Un Premier ministre, Guillaume Soro, et un ministre de l’Intérieur, Désiré Tagro, accusés de corruption alors que la Côte d’Ivoire peine à organiser les présidentielles qui devraient mettre un terme à la crise politique qui la secoue depuis 2002. Pour plusieurs journaux de l’opposition, c’est la dernière tentative en date du président Laurent Gbagbo pour repousser cette échéance. Revue de presse.
Laurent Gbagbo, le chef de l’Etat ivoirien, a ordonné ce dimanche l’ouverture d’une enquête pour détournement de fonds visant un proche, le ministre de l’Intérieur Désiré Tagro, et le Premier ministre Guillaume Soro, secrétaire général des Forces nouvelles, l’ex-rébellion ivoirienne. Le procureur de la République Raymond Tchimou a été saisi par le président ivoirien qui souhaite savoir si le ministre de l’Intérieur a perçu « seul ou avec autrui (notamment le Premier ministre), la somme de dix milliards de francs CFA qui lui auraient été versée à titre de commission par la société Sagem Sécurité ». La société française a été en charge de l’identification des populations en vue de la réalisation des listes électorales.
Le quotidien du Front populaire ivoirien (FPI) Notre Voie, parti au pouvoir, voit dans cette démarche « la continuation de la logique de moralisation de la vie publique » du président Gbagbo, qui a débuté dans la filière café-cacao. Pour Notre Voie, il est clair que « dans sa volonté de moraliser la vie publique, le président Gbagbo n’entend ni épargner ni protéger personne ». Mais Désiré Tagro ne serait-il pas un pion sacrifié pour mieux nuire par ricochet à Guillaume Soro ? Pour la presse ivoirienne d’opposition, cette allusion indirecte au Premier ministre constitue une énième tentative pour repousser le scrutin présidentiel censé mettre fin à la crise politique qui mine la Côte d’Ivoire depuis le coup d’Etat manqué de septembre 2002.
Le Nouveau réveil, organe officiel du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) d’Henri Konan Bédié, note ainsi qu’à la lecture attentive « du communiqué de la présidence qui ordonne au procureur d’ouvrir l’enquête, on se rend bien compte que les mots [ndlr « notamment le Premier ministre »] sont orientés ». Soupçons que partage Le Patriote, proche du Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara. « Gbagbo aurait voulu la peau de son Premier ministre qu’il ne s’y prendrait pas autrement », écrit le journal.
Soro, le baobab à terrasser
« Sacrifier Tagro est le moindre des sacrifices », analyse Le Nouveau Réveil. Avant d’expliquer que « si Tagro tombe, Soro aussi doit tomber avec lui. Or, Soro est le garant de l’Accord politique de Ouagadougou (APO). S’il tombe et qu’il n’est plus Premier Ministre, il va sans dire que l’Accord politique de Ouagadougou aussi sera enterré. Et si l’APO est enterré, c’est le processus électoral qui sera reporté sine die ».
Autre point de l’enquête de Raymond Tchimou qui met en cause Désiré Tagro et donne du grain à moudre aux journaux de l’opposition : déterminer si ce dernier a « directement ou indirectement marchandé les places mises au concours d’entrée » à l’Ecole Nationale de Police en 2007, 2008 et 2009. Le président de l’Assemblée nationale Mamadou Koulibaly l’avait accusé le 2 juin d’avoir recruté massivement les ressortissants de sa région à l’Ecole nationale de police (ENP).
Le Patriote indique que le ministre de l’Intérieur a lui-même reconnu que les deux tiers des places aux concours d’entrée à l’ENP sont réservées au FPI. Mais, toujours selon le quotidien du RDR, il aurait révélé les noms des bénéficiaires des places : Pascal Affi N’Guessan, le président du FPI, la Première dame Simone Gbagbo, le député Sokoury Bohui, par ailleurs secrétaire national aux élections au FPI et Konaté Navigué, le leader des jeunes du parti au pouvoir. Ils « déposeraient des listes de leurs protégés aux différents concours d’entrée à l’Ecole de Police ». Le Patriote se demande alors « pourquoi ne pas élargir l’enquête à leur niveau » ? Avant de répondre « On voit bien vers qui le chef de l’Etat dirige l’enquête qu’il a confiée à Tchimou, on imagine le baobab qu’il veut terrasser ».
Face à ces accusations, L’Expression, qui revendique son indépendance, ironise : « Dans la logique de l’exercice du pouvoir par le parti aux affaires, les choses sont ainsi. Et pas autrement. L’administration, les forces de défense et de sécurité, tout comme les grandes poches à sous du pays, tout doit être géré au bénéfice du clan. Au profit du système. Exit la bonne gouvernance, les principes d’équité entre citoyens, la neutralité de l’Etat ».
Avant de conclure que peu de gens « espèrent des actes de justicier du chef de l’Etat ». « La majorité des Ivoiriens attendent au moins que Laurent Gbagbo laisse évoluer le processus électoral, poursuit L’Expression. Des élections libres et transparentes, avec au bout un président légitime sorti des urnes, cela peut remettre le pays sur les rails. Et au moins, atténuer le devoir de corruption qui gangrène la Côte d’Ivoire. » Le procureur de la République a un mois pour livrer les résultats de son enquête.