Les tractations pour constituer un gouvernement d’union nationale ont été enclenchées. Démenties par des proches d’Alassane Ouattara avant que ce dernier ne les confirment, elles semblent connaître des couacs majeurs. Le Front populaire ivoirien (FPI) de l’ancien président Laurent Gbagbo affirme pourtant vouloir saisir « la perche » d’un gouvernement d’union nationale.
Alassane Ouattara prête serment ce vendredi après avoir été proclamé, la veille, Président de la Côte d’Ivoire par Paul Yao N’Dré, le président du Conseil constitutionnel, qui avait reconnu Laurent Gbagbo en dépit des résultats proclamés par la commission électorale en faveur du nouveau chef de l’Etat ivoirien le 2 décembre dernier. Il ne manque désormais qu’« un gouvernement d’union nationale » à la Côte d’Ivoire après la désignation le 1er mai dernier du président de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation, l’ancien Premier ministre ivoirien et gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), Charles Konan Banny. La mise en place d’un gouvernement « avant fin mai » est le deuxième chantier prioritaire d’Alassane Ouattara, après celui de l’établissement de la Commission. Une seule certitude : le nouveau gouvernement devrait être connu après l’investiture du président ivoirien le 21 mai prochain. « Y figureront des ministres issus du FPI (le parti de l’ancien Président), à la condition qu’ils me reconnaissent comme président… ce qui n’est pas encore le cas », a-t-il confié dans un entretien exclusif publié le 28 avril dernier par La Croix.
Soro : Premier ministre sortant ?
Le concept d’« Union nationale » renvoie surtout à l’intégration des anciens fidèles de son prédécesseur et patron du Front populaire ivoirien (FPI). Une démarche démentie par Alain Lobognon, le conseiller spécial de Guillaume Soro, le Premier ministre d’Alassane Ouattara, dans un entretien publié le 23 avril dernier dans Nord-Sud. « M. Ouattara n’a aucun problème pour former un gouvernement. Il est dans une coalition avec des personnalités politiques de premier ordre comme le président Henri Konan Bédié et le Premier ministre Guillaume Soro. Et nous savons que la question de la formation du gouvernement ne fait pas l’objet de débat en ce moment dans les différents états-majors. Certaines personnes souhaiteraient voir leur parti, sans doute le FPI, intégrer le gouvernement. Pendant la campagne électorale, le président Ouattara avait déjà promis un gouvernement d’union nationale», affirmait-il. L’entrée du FPI a été depuis confirmée par le président Ouattara. Cependant, la véracité de la fin du propos d’Alain Lobognon n’est pas remise en cause. Car l’alliance politique, le Rassemblement des houphouétistes pour la paix (RHDP), qui a porté Alassane Ouattara au pouvoir, fédère depuis le coup d’Etat de 2002 les principaux acteurs de la classe politique ivoirienne, à l’exception de l’ex-rébellion des Forces nouvelles (FN) et du FPI, alors au pouvoir. C’est dans ce cadre qu’une stratégie de gouvernement s’est dessinée au RHDP en vue de remporter la présidentielle du 31 octobre 2010. Elle sera pleinement mise en œuvre au second tour quand les autres partis de l’alliance reportent leurs voix sur le candidat du Rassemblement des républicains (RDR). Avant la crise post-électorale et selon les accords prévus au sein du RHDP entre le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), de l’Union pour la démocratie et pour la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI) et du Mouvement des forces d’avenir (MFA), leur gouvernement d’union devait être composé de la façon suivante : 40% pour cent au parti qui arrive en tête au premier tour (RDR), 35% pour le second (PDCI), 10% pour l’UDPCI et 5% pour le MFA. La société civile se partageant le reste des postes. Le RHDP avait vocation à devenir un parti unique après les élections.
Ces dispositions d’avant crise électorales sont appelées à évoluer, notamment pour intégrer des responsables du FN, qui ont joué un rôle décisif, dans l’accession d’Alassane Ouattara au pouvoir. Un rôle déterminant mais souhaité par Henri Konan Bédié qui a suggéré la nomination de Guillaume Soro au poste de Premier ministre, le 4 décembre 2010, en dépit des accords conclus au sein du RHDP. La primature devait être confiée au PDCI dont le chef a estimé que le secrétaire général de l’ex-rébellion des FN était le plus habilité à organiser la résistance face à Laurent Gbagbo. Guillaume Soro, qui a aussi la casquette de ministre de la Défense, est le monsieur « sécurité » d’Alassane Ouattara. Ses ex-FN, devenues membres des Forces républicaines de Côte d’Ivoire, la nouvelle armée ivoirienne, sont les garants du retour de la sécurité. Date butoir fixée par Alassane Ouattara : «juin». Le calendrier pourrait justifier le maintien de Guillaume Soro, dont le conseiller politique Alain Lobognon considère que la mission n’est pas encore achevée. « Pour l’heure, Soro Guillaume a une mission, il ne l’a pas encore totalement accomplie. Et, il reviendra au président de la République, sans doute avec son allié le président Bédié, de décider de retirer la confiance à M. Soro ou de lui renouveler cette confiance.» Ce qui explique le rôle clé d’Henri Konan Bédié dans la formation du gouvernement Ouattara. Il est en serait le maître d’œuvre et rencontrerait toutes les formations politiques, y compris ses alliés.
L’union nationale sans le FPI ?
C’est Pascal Affi N’Guessan, le président du FPI, qui semble-t-il avait commencé à négocier pour le compte de son parti avec le camp Ouattara. Alors qu’il était retranché à la Pergola (un hôtel d’Abidjan), il aurait exigé quatre postes ministériels contre trois proposés par Alassane Ouattara, selon le quotidien ivoirien Soir Info. Les revendications du FPI feraient ainsi passer le nombre de ministres à 35, au lieu des 32 prévus. Le gouvernement de crise de Guillaume Soro, formé le 5 décembre 2010, n’en compte que 12.
Depuis le 22 avril dernier, après avoir déclaré qu’« une ambiance de dictature s’install(ait) progressivement sur le pays » avec le régime Ouattara, le président du FPI a été transféré à l’Hôtel du golf. Il est aujourd’hui en résidence surveillée à Katiola (Nord du pays). Son statut et ses prises de position interrogent sur le déroulement des pourparlers entamés. Le communiqué de Pascal Affi N’Guessan, publié le 21 avril, ne paraît pas des plus conciliants. Dans le document, il s’opposait aussi ouvertement à une proposition de Mamadou Koulibaly, président de l’Assemblée nationale et vice-président du FPI, faite au chef de l’Etat ivoirien. A la suite de sa rencontre avec Alassane Ouattara, le 20 avril dernier, Mamadou Koulibaly l’avait invité à s’exprimer le 27 avril dernier devant les députés. Une proposition acceptée dans un premier temps par Alassane Ouattara qui reviendra sur sa décision. Certains de ses partisans étaient opposés à la rencontre, tout comme Pascal Affi N’Guessan qui est monté au créneau pour appeler les députés de son camp à boycotter la session. «Comment le groupe parlementaire peut-il avoir une oreille attentive au discours du chef de l’Etat alors que Laurent Gbagbo, fondateur du parti croupit en prison en un lieu inconnu de ses proches et que cette situation divise le pays ?». Autre raison évoquée par le responsable politique dans son communiqué du 21 avril : l’absence de la présidente de son groupe parlementaire, Simone Gbagbo également en résidence surveillée à Odienné, dans le Nord de la Côte d’Ivoire.
Les responsables du FPI semblent partagés sur la conduite à tenir face au nouveau président Ouattara dont ils reconnaissent désormais unanimement la victoire. « Pour qu’il y (ait) réconciliation, il faut des actes concrets. Et c’est un des actes concrets que d’aller à un gouvernement d’union, a indiqué ce lundi le secrétaire général du FPI Miaka Oureto à Onuci FM, la radio des Nations unies en Côte d’Ivoire. C’est une perche qu’il faut attraper pour que les négociations, les discussions puissent vraiment être menées de manière responsable et dans la sérénité. »
De Korhogo où il est détenu, Laurent Gbagbo confiait le lendemain : « Le pays doit panser ses plaies, l’économie et la sécurité priment sur la politique ». Il s’exprimait en ces termes face à la délégation des « Elders ». L’ancien président ivoirien leur a aussi promis de s’adresser aux Ivoiriens pour apaiser les esprits mais les enquêtes préliminaires, en vue d’une procédure judicaire dont il fera l’objet à compter de ce vendredi, pourraient contrecarrer ses plans. Et nuire au bon déroulement des pourparlers en vue d’un gouvernement d’union nationale. Mais Alassane Ouattara peut-il se passer de représentants du FPI dans son futur gouvernement s’il tient à la réconciliation nationale ?