L’aide internationale publique, versée sur l’agriculture ivoirienne, n’a jamais rien fait pousser sauf, peut être, la mauvaise herbe de la corruption. Celle-ci, si elle engraisse quelques hommes de l’Etat, n’aide ni l’agriculture à se développer, ni les paysans à sortir de la misère.
Situation agricole de la Côte d’Ivoire
La Côte d’Ivoire, pourtant, est le pays des bons et des mauvais records. Bon record pour le cacao, dont elle est le premier producteur mondial, et bon record pour le café, dont elle est le troisième producteur au monde. Mauvais record puisque ses paysans y ont un niveau de vie particulièrement bas, y compris si on le compare à celui d’autres pays non-émergents. Néanmoins, l’Etat a décidé de conserver l’habitude coloniale de contrôle des filières café-cacao tant sur les modalités globales de production que sur les prix.
Pourtant, depuis l’indépendance, le pouvoir politique semblait s’être engagé dans diverses grandes campagnes d’intervention publique visant à améliorer la production et à diminuer la misère du secteur agricole : la mesure clef étant l’entrée en application du « Code foncier rural », autrement appelé loi de 1998. Ce code était sensé sécuriser la propriété foncière, fixant les modalités de délivrance des certificats puis des titres fonciers, lesquels permettent d’accéder à la possession de sa terre et donc, aussi, aux hypothèques, mesure indispensable pour emprunter de l’argent à une banque. Le code, toutefois, est d’une application presque impossible soit pour des raisons directement financières (pas de possibilité pour le paysan de payer les frais) soit pour des raisons de conflits de normes (opposition droit foncier rural-droits coutumiers) soit pour des raisons purement pratiques (inadaptation de la loi aux usages et traditions ivoiriennes d’occupation et de partage de la terre).
À ces problèmes structurels fondamentaux pour la filière s’ajoutent un taux de bancarisation, en Côte d’Ivoire, très faible ainsi que des taux d’intérêt extrêmement élevés, tout comme des frais bancaires parfois disproportionnés vis-à-vis des sommes confiées. La situation agricole peut donc se résumer ainsi : une insécurité sur les routes rendant le transport presque impossible (qui pénalise largement la filière anacarde), une grande instabilité et pas de sécurité sur la possession des terres ni sur les prix qui dépendent non pas du marché libre, rencontre vraie de l’offre et de la demande, mais simplement des décisions et arrangements politiques.
Le mutuellisme, clef du développement agricole
L’économie sociale et solidaire fait reposer son système sur l’individu, sur son épanouissement durable, et sur son rôle fondamental dans la société. Le mutuellisme s’inscrit dans cette ligne : il prône l’égalité de parole des individus et l’adhésion libre et volontaire à des groupements organisés. Ces groupements, par exemple, sont les coopératives agricoles et les banques mutuellistes de producteurs. Les coopératives agricoles, en Côte d’Ivoire, assurent la représentativité des planteurs et, plus largement, des exploitants. Elles permettent de trouver information et conseils mais aussi des moyens d’action commune : elles peuvent, par exemple, garantir le stockage en sécurité des récoltes en mutualisant le coût du gardiennage (chaque producteur donne une petite partie de sa récolte à la coopérative qui paye un ou plusieurs gardiens).
Les coopératives agricoles peuvent, aussi, devenir des lieux d’expérimentation. C’est ce qui se passe, par exemple, en France et dans les pays d’Europe où les producteurs, groupés en coopératives puissantes, cherchent ensemble, en faisant appel à des experts qu’ils rémunèrent comme les gardiens, cités plus haut, des solutions pour améliorer et développer leurs filières tant en terme de qualité, que de pénibilité du travail, de rendements, mais aussi de débouchés.
Les coopératives agricoles, en Côte d’Ivoire, devraient s’inspirer de ce modèle et exiger plus de libertés auprès des pouvoirs publics. Qui, mieux que les producteurs, peut décider pour les producteurs ? Les producteurs ivoiriens ne sont-ils pas capables de se grouper et d’organiser, en fonction de leurs besoins et de leurs attentes, leur propre filière ?
Le mutuellisme, réalisé au sein des coopératives, est un gage de sécurité et de stabilité pour les producteurs qui y trouveront un lieu de formation pratique, par l’échange d’expériences précieuses accumulées par des générations de planteurs, mais aussi des informations sur les débouchés, sur les innovations, sur le potentiel de telle ou telle culture. Dans un pays où la valeur ajoutée des produits agricoles, qui fait toute la richesse des nations développées, est donnée par des usines non-ivoiriennes implantées à l’étranger, le mutuellisme est une clef fondamentale du développement pour changer les choses.
La coopérative agricole peut être un lieu où entreposer ses fèves de cacao ou son café avant la vente. Mais elle peut aussi, si elle est bien administrée, proposer des formations à ses membres pour apprendre à mieux travailler le sol et donc en tirer de meilleures et de plus grandes récoltes. A cela peut s’ajouter la création d’une caisse commune de solidarité pour les planteurs âgés qui, après une vie de dur labeur, savent qu’ils ne trouveront pas dans les retraites de misère versées par l’Etat de quoi survivre. Si, durant toute une vie, à chaque récolte, ils versent un ou deux sacs de cacao ou de café sur un compte de prévoyance, ils trouveront, une fois trop usés pour travailler encore, les fruits de leurs efforts passés. Ces sacs épargnés seront vendus, et la valeur obtenue pourra être prêtée, à des taux très faibles, à d’autres planteurs, plus jeunes, qui rembourseront sur chaque récolte la somme mise à disposition par leurs anciens.
Le mutuellisme n’est pas qu’une affaire d’argent, il est avant tout une économie sociale et solidaire, garante de liens humains durables, mais aussi d’une filière agricole forte, organisée autour de sa plus grande richesse : la liberté des hommes et des femmes qui la composent.