Les photos de bébés squelettiques affichées dans un centre de soins dans le nord ouest de la Côte d’Ivoire ne sont pas seulement le résultat du conflit qui a déchiré le pays mais aussi le reflet d’un problème persistant révélé au grand jour par l’arrivée des organisations humanitaires.
« La malnutrition, sévère ou modérée, existe depuis longtemps dans cette région » a dit Abdoulaye Ouattara, un médecin qui tient un centre nutritionnel à Madini, une ville à 80km à l’ouest de la capitale régionale, Odienne. « A cause de la guerre, les organisations humanitaires sont venues dans notre région et cela nous a permis de nous occuper de problèmes qui existaient bien avant la crise ».
Dans le couloir principal du centre nutritionnel Madinadi- qui fonctionne avec l’aide du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et du Programme alimentaire mondial (PAM), soutenus par des bailleurs de fonds internationaux- sont affichées de nombreuses photos de nourrissons sévèrement malnutris qui sont passés au centre.
Les employés des centres de santé et les travailleurs humanitaires de la région ont dit que les cinq années de crise avaient exacerbé la pauvreté, et en même temps, la malnutrition.
La rébellion de 2002 a isolé la partie nord du pays du sud encore sous contrôle gouvernemental, provoquant l’exil des fonctionnaires et la fermeture des institutions financières.
Les habitants d’Odienne et des villages des alentours ont dit à IRIN qu’ils ne mangeaient qu’un ou parfois deux repas par jour, alors qu’ils en mangeaient trois avant le conflit.
Mais même le régime alimentaire d’avant 2002, composé de trois repas par jour, ne permettait pas forcément aux bébés de recevoir l’apport nutritionnel dont ils ont besoin.
« Ici, la malnutrition est un problème d’habitudes alimentaires, les nourrissons sont souvent privés de la nourriture et de [l’apport énergétique] dont ils ont besoin », a dit Fatimata Bamba, directrice régionale de la santé à Odienne.
Elle a expliqué que le travail incessant des femmes dans les champs empêchait aussi les enfants de recevoir l’attention et le régime alimentaire requis.
L’économie est aussi un facteur, avec le nord de la Côte d’Ivoire historiquement en retard par rapport au sud en termes de conditions socio-économiques.
« Le nord a été clairement désavantagé par rapport au sud en matières de santé, d’éducation et d’infrastructure », a dit Arnim Langer, chercheur pour le Centre de recherche sur l’inégalité, la sécurité humaine et l’ethnicité basé à Londres.
Ces disparités -qui découlent des politiques de développement colonial et post-colonial- jouent un rôle dans le conflit en cours. « Le retard du nord par rapport au sud en termes socio-économiques a été et continue d’être un problème majeur », a-t-il dit.
Arrivée des travailleurs humanitaires
Aujourd’hui, les habitants d’Odienne sont habitués à la présence des agences humanitaires partout dans la ville, mais ce n’était pas le cas avant la rébellion de 2002. Le directeur du bureau du PAM, Marc Sibiri Dao, a expliqué que la région n’était pas historiquement une zone d’action de ces organisations.
« Par le passé, il y a eu très peu d’interventions humanitaires dans la région. On pourrait dire qu’elle avait été plus ou moins abandonnée », a-t-il dit.
M. Ouattara, du centre de santé de Madinani, a dit que grâce à l’aide des organisations et des bailleurs de fonds depuis le début du conflit, les travailleurs sanitaires avaient pu mener des études sur la malnutrition dans la région ainsi que des campagnes de sensibilisation sur la santé des nourrissons et sur les signes de malnutrition.
« Auparavant, les femmes venaient généralement avec leurs enfants uniquement quand l’enfant avait une maladie évidente, telle qu’une mauvaise toux, une fièvre ou la diarrhée. C’était à ce moment-là que l’on voyait qu’il s’agissait de malnutrition », a-t-il dit. « Nous disions aux femmes que c’était de la malnutrition et que cela pouvait se soigner. Les femmes étaient sceptiques. Mais nous avons commencé à les éduquer sur la malnutrition, et maintenant, elles commencent à venir ».
Madinani a un centre de santé depuis longtemps mais celui-ci n’avait pas les ressources nécessaires pour mener les études, campagnes d’éducation et thérapies nutritionnelles qu’il a mis en place aujourd’hui. Néanmoins, le personnel d’assistance –les cuisiniers, les éducateurs, et d’autres- travaille bénévolement, a dit M. Ouattarra.
Mme Bamba a estimé que le combat contre la malnutrition infantile dans la région dépendait en grande partie de l’éducation et de la participation.
« La malnutrition ne peut pas être détectée sans que les communautés s’impliquent [dans la santé communautaire] et sachent ce qu’est la malnutrition », a-t-elle dit.
Alors que les fonctionnaires de santé du gouvernement réinvestissent progressivement la région, a dit Mme Bamba, ils vont travailler avec l’UNICEF et d’autres partenaires afin de mettre en place une formation de base en santé et nutrition dans les communautés rurales.
Les fonctionnaires sanitaires de la région espèrent qu’ils auront accès à des ressources suffisantes pour continuer leur travail.
« Avec l’aide des organisations nous avons pu commencer à régler des problèmes qui existaient bien avant la crise. Maintenant la question est de savoir comment cela va évoluer après leur départ », a dit Mme Bamba.