Les élections présidentielles ivoiriennes se tientront le 29 novembre et devraient mettre fin à la crise dans laquelle est plongé le pays depuis 2002. Elles auraient dû se tenir en octobre 2005, mais elles ont été reportées quatre fois. Chronique d’un scrutin présidentiel encore incertain.
Le 29 novembre, la nouvelle date fixée pour la présidentielle ivoirienne, « n’est pas une date fétiche mais une date sûre », a déclaré le président ivoirien Laurent Gbagbo dimanche, à son arrivée à Ouagadougou. La cinquième réunion du Cadre Permanent de Concertation (CPC), instauré par l’Accord politique de Ouagadougou signé le 4 mars 2007, s’est tenu ce lundi dans la capitale burkinabè. Outre le président ivoirien, le CPC est constitué de ses principaux opposants. Alassane Ouattara, l’ancien Premier ministre et leader du Rassemblement des républicains (RDR), l’ancien chef d’Etat Henri Konan Bédié, président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, ex-parti unique), candidats déclarés à la prochaine présidentielle, et le Premier ministre Guillaume Soro, chef de l’ex-rébellion des Forces nouvelles (FN) et actuel Premier ministre de la Côte d’Ivoire, discuteront avec Laurent Gbagbo des dispositions à prendre pour ne pas faire de cette présidentielle un autre rendez-vous manqué.
Si le 29 novembre, date de tenue des élections présidentielles attendues depuis 2005, n’a rien d’ésotérique, un certain scepticisme plane. Maintes fois reporté, ce scrutin doit mettre fin à la crise politique que traverse la Côte d’Ivoire depuis le coup d’Etat manqué du 19 septembre 2002 mené par les ex-FN. La partition de la Côte d’Ivoire, le sud aux mains des loyalistes, et le nord occupé par la rébellion, a rendu impossible la tenue d’une élection en 2005 comme prévu par la Constitution.
Tenir à tout prix l’échéance de 2005
Pourtant, dès le 29 septembre 2002, à Accra (Accord d’Accra I), la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) met en place un groupe de contact afin de rétablir l’ordre constitutionnel en Côte d’Ivoire. La médiation aboutira à la signature d’un accord de cessez-le-feu le 17 octobre 2002. Laurent Gbagbo, en vertu des accords militaires qui lient son pays à la France, dont les forces sont déjà stationnées en Côte d’Ivoire, demande à cette dernière de veiller au respect du cessez-le-feu. Une zone tampon est créée et est contrôlée par la Force Licorne.
La médiation de la Cedeao ouvre également la voie à des pourparlers directs. Le 24 octobre 2002, sous l’égide du président togolais Gnassingbé Eyadéma, le gouvernement et les rebelles, dont le mouvement est alors dénommé Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), conduit par Guillaume Soro, se rencontrent pour la première fois à Lomé. En dépit de quelques accords, ces premiers pourparlers directs sont un échec. Les rebelles exigent la démission de Laurent Gbagbo et l’organisation de nouvelles élections présidentielles. Le gouvernement ivoirien, lui, demande le désarmement des rebelles.
La Cedeao décide alors, le 18 décembre 2002, d’un déploiement de sa force de maintien de la paix au 31 décembre 2002. Elle réitère son appel à l’Union africaine et à la communauté internationale afin qu’elles lui prêtent main forte dans la résolution de la crise.
La paix ne passera pas par Marcoussis
La France prend le relais de la médiation en organisant à Linas-Marcoussis des pourparlers du 15 au 23 janvier 2003. Toutes les forces politiques impliquées dans la crise se retrouvent autour de la table des négociations. Outre le Front populaire ivoirien (FPI, au pouvoir), le MPCI, le PDCI-RDA, le RDR, on retrouve le Mouvement des forces d’avenir (MFA), les deux mouvements rebelles basés dans l’ouest de la Côte d’Ivoire – Mouvement pour la justice et la paix (MJP) et le Mouvement populaire ivoirien du grand Ouest (MPIGO) [ Plus tard, le MPCI, le MJP et le MPIGO se réuniront pour former les Forces Nouvelles (FN).]]-, le Parti ivoirien des travailleurs (PIT), l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI), parti créé par le Général Robert Gueï [[Arrivé au pouvoir lors du coup d’Etat de 1999, il utilise la formation politique pour se présenter aux élections de 2000 que remportera le FPI de Laurent Gbagbo]] [assassiné pendant les évènements de septembre 2002, et l’Union pour la démocratie cytoyenne (UDCY), fondé par Théodore Mel Eg et né d’une scission du PDCI.
A Marcoussis, un accord est obtenu le 23 janvier 2003 (Il est signé le 24 janvier). Le MPCI accepte le maintien au pouvoir de Laurent Gbagbo, à condition qu’un gouvernement d’union nationale soit formé. Certaines prérogatives constitutionnelles du président de la République doivent être délégués à un Premier ministre de transition (Seydou Diarra sera nommé à ce poste) dont le mandat est valable jusqu’aux législatives de 2005. Ces accords prévoient également l’organisation des élections présidentielles et, entre autres, la révision de l’article 35 de la Constitution sur les conditions d’éligibilité. Cette question, l’une de celles à l’origine de la crise ivoirienne, devrait permettre au leader du RDR, Alassane Ouattara, de se présenter aux élections présidentielles.
Les accords d’Accra II du 7 mars, signés sous l’égide du président John Kufuor, président en exercice de la Cedeao, renouvelle l’engagement des leaders politiques ivoiriens à respecter les Accords de Marcoussis. Ces derniers conduisent, le 3 mai 2003, à un cessez-le-feu global sur l’ensemble du territoire ivoirien. La zone tampon devient, le 24 mai 2003, une Zone de confiance (ZOC) démilitarisée sous le contrôle de la Force française Licorne. La Mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire (MINUCI), établie par la résolution 1479 du 13 mai 2003, commence à se déployer le 23 juin.
2006, premier report
Les hostilités ont cessé, mais un an après leur signature, les accords de Linas-Marcoussis pataugent et motivent, le 25 mars 2004, l’organisation par l’opposition de « La grande marche pacifique ». Objectif : protester contre leur non-application, qualifiés de « propositions » par Laurent Gbagbo à son retour en Côte d’Ivoire. La manifestation est interdite et sera violemment réprimée par le pouvoir. Bilan : 120 morts selon les Nations unies. Quelques jours plus tard, le 4 avril 2004, l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) succède à la Minuci pour une durée initiale de 12 mois, selon les dispositions de la résolution 1528. La force composée de 6 240 militaires, dont les éléments de Licorne, doit observer le cessez-le-feu, participer au désarmement et aider à la préparation de l’élection présidentielle prévue en 2005 par les accords de Marcoussis.
Le processus de paix doit de nouveau être relancé. Le 30 juillet, sous la présidence de Kofi Annan, à Accra (Ghana), les accords d’ Accra III dicte un nouvel échéancier de sortie de crise. En vain. L’armée ivoirienne viole le 4 novembre 2004 le cessez-le-feu en attaquant les positions rebelles. La force Licorne, touchée, riposte. Des civils ivoiriens sont tués par des soldats français pendant ces évènements. Un profond sentiment anti-français émerge alors en Côte d’Ivoire et de nombreux Français sont obligés de quitter le pays. Condamnant l’armée ivoirienne, le Conseil de sécurité prononce, le 15 novembre, les premières sanctions contre les dirigeants ivoiriens : embargo sur les armes, gel des avoirs et restriction des mouvements. Ce coup de semonce semble relancer les accords de Marcoussis : le projet de révision de l’article 35 est adopté le 17 décembre par les députés ivoiriens.
L’Afrique du Sud, mandatée par l’UA, joue les médiateurs pour relancer le processus de paix en Côte d’Ivoire. Un accord est signé à Pretoria, le 6 avril 2005, sous l’égide du président Thabo Mbeki. Cet accord confirme la tenue d’élections présidentielles le 30 octobre 2005 et règle définitivement la question de l’article 35. Mais, encore une fois, la présidentielle n’aura pas lieu. La résolution 1633 du 21 octobre 2005 du Conseil de sécurité des Nations Unies proroge pour la première fois le mandat de Laurent Gbagbo. Un nouveau Premier ministre de transition est nommé en la personne de Charles Konan Banny, auparavant gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao). Sa priorité : le désarmement en vue de l’organisation d’élections fin 2006. Le nouveau gouvernement de transition est installé le 5 décenbre 2005.
2007, deuxième report
La paix est néanmoins de nouveau compromise. Afin de protester contre la décision du Groupe de travail international (GTI), mandaté par les Nations unies pour suivre le processus de paix ivoirien, mettant fin aux activités du Parlement ivoirien dont le mandat est arrivé à terme en décembre 2005, les Jeunes Patriotes, proches du régime, organisent des manifestations sur l’ensemble du territoire. Le 16 janvier, les Jeunes patriotes bloquent Abidjan. Leur action se poursuivra durant plusieurs jours et vaut de nouvelles sanctions onusiennes.
Une rencontre inédite entre les principaux leaders ivoiriens à Yamoussoukro, la capitale politique ivoirienne, redonne de l’espoir. Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara, Konan Bédié et le Secrétaire Général des Forces nouvelles, Guillaume Soro et le Premier ministre ivoirien, Charles Konan Banny sont réunis pour la première fois le 28 février 2006. Une autre rencontre, le 5 juillet, présidée par le Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan, élabore un chronogramme d’actions : identification, désarmement et redéploiement de l’administration. Il ne sera pas respecté. C’est officiel, le 23 août 2006, le chef de l’Onuci Pierre Shori annonce que l’élection présidentielle ne pourra pas avoir lieu comme prévu le 31 octobre. La Cedeao et l’Union africaine édictent le 6 octobre 2006 les modalités de la nouvelle transition ivoirienne prorogée d’une année supplémentaire. La décision sera ratifiée par la résolution 1721 du 1er novembre 2006 tout en soulignant qu’elle sera la dernière. Laurent Gbagbo et Charles Konan Banny sont maintenus dans leurs fonctions mais leurs relations ne sont plus au beau fixe. Le président ivoirien pense déjà à une nouvelle cohabitation.
Enfin, le 29 novembre !
En décembre 2006, Laurent Gbagbo annonce le début du dialogue direct avec les Forces nouvelles. Il est entamé en février 2007 sous l’égide de Blaise Compaoré, le président burkinabé, longtemps considéré par le pouvoir ivoirien comme complice du coup de force de septembre 2002. La médiation aboutit à la signature le 4 mars de l’Accord politique de Ouagadougou. L le 4 avril, Charles Konan Banny est remplacé par Guillaume Soro. Le mois d’avril est aussi celui de la fin de la partition de la Côte d’Ivoire. La zone de confiance (ZOC) est remplacée par une Ligne verte : la force Licorne se retirera progressivement pour faire place à des brigades mixtes, composées des Forces armées de Forces nouvelles (FAFN) et des Forces de défense et de sécurité de Côte d’Ivoire (FDS-CI). La réunification du territoire et la paix seront célébrées à Bouaké, le 30 juillet 2007. Laurent Gbagbo est accueilli pour la première fois par Guillaume Soro, depuis septembre 2002, dans la zone rebelle.
Conformément aux dispositions de l’APO, les audiences foraines, nécessaires à l’identification des populations pour la constitution des listes électorales reprennent mais très vite, elles accusent du retard. Il en est même pour les opérations de désarmement. La présidentielle est repoussée au 30 novembre 2008. Cette nouvelle échéance est jugée impossible à tenir par le CPC réuni le 10 novembre, pour leur quatrième rencontre, à Ouagadougou. La Commission électorale indépendante (CEI) est chargée d’établir un nouveau calendrier. Elle doit aussi veiller au bon déroulement, et dans les délais, des opérations d’enrôlement. Finalement, les élections tant attendues, ne se dérouleront qu’un an plus tard. Après avoir indiqué des fourchettes, les autorités ivoiriennes rendent public quelques mois plus tard, le 14 mai, un décret présidentiel qui fixe au 29 novembre 2009 les élections présidentielles. Au 13 mai 2009, 6 048 114 Ivoiriens figuraient sur les listes électorales, environ 2,5 millions ne le seraient pas encore.