Lors d’une conférence de presse tenue ce jeudi 31 mai à la maison de l’Afrique à Paris, la mère de Michel Gbagbo, Jacqueline Chamois, est sortie de son silence. Pour la première fois, cette dernière a tenu à évoquer publiquement la situation de son fils, prisonnier d’opinion en Côte d’Ivoire. Elle dénonce, entre autres, les conditions de détention et l’état de santé dans lesquels se trouve son fils depuis quatorze mois.
Face à un parterre de journalistes franco-africains et un public de supporters pro-Gbagbo, Jacqueline Chamois, ancienne compagne de Laurent Gbagbo, a tenu ce jeudi à rappeler les circonstances d’arrestation de son fils, Michel Gbagbo. Agé de quarante-deux ans, Michel Gbagbo a été arrêté le 11 avril 2011 lors de l’attaque des forces spéciales françaises et des forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), alors qu’il se trouvait dans la Résidence présidentielle de son père, Laurent Gbagbo.
Jacqueline Chamois, accompagnée de l’avocate du détenu, Me Habiba Touré, de l’ex-conseiller du président Gbagbo, Alain Toussaint, et d’autres personnalités telles que Patrick Finel, responsable Afrique du Front de Gauche, a dressé un bilan sur ce qu’elle appelle les « principales atteintes aux droits de la personne » dont a été victime son fils au moment de sa capture.
Elle dénonce les opérations de bombardements et le recours aux fumigènes mis en place par l’armée française afin de neutraliser son fils et sa famille. Elle a également affirmé que son fils, ainsi que les hommes et les femmes présents dans la résidence présidentielle, ont été brutalisés et déshabillés. Mme Chamois a mentionné une lettre écrite par sa belle-fille (l’épouse de Michel Gbagbo, ndlr), décrivant le « calvaire » qu’ils ont subi pendant l’agression.
Les conditions de détention « extrêmement déplorables » et la pratique de la « torture »
Dans son réquisitoire, Jacqueline Chamois a particulièrement insisté sur les conditions de détention de son fils, qu’elle juge « extrêmement déplorables ». Elle évoque aussi le « filmage » des détenus politiques et un « traitement particulièrement injuste et de torture à l’égard de Michel Gbagbo ». Elle a fait allusion aux interdictions de visites familiales et d’un « isolement prémédité » de son fils. Mme Chamois conclut cet aspect pénitencier en évoquant une piqûre de scorpion dont aurait été victime son fils. Concernant les informations qu’elle livrait à la presse, Mme Chamois a estimé avoir désormais des informations directes venant de son fils, ce qui, selon elle, « évite que celles-ci fassent place aux rumeurs ».
L’ex-compagne du président Gbagbo a également rappelé les efforts politiques engagés par elle et ses alliés à l’égard des autorités françaises pour la cause de son fils. Elle a indiqué que son courrier du 8 juillet 2011 à l’ancien président Nicolas Sarkozy est jusqu’à présent restée lettre morte et que seul l’ex-chef du Quai d’Orsay, Alain Juppé, avait essayé d’apporter quelques réponses à ses questions, mais que celles-ci « n’ont pas pris la mesure de la situation » et « qu’elles n’envisageaient pas des solutions pour sauver Michel des conditions de détention ».
Toutefois, ces efforts ont donné lieu à quelques visites des autorités consulaires françaises auprès de son fils.
« Cette situation qui perdure, suscite en moi la plus grande inquiétude »
Jacqueline Chamois a par ailleurs déclaré attendre beaucoup du nouveau président français et a affirmé « vouloir croire » à un véritable « changement », non seulement par rapport à la situation de son fils, mais aussi de façon plus large vis-à-vis des relations entre la France et l’Afrique. Selon elle, son fils est tout simplement victime d’un « chantage politique », d’« une affaire politicienne ».
La mère de Michel Gbagbo a envoyé, le 25 mai 2012, une seconde lettre, mais cette fois-ci au nouveau ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, dont une copie aurait été envoyée, entre autres, au président François Hollande. Dans cette missive, elle revient une nouvelle fois sur les conditions de détention de Michel Gbagbo et exige la mise en liberté immédiate de celui-ci. « Dans cet hôpital, mon fils est gardé par des hommes en armes qui lui interdisent tout contact avec ses avocats et sa famille, et ceci nonobstant l’autorisation de visite donnée par le juge d’instruction. Cette situation qui perdure, suscite en moi la plus grande inquiétude », peut-on lire dans la lettre.
« Michel Gbagbo est détenu parce qu’il est le fils de son père »
Alors que Mme Chamois terminait son intervention largement axée sur le cadre familial, l’avocate de Michel Gbagbo, Me Touré, a livré une véritable diatribe à l’attention de la France et de la Côte d’Ivoire.
Me Touré a notamment parlé d’une justice « à deux vitesses », d’une politique de « deux poids, deux mesures » et des agissements purement « politiciens à l’égard de Michel ». Elle remet en cause la loi sur l’assignation en résidence en Côte d’Ivoire qui, en principe, n’existe pas dans la législation du pays : « Michel a été détenu arbitrairement, car il n y a aucun décret légal qui justifie son arrestation. »
Me Touré est revenu sur l’état de santé de Michel Gbagbo, en déclarant que ce dernier « a perdu des dents » et a été victime de « plusieurs problèmes gastriques », ce qui, d’après elle, souligne le caractère particulier de sa détention et les traitements « inappropriés» auxquels il est « cruellement » exposé. Son état de santé, qui s’est « considérablement dégradé », l’a conduit a un récent transfert à l’hôpital.
La justice ivoirienne « n’est pas indépendante »
En outre, l’avocate pointe du doigt un « système généralisé », une « rage injustifiée contre Michel Gbagbo », car « même les geôliers n’ont de cesse d’humilier publiquement ce dernier ». Elle estime « tout à fait normal » le fait que Michel Gbagbo ait trouvé refuge dans la résidence de son père.
D’après Me Touré, « Michel Gbagbo est détenu parce qu’il est le fils de son père ». Elle a ainsi mis au pilori la passivité et la figuration de la justice ivoirienne qui, d’après elle, « n’est pas indépendante » et à laquelle « elle ne fait pas confiance ». Elle parle d’une ambiance générale de « silence-radio » par rapport aux opérations qui ont été menées à l’encontre de toute la famille Gbagbo. Par ailleurs, elle a exprimé son regret à propos du classement de l’affaire par le parquet de Paris en avril dernier, rappelant que l’accusation allait se porter comme partie civile.
« Un travail de vérité »
L’avocate a lancé un appel de soutien qui, selon elle, ne concerne pas seulement Michel Gbagbo, mais aussi plusieurs personnes détenues politiquement pour des motifs flous et injustifiés : « cette affaire a besoin d’un soutien massif », a-t-elle insisté. Avant de conclure, celle-ci a tenu à rappeler la solidarité de nombreuses personnalités politiques françaises comme Jean-Luc Mélenchon, des parlementaires du Front de Gauche (la sénatrice Nicole Borvo Cohen-Seat), l’appel de la Cour de justice de la Cédéao à « garantir les droits et l’état de santé de Michel ».
La mère et l’avocate du fils Gbagbo espèrent que le nouveau gouvernement français fera évoluer la situation. Elles ont, par ailleurs, émis le souhait de voir émerger, avec la promesse de « changement » du nouveau dirigeant français, de « vraies relations franco-africaines ».
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