« En Côte d’Ivoire, la crise est plus profonde que des élections », a estimé Patrick N’Gouan, coordinateur de la Convention de la société civile ivoirienne.
« Bien trop de personnes ne mangent pas à leur faim, ne sont pas en mesure d’éduquer leurs enfants et n’ont pas accès aux services de santé. Tous les indicateurs sociaux et économiques ont dégringolé… On ne peut pas régler tous les problèmes avec la politique seule – et pourtant, depuis ces quelques dernières années, tous les efforts et les ressources de la nation sont consacres aux questions politiques et aux élections. Pendant ce temps le peuple est sacrifié », a dit à IRIN M. N’Gouan, le 2 juin.
La coalition de la société civile vient de clôturer une semaine de consultations, organisées du 22 au 29 mai, et axées sur des problématiques allant de la tolérance religieuse à l’éducation des filles, en passant par la dette publique. Ces consultations ont rassemblé des représentants du gouvernement, des partis politiques, des ONG locales et internationales, des groupes de réflexion, des bailleurs de fonds, les Nations Unies et la communauté diplomatique.
Le premier Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP) depuis la rébellion de 2002 – publié au mois de février – stipule qu’un large segment de population, privé d’accès à l’éducation, aux soins et à l’eau potable, lutte contre la pauvreté.
D’après les statistiques nationales, près de 49 pour cent des Ivoiriens vivent dans la pauvreté (c’est-à-dire avec moins de 1,35 dollar par jour). Ce chiffre, qui atteignait 38,4 pour cent en 2002, est près de cinq fois supérieur à celui de 1985.
Dans une publication récente, des représentants de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international affirment être convaincus qu’il sera très difficile pour la Côte d’Ivoire d’atteindre l’un des Objectifs du millénaire pour le développement, à savoir réduire la pauvreté de moitié à l’horizon 2015 par rapport au taux de référence de 24 pour cent de 1990.
Plusieurs participants à de récentes consultations ont expliqué à IRIN que les groupes de la société civile jouaient un rôle important dans la renaissance du pays.
« Nous avions, à un moment donné, laissé les hommes politiques [s’atteler aux problèmes affectant le pays] », a commenté Nana Dodo, qui préside les royaumes et chefferies traditionnelles de Côte d’Ivoire. « Mais lors de ces [réunions], nous avons vu [la] société civile se mobiliser et se mettre au travail pour apporter sa pierre à la construction de la Nation. »
« Il faut donc que nos autorités nous écoutent pour qu’ensemble, nous parlions le langage de la fraternité afin que la Côte d’Ivoire retrouve la paix d’antan », a-t-il ajouté.
Recommandations
Dans son rapport sur les consultations, la coalition de la société civile préconise notamment : de promouvoir l’éducation civique et morale dans l’enseignement de base; d’éradiquer la violence, l’embrigadement politique, la consommation de drogues et la triche dans les écoles et les universités ; de contrôler la croissance de la population ; de moderniser le secteur de l’emploi informel ; de réduire les inégalités entre les sexes en matière d’éducation ; et de renforcer les moyens légaux de lutte contre la violence à l’égard des femmes.
Philippe Légré, chef du parti d’opposition Mouvement des Forces d’Avenir, a déclaré que les consultations étaient comme une soupape de pression.
« Ces journées [de consensus] ont permis aux Ivoiriens de faire des propositions significatives qui permettront aux partis politiques qui vont accéder au pouvoir de s’en inspirer ».
M. Légré a ensuite ajouté : « Il faut que la société civile sache que les hommes politiques ne sont pas leurs ennemis. [De même], les hommes politiques ne doivent pas regarder la société civile d’un mauvais œil ».
S’il est vrai que la politique ne peut apporter une réponse aux nombreux maux dont souffre le pays, des élections présidentielles pacifiques et démocratiques sont néanmoins indispensables pour assurer la stabilité nécessaire au développement, ont affirmé des membres de la société civile.
« Tout nouveau report des élections [prévues le 29 novembre], pour quelque raison que ce soit, menacera l’accord politique [de Ouagadougou], qui a permis d’instaurer l’environnement pacifique que nous connaissons aujourd’hui », a indiqué Rinaldo Depagne, analyste pour l’Afrique de l’Ouest au sein de International Crisis Group.
« Si les élections ont effectivement lieu, elles constitueront un jalon vers la sortie de crise, mais un jalon seulement. Le chemin est encore long pour restaurer la stabilité, y compris après des élections. »
Le gouvernement en exercice du président Laurent Gbagbo et de Guillaume Soro, dirigeant du mouvement rebelle devenu Premier ministre – constitué en vertu de l’Accord de paix de Ouagadougou signé en mars 2007 – devait assurer un retour à la stabilité et l’organisation d’élections présidentielles dans un délai de 10 mois.