Dans certains quartiers d’Abidjan, la principale ville de la Côte d’Ivoire, les édifices et les visages conservent des traces de la guerre. Les habitants se demandent quand leurs enfants pourront de nouveau manger à leur faim.
« Nous sommes dans un enfer sur terre », a dit Rodrigue Assié Kah, un enseignant de la commune de Yopougon. « Je n’ai pas d’emploi et j’ai six bouches à nourrir ». M. Assié est assis seul devant un immeuble d’habitation qui a partiellement brûlé lorsque les forces du gouvernement sont récemment venues y chercher des individus appartenant à des groupes pro-Gbagbo.
M. Assié, 50 ans, avait prévu de prendre sa retraite dans deux ans, mais il n’a pas épargné suffisamment d’argent pour cesser de travailler tout de suite. L’école privée où il est employé est fermée depuis le début des violences postélectorales.
M. Assié possède au moins une chambre, même si elle a été complètement vidée par les pillages généralisés. Des centaines de familles n’ont même plus d’endroit où aller. Dans certaines régions, les maisons ont été détruites par les tirs d’artillerie.
À Yopougon et Abobo – deux communes qui ont été le théâtre de violents affrontements –, les moyens de subsistance de nombreuses personnes ont été détruits au même titre que leur foyer, selon l’organisation non gouvernementale (ONG) Solidarités International.
L’organisation évalue actuellement la situation en fonction de plusieurs critères, et notamment la sécurité, l’eau/assainissement, la santé et l’hébergement, à Abidjan et dans d’autres régions du pays affectées par le conflit.
Un repas par jour
À Abobo, près de la moitié des 573 ménages interrogés ont dit n’avoir aucune source de revenu. Selon l’évaluation réalisée par Solidarités, environ 40 de ces familles ont perdu leur moyen de subsistance à cause des troubles postélectoraux. Quarante pour cent d’entre elles ont dit qu’elles étaient passées de trois repas par jour à un seul.
Parmi les personnes interrogées à Yopougon, le nombre de familles ne
prenant qu’un seul repas par jour a été multiplié par sept depuis le début de la crise. Les habitants de la commune dépensent en moyenne 36 pour cent plus qu’avant pour les denrées alimentaires de base. À Abobo, un kilo de riz coûte désormais 0,88 dollar contre 0,55 dollar avant la crise ; le sucre est passé de 6,17 dollars à 7,05 dollars ; les tomates sont quatre fois plus chères ; et le prix du poisson frais a presque doublé.
« De nombreuses familles ont tout perdu », a dit Rolland Gueneau, chef de mission de Solidarités International en Côte d’Ivoire. Il a ajouté que la solidarité du peuple ivoirien était « admirable » et que les habitants se venaient mutuellement en aide, mais que le fardeau économique était de plus en plus lourd.
« Le besoin le plus urgent c’est la nourriture, ensuite, les moustiquaires ».
« La plupart des familles prennent un seul repas par jour – il s’agit généralement de `garba’ [un plat à base de poisson et de manioc] », a dit à IRIN Albertine Anoh, une infirmière de 28 ans.
« Pour le moment, on ne se permet pas de vivre comme avant », a-t-elle ajouté. Son mari a perdu plusieurs véhicules de transport public à cause des combats, et le ménage n’a pratiquement plus de revenu.
Yopougon et la réconciliation
Les observateurs estiment qu’il faudra du temps à la population pour se remettre du conflit, en particulier dans des endroits comme Yopougon, dont de nombreux quartiers étaient les bastions des partisans de Laurent Gbagbo, qui est actuellement emprisonné.
« S’il doit y avoir des bases d’une vraie réconciliation [en Côte d’Ivoire], c’est à Yopougon que cela peut partir», a dit à IRIN l’analyste politique ivoirien Romain Kacou. Il a ajouté que M. Gbagbo bénéficiait du soutien d’une partie importante de l’électorat. « Il est donc important que la commune tienne une place prépondérante dans le processus de paix ».
Des milliers de personnes déplacées à Abidjan et dans d’autres régions du pays ont dit à Solidarités qu’elles ignoraient quand elles pourraient retourner chez elles. L’incertitude actuelle représente un véritable défi pour les organisations d’aide humanitaire.
« Il est difficile de savoir comment la situation va évoluer et quand les gens pourront retourner chez eux. Il ne s’agit pas d’une science exacte », a dit M. Gueneau, de l’ONG Solidarités. « Et nous ne savons pas ce que demain nous réserve. Nous devons faire bien attention de ne pas pousser les gens à rentrer chez eux s’ils ne sont pas prêts à le faire ».
Un jeune homme qui a demandé l’anonymat a dit qu’il avait récemment descendu une route familière de Yopougon qu’il n’avait pas empruntée depuis les troubles postélectoraux. « Je vous le dis : Yopougon n’est plus la même. On voit partout des impacts de balles et les quartiers sont désertés. La guerre, c’est terrible ».