 6 avril dernier que son bureau était « extrêmement préoccupé par la détérioration de la situation en Côte d’Ivoire et notamment par les meurtres qui auraient été commis dans l’ouest du pays (en particulier à Duékoué où le Comité international de la Croix-Rouge a fait état d’au moins 800 victimes lors d’affrontements inter-ethniques, ndlr), d’après les renseignements qui lui ont été récemment communiqués ». Le procureur de la CPI a également indiqué que ses investigations concernaient toutes les parties impliquées dans la crise post-électorale ivoirienne. Et ce n’est pas la première fois que les politiciens ivoiriens sont dans le collimateur de la justice internationale Alassane Ouattara a déjà promis de conduire Laurent Gbagbo devant la justice tout en indiquant la mise en place d’une commission vérité-réconciliation. Deux chantiers qui apparaissent contradictoires dans une optique de réconciliation nationale. Alassane Ouattara a-t-il les capacités d’être le bourreau de l’ivoirité dont il a été la première victime ? Pourra-t-il à la fois être un rassembleur en donnant corps à son slogan « Ensemble pour la Côte d’Ivoire » et payer le lourd tribut dont il est redevable à tous les martyrs de son parti, le RDR. Parmi eux, pour ne citer que celui-là, le comédien « H » assassiné quelques semaines après le coup d’Etat de 2002. A l’exemple d’un Barack Obama, qui en prononçant son fameux discours sur la race, affirmait sa volonté d’être le président de tous les Américains tout en comprenant les difficultés des uns et des autres ; et d’un Nelson Mandela, dont le mandat présidentiel, semble avoir justifié chaque goutte de sang versé dans le combat qu’il a initié contre la lutte contre l’Apartheid, Alassane Ouattara devra se surpasser. Et entre deux icônes, la prouesse s’avère héroïque.
Le renouveau économique pour tous
Dans ce contexte socio-politique hostile et complexe, le troisième chantier, celui du retour de la prospérité, paraît le plus facile. « Chacun a son métier. Je suis économiste. Mon rôle est de trouver l’argent et je le trouverai pour créer des emplois pour les jeunes. Je vais reconduire la Côte d’Ivoire pour qu’elle soit la terre d’espérance, de paix qu’elle était. En 5 ans, je vais changer la Côte d’Ivoire », promettait Alassane Ouattara dans le village de Montézo en janvier 2010. Le passé de banquier international, les ressources de la Côte d’Ivoire – le cacao et peut-être dans un avenir proche le pétrole -, et les récentes annonces de la France, dont la Côte d’Ivoire attend déjà pas moins de 700 millions d’euros d’aide, devront faciliter le renouveau économique. A condition que tous les Ivoiriens, et non un clan seulement, en sentent de façon immédiate les effets. La xénophobie est souvent un corolaire de la crise économique, surtout dans un pays qui est une terre d’immigration pour ses voisins de la sous-région.
Espérer d’Alassane Ouattara qu’il arrive à bout de ses trois chantiers n’est à l’heure actuelle que conjectures, sauf pour ses partisans qui le considèrent comme un messie. La véritable espérance est ailleurs et se résume à quatre chiffres : 2016. La Côte d’Ivoire aura alors, peut-être dans la douleur, eu l’opportunité d’évacuer le dernier élément du « BOG », Bédié-Ouattara-Gbagbo, trois hommes qui ont trusté la vie politique ivoirienne depuis la mort du Vieux, le père de la nation ivoirienne, Félix Houphouët-Boigny. Avec l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara, le terreau d’une rébellion comme celles qu’a connue la Terre d’Eburnie n’existe plus. Le processus vers l’organisation de l’élection présidentielle a permis une révision constitutionnelle qui a enterré l’ivoirité, du moins sur le papier. « La dictature ouvre un droit à l’insurrection et la démocratie le referme (Victor Hugo)», déclarait sur un plateau télévisé français Guillaume Soro, chef rebelle devenu Premier ministre de crise d’Alassane Ouattara. Une association qui a vocation à s’achever dans les prochains jours au nom des accords prévus au sein du RHDP qui prévoit que la primature, sous Ouattara, revienne au PDCI.
En 2015 donc, les Ivoiriens pourront enfin tenter de profiter d’une vie démocratique promise en 1991 par l’avènement du multipartisme. Dans cette nouvelle ère, le PDCI semble en pole position parce que de nouveaux chefs de file ont eu le temps d’émerger. Le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Ggagbo et le RDR de Ouattara ont été, eux, depuis longtemps usés par leurs leaders.