La compagnie des grands de ce monde, loin d’être une occasion de plastronner, est une source de profonde méditation pour le sage, fût-il lui-même déjà d’une grande notoriété parmi les siens. Les voyages ne forment pas seulement la jeunesse, ils dessinent la sphère de ces abeilles butineuses de premier rang que sont les hommes politiques d’avenir. Qui ne voit pas en quoi Guillaume Soro nous donne l’occasion de vérifier cette vision prospective du politique ?
L’homme des devants, comme j’aime à l’appeler, accomplit actuellement une visite remarquable de profondeur et de simplicité au pays du grand Mao Tsé-Toung. Or la Chine populaire contemporaine, à n’en pas douter, est un géant surgi de l’exceptionnelle capacité d’un peuple et de ses dirigeants à se consacrer avec endurance et persévérance à un idéal de civilisation, à une vocation historique, à une série inégalée et spectaculaire de transformations matérielles, intellectuelles, économiques, sociales et politiques, dans un monde pourtant en constante mutation, où la raideur d’esprit mène les plus arrogants à leur perte certaine.
Dès lors, comprendre comment Guillaume Soro, chef des parlementaires ivoiriens et second personnage de l’Etat de Côte d’Ivoire, cerne les enjeux de cette grande puissance mondiale, c’est essayer d’accéder aux raisons pour lesquelles la démocratie ivoirienne, qui vient de doubler le salaire minimum des travailleurs, entre autres avancées dans les domaines du genre, de l’apatridie et du foncier rural, est incontestablement le meilleur laboratoire de la modernisation de l’Afrique francophone contemporaine. Evidemment, il nous faudra, dans un premier moment, écarter les conceptions erronées de la relation partenariale sino-africaine pour voir comment, anticipant sur tous ces écueils, Guillaume Soro, résolument, ouvre les yeux à tous les parlementaires et prospecteurs politiques africains, sur les possibilités inouïes d’une modernité mondiale multipolaire, inventive, courageuse et respectueuse des valeurs universelles de fraternité, de liberté, d’égalité et de solidarité, véritables ciment du monde du 21ème siècle émergeant sous nos yeux, telle cette île nouvelle récemment découverte au large des côtes japonaises.
Des mésinterprétations de la coopération sino-africaine au sens de l’Histoire de Guillaume Soro
On ne manquera pas de trouver, parmi les observateurs de la démarche politique internationale du président de l’Assemblée nationale ivoirienne, des langues qui ne se délient que pour voir le diable dans les moindres détails. « Guillaume Soro, disent-ils, s’ennuie tellement au parlement qu’il va par monts et vaux à travers le monde ». Pourtant, jamais depuis la mort de Félix-Houphouët-Boigny, on a vu le parlement ivoirien en aussi bonne santé, alerte sur tous les fronts : modernisation du cadre de travail des députés, diplomatie parlementaire tous azimuts, lois-phares de développement social, stimulation des classes créatives de la nation, implication dans toutes les constructions patientes et fécondes du panafricanisme concret, etc. S’ennuyer au parlement de Côte d’Ivoire, par les temps d’urgence sociale, économique et de demandes d’avenir qui courent, ce serait donc sans conteste un signe de profonde surdité mentale. Mais la rumeur ne tarit point.
D’autres disent encore : « Guillaume Soro voyage pour se chercher une notoriété internationale et consolider son avenir politique national ». Comment ne pas voir l’incongruité de ces analyses où les bas calculs frôlent grossièrement les abîmes de la politicaillerie ? La vérité, une fois de plus, est à chercher du côté du sens de l’intérêt général qui, de sa lutte comme leader de trempe du syndicalisme estudiantin ivoirien à son engagement sacrificiel pour la démocratisation effective de son pays comme ministre d’Etat et Premier ministre, a toujours servi de boussole aux grandes manœuvres du Camarade Bogota depuis le milieu des années 90. Et disons-le tout net : si Guillaume Soro a une notoriété internationale, elle lui vient d’abord de l’exceptionnel destin national que son sens de l’histoire, son courage et sa fidélité à ses idéaux et amitiés politiques, lui auront valu au pays d’Houphouët-Boigny.
La Chinafrique, une forme de coopération nouvelle gagnant-gagnant entre la Chine et l’Afrique
Mais il y a pire. Et ici, nous avons affaire à des critiques proprement ciblées sur les nouvelles dimensions de la coopération sino-africaine. Dans la foulée de la dénonciation de la Françafrique, cette mafia internationale persistant entre certaines élites corrompues de France et leurs complices d’Afrique, est apparu, ces dernières années, un nouveau concept, que les dirigeants et intellectuels politiques africains ne sauraient ignorer : la Chinafrique[1]. Ce nouveau concept désignerait, en concurrence avec la Françafrique, une forme de coopération nouvelle entre la Chine et l’Afrique, autour d’un principe gagnant-gagnant qui n’aurait cure des avancées démocratiques, du respect des droits de l’Homme, de la prise en compte effective des revendications socio-économiques des masses sino-africaines, ou même des exigences sécuritaires écologiques qui devraient de plus en plus encadrer la transformation industrielle de notre planète.
Alors que la Françafrique semblerait illustrer le principe de la coopération immorale, en ce sens que la mafia héritière du réseau colonial franco-africain continue de proclamer les idéaux démocratiques, alors qu’elle ne vise que des intérêts égoïstes monstrueusement illimités, la Chinafrique serait le terrain idoine de la coopération amorale. Par cette dernière notion, on voudrait suggérer que dirigeants chinois et africains coopéreraient sans la moindre considération morale ou immorale, à l’abri de tous les scrupules, et uniquement dans le respect des contrats gagnant-gagnant qu’ils passent les uns avec les autres. La réalité des choses est-elle effectivement celle que ces concepts paraissent limpidement décrire ? En vérité, il y a là encore, abus de langage. A vouloir décrire l’Afrique comme « le Far West »[2] des Chinois, on s’empresse de négliger les luttes sociales des Chinois et des Africains pour acquérir, chaque jour, de nouveaux droits sociaux, économiques, culturels et politiques.
Servir l’émergence de la modernité économique, sociale, culturelle et politique des Ivoiriens
On oublie la commune condition humaine qui lie de plus en plus, dans une conscience planétaire qui ne peut qu’aller vers la revendication d’une fraternité, d’une égalité, d’une liberté et d’une solidarité toujours plus puissantes entre toutes les régions interdépendantes de la planète. Et de la même façon que les anticolonialistes dogmatiques africains ont vite fait de la Françafrique, le voile de leur refus de la démocratisation interne des sociétés africaines, ainsi les théoriciens bien-pensants de la Chinafrique, bien que partant de dérives gestionnaires et prédatrices indiscutables, ont tôt fait, en masquant leur propre concurrence impériale, de donner à croire que l’essentiel n’est pas dans la capacité progressive des peuples de Chine et d’Afrique de vaincre le fatalisme des dominations intérieures par l’instauration de pouvoirs réellement émancipateurs et modernes dans leurs pays respectifs. La démocratie, l’Etat de droit, en Chine comme en Afrique, ont vocation historique à vaincre les impérities des élites corrompues de tous continents qui seront, coûte que vaille, irréversiblement soumises à la pression morale et engagée des citoyens du monde, en vertu même de la montée en puissance de l’interconnexion des peuples de la terre.
Or, Guillaume Soro se soustrait précisément à ce marché de dupes, où au nom de la haine de l’ex-puissance coloniale française, on prive les Africains de la démocratie tout comme au nom de la guerre déclarée à la Chinafrique, on nie les efforts de modernisation politique des nouveaux dirigeants Africains et Chinois, tout comme on fait mine d’ignorer l’intransigeance irréversible de tous les citoyens du monde envers les dictateurs de toutes couleurs. Légitimement élu dans son pays, dont la démocratie émergente a été conquise à rude prix de sang, de sueur et de larmes, Guillaume Soro sait sans doute qu’il peut tendre avec confiance, la main à tous les partenaires pertinents du parlement ivoirien, puisque ce qu’il obtiendra ainsi, a justement vocation à servir l’émergence de la modernité économique, sociale, culturelle et politique demandée de tous leurs vœux par tous les Ivoiriens de bonne volonté et saints d’esprit. La coopération entre la démocratie ivoirienne et la république populaire de Chine ne remet donc aucun des fondamentaux des deux Etats en cause, mais les compose dans une entente cordiale, où le bon sens, l’intérêt et le respect réciproque indiquent une saine appréciation, de part et d’autre, des réalités incontournables du monde tel qu’il va. Démocratie représentative de style présidentialiste, alors que la Chine se présente comme une démocratie populaire de style centraliste, les deux pays n’ont aucune vocation à se mimer, mais à s’inspirer, dans les limites respectées de leurs personnalités juridico-politiques respectives. Cette précaution prise, n’est-il pas alors possible de dessiner les grandes lignes de la lecture que fait Guillaume Soro du modèle chinois ? Un extrait de l’allocution du chef du parlement ivoirien devant l’Assemblée Populaire de Shanghaï en annonce les couleurs. Guillaume Soro y invite la Chine à « ouvrir ses bras aux pauvres et disposer son cœur à recevoir avec la même spontanéité, les plus faibles, humiliés et avilis dans un monde où seule compte la puissance militaire et financière ».
Tel sera l’objet de la deuxième partie de la présente tribune internationale : « L’expérience politique chinoise de Guillaume Soro ».