A seulement 44 ans, Guillaume Soro, président de l’Assemblé nationale ivoirienne, revendique vingt-quatre ans d’engagement politique au compteur. Il a survécu à six tentatives d’assassinat, dont une au lance-roquettes. Pas étonnant, avec ce passé, que les récentes accusations portées contre lui ne semblent pas troubler la sérénité d’un homme tout entier tendu vers son destin.
Au contraire. Tous ces obstacles sur la route du pouvoir présidentiel, qu’il pourrait envisager de conquérir en 2020, paraissent renforcer sa détermination. Renforcer, aussi, et de façon contreproductive pour ses détracteurs, sa stature d’homme d’Etat crédible, puisque, comme l’écrivait Flaubert, c’est au nombre de ses ennemis que l’on calcule la valeur d’un homme.
Coup d’Etat manqué et dossier vide
Le Burkina Faso accuse Guillaume Soro d’avoir participé, aux côtés de putschistes proches de Blaise Compaoré, à la tentative de coup d’Etat perpétrée en septembre 2015. Le voisin du nord de la Côte d’Ivoire s’appuie sur l’enregistrement et la publication sur Internet d’écoutes téléphoniques, où certains à Abidjan reconnaissent la voix de l’homme politique ivoirien donnant des consignes afin d’assurer le succès du putsch. L’homme ainsi enregistré reconnaît également son implication dans l’exécution des hommes politiques ivoiriens Désiré Tagro et Ibrahim Coulibaly. Forcément, ça fait mauvais genre.
Début 2016, la justice burkinabé demande à la Côte d’Ivoire l’extradition de Guillaume Soro, avant de se rétracter et de s’en remettre à la voie diplomatique. Le dossier est désormais entre les mains du Président ivoirien Alassane Ouattara, ce qui fait dire à son numéro deux qu’il s’agissait bien d’une cabale, puisqu’aucun élément tangible n’a finalement permis de l’inquiéter. L’authenticité de l’enregistrement est d’ailleurs remise en question. Pour Norbert Pheulpin, membre du collège national des experts judiciaires en acoustique, « la pièce audio concernée ne peut être présentée comme étant l’enregistrement intègre d’une interception téléphonique classique (…) l’hypothèse d’une intervention de type montage peut être objectivement retenue ». Une calomnie destinée à fragiliser les ambitions politiques de Guillaume Soro au sein d’un pays où, il le reconnaît lui-même, « tout le monde pense à la Présidentielle de 2020 » ? Pas impossible.
Les neuf vies de Guillaume Soro
Malgré toutes ces tentatives de déstabilisation, Guillaume Soro est-il vraiment « sans rancune ni intention de vengeance », comme il l’affirme au cours d’une interview au Monde ? On est tenté de le croire : il a déjà réchappé à six tentatives d’attentats, dont l’attaque à la roquette de l’avion avec lequel il a atterri à Bouaké, en 2007, qui fera quatre morts au sein de l’équipage. Des expériences traumatisantes qui en auraient échaudé plus d’un. Pas lui. Au perchoir de l’Assemblée ou dans les rues d’Abidjan, l’homme affiche toujours le regard serein et le sourire bienveillant qui font sa signature.
Ancien chef du mouvement rebelle des Forces nouvelles de Côte d’Ivoire, il fût Premier ministre de Laurent Gbagbo avant de rallier le camp Ouattara après sa victoire à l’élection présidentielle de 2010. De cette première expérience à la tête du gouvernement, Guillaume Soro dit ne rien regretter. « Je ne suis pas homme à renier mes amitiés », affirme-t-il encore au Monde, alors que le procès de son ancien mentor a débuté le 28 janvier à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. La perspective de rejoindre Laurent Gbagbo devant la CPI semble amuser l’actuel locataire du perchoir ivoirien, même s’il se dit prêt à répondre devant les juges de La Haye. Encore et toujours, il assume le recours à la force pour déloger l’ancien locataire du palais présidentiel. Il assume les violences et renvoie la responsabilité à un Gbagbo arc-bouté sur le pouvoir.
Homme de mission… et d’avenir ?
« Galvanisé » par le soutien du Président Ouattara, Guillaume Soro est d’ores et déjà en piste pour un nouveau mandat de député lors des élections de novembre 2016, et se voit rempiler à la tête de l’Assemblée nationale. Mais c’est bien la Présidentielle de 2020 qui est dans toutes les têtes. En homme politique aguerri, Soro se défend de toute ambition personnelle, mais rappelle son engagement, dès ses plus jeunes années, lorsqu’il dirigeait la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire. Un engagement qui lui avait déjà valu de faire six séjours derrière les barreaux. Comme il aime à le répéter à ses interlocuteurs, Guillaume Soro se voit avant tout comme « un homme de mission, pas d’ambition ». Un homme qui à l’art, en tout cas, de sortir indemne des situations les plus délicates.
Cette image d’homme politique habile mais fougueux, stratège mais sulfureux, cette réputation de « Che » africain, comme on le surnomme parfois (comme on a surnommé avant lui le Burkinabé Thomas Sankara), Guillaume Soro s’applique cependant à la gommer peu à peu. S’il souhaite marquer de son empreinte l’histoire de la Côte d’Ivoire, c’est désormais en tant que réformateur d’un pays dont l’économie, encore essentiellement extractive, doit se diversifier, attirer les investissements étrangers, créer de l’emploi, se faire plus inclusive. 2020, c’est certes l’année de la prochaine élection présidentielle, mais c’est aussi et surtout l’horizon à partir duquel la Côte d’Ivoire souhaite bénéficier du statut de pays émergent. Une ambition que Guillaume Soro prend très au sérieux. Aujourd’hui en tant que président de l’Assemblée nationale. Demain, qui sait…