Tous ceux qui s’intéressent à la politique le savent, il est extrêmement difficile pour les acteurs politiques de second plan d’exister politiquement et d’espérer se hisser à la tête de son parti. En Côte d’Ivoire par exemple, toutes les présidences des grands partis politiques sont hermétiquement verrouillées.
Le président du parti (PDCI, RDR, FPI) est quasi indétrônable, quelque soit ce qu’on peut bien lui reprocher. Un chef reste un chef, en dépit de considérations qui pourraient ou devraient – dans les démocraties confirmées – lui coûter sa place au profit d’un autre membre de la direction.
Les jeunes cadres sont les plus oubliés
Dans cet environnement codifié et protocolaire, ancré dans la tradition africaine, engendrant de fait une démocratie à l’africaine, les jeunes cadres qui sont les plus ambitieux sont aussi les plus oubliés. Leur avidité politique donne du dynamisme à leur parti respectif. Très souvent, ils sont au four et au moulin. Ils ont soif de reconnaissance et de gratitude de leurs aînés. Pendant les campagnes électorales, ils sont toujours dévoués. Ils collent jours et nuits les affiches de leurs candidats. Ils mobilisent sans répit tout le monde autour d’eux, commençant bien sûr par leurs amis de fac, de lycée ou du quartier. Ils y croient et sont fascinés par les enjeux politiques qui s’ouvrent à eux. Ils s’imaginent déjà récompensés par leur candidat après sa victoire, à un poste qui sera à la hauteur de leur engagement politique. La naïveté et l’insouciance de leur jeunesse les entraînent parfois dans des affrontements verbaux, voire physiques avec les camps adverses. Après la victoire de leur candidat, ils constatent amèrement, la boule au ventre, qu’ils sont les grands oubliés. Les postes ministériels, à la mairie, aux conseils généraux ou régionaux sont le plus souvent attribués à des anciens, aux « Tontons ». Malgré ces déceptions, ils restent toujours fidèles à leur engagement politique dans le parti et tentent de se faire une petite place auprès des grands frères et tontons du parti. Tous n’ont pas les mêmes chances. Alors les amertumes et le découragement entament progressivement leur détermination. En guise de récompense, un des leurs est nommé président de la jeunesse du parti. C’est à lui alors que revient la tâche ingrate de consoler ses troupes, continuer à les mobiliser, tout en les faisant espérer.
Position ingrate, mais stratégique de président des jeunes
Cette position ingrate, mais stratégique de président de tous ces jeunes mobilisés, qui espèrent toujours, devient alors une arme politique redoutable qui peut s’avérer très utile au moment opportun. Au PDCI, au RDR ou au FPI, les présidents des jeunes de ces principaux partis politiques ivoiriens sont devenus des personnalités indispensables dans le dispositif de conquête du pouvoir de leur formation politique. D’élection en élection, de mobilisation en mobilisation, ils acquièrent une expertise et surtout une assise politique avec les jeunes de leurs partis respectifs qui forment le plus gros de leur électorat. Alors, à un moment donné, lorsque la tête de leur formation politique tarde à se renouveler et qu’en plus les jeunes sont sans cesse oubliés aux postes de responsabilités, les appétits s’aiguisent. Les crocs dehors, ces jeunes loups politiques qui ont tout appris durant des années aux côtés de leurs aînés, savent que personne ne leur fera de place. C’est à eux d’aller les chercher à la force de leurs mâchoires carnassières, en défiant les anciens au mépris de toutes les règles traditionnelles de bienséance, dans un état qui se veut démocratique. Cet univers politique à ses règles et ses codes qu’il faut maîtriser. Mais il faut aussi prendre en compte l’environnement socioculturel dans lequel évoluent les différents acteurs.
En raison de tous ces éléments qui composent cet univers politique, défier publiquement le chef peut être aussi tout simplement l’ultime moyen de se faire une place au premier rang. Mais aussi, exister enfin dans le rapport de force au sein de son parti. Selon l’importance de celui-ci, par la maîtrise des structures de base, le « petit » peut devenir un « grand » parmi les grands de son parti et du pays, à l’image de l’actuel président de l’Assemblée nationale ivoirienne. Je veux nommer Guillaume Soro.