Jacques Chirac s’est déclaré favorable à une augmentation des pouvoirs du Premier ministre, Konan Banny. Mais le chef de l’Etat ivoirien, Laurent Gbagbo, refuse catégoriquement cette éventualité.
Les pouvoirs du Premier ministre ivoirien, Charles Konan Banny, sont au cœur du désaccord ivoiro-français. Le Président français, Jacques Chirac, s’est prononcé en faveur d’un élargissement des pouvoirs de Charles Konan Banny après le 31 octobre, date à laquelle étaient prévues les élections générales qui ont finalement été repoussées. Une annonce qui n’a pas plu à son homologue ivoirien, Laurent Gbagbo, qui récuse toute ingérence étrangère dans le traitement de la crise ivoirienne.
Pour et contre les pouvoirs de Konan Banny
« On ne peut pas avoir un gouvernement qui n’a pas d’autorité, a expliqué Jacques Chirac lors du 11e sommet de la Francophonie à Bucarest (Roumanie, du 28 au 29). Je considère que M. Konan Banny est un homme de sagesse, qui n’est pas impliqué dans la défense d’intérêts particuliers en Côte d’Ivoire, qui incarne donc autant que faire se peut l’intérêt général. Je serais donc, pour ma part, tout à fait favorable à ce qu’une disposition constitutionnelle lui permette d’avoir les pouvoirs les plus larges possibles. » Le Groupe international de travail, chargé de suivre l’évolution du processus de paix, avait lui-même recommandé, lors de sa dernière réunion le 8 septembre, un renforcement des pouvoirs de Charles Konan Banny dans le but d’éviter des blocages. Option que certains partis d’opposition (Rassemblement des républicains – RDR – d’Alassane Dramane Ouattara ou encore Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain – PDCI-RDA – de Henri Konan Bédié) n’excluent pas.
Une proposition loin de satisfaire le chef de l’Etat ivoirien Laurent Gbagbo. Samedi dans la commune d’Abobo, à l’occasion de l’intronisation du nouveau chef du village d’Anonkoua, il a rejeté toute ingérence dans le processus de paix. « Nous ne sommes plus disposés à ce que quelqu’un vienne faire la paix pour nous. Notre paix sera notre paix parce qu’elle sera faite par nous, pour nous et pour nos enfants. (…) Nous ne ferons pas ce que les gens nous dictent. Je ne suis pas Président pour travailler sous la dictée de quelqu’un. Je suis chef de l’Etat élu par le peuple », a-t-il déclaré.
« La date du 31 octobre n’existe plus »
« Elu par le peuple ». C’est l’un des arguments avancés par le parti présidentiel, le Front populaire ivoirien (FPI), pour refuser un accroissement des prérogatives de Charles Konan Banny. « Les propos du Président français ont énormément surpris l’ensemble des Ivoiriens et le président Gbagbo. Si demain la France était envahie par le Luxembourg et occupée pour moitié, je ne pense pas que le Président français accepterait qu’un Président américain choisisse un Premier ministre et lui donne tous les pouvoirs. Il serait donc de bon ton que le Président français fasse de même en reconnaissant la souveraineté du Président Laurent Gbagbo, librement élu. Le reste n’est que fadaises », nous expliquait lundi après-midi Sylvain de Chambry, conseiller spécial auprès de Laurent Gbagbo pour la communication et la politique.
Pascal Affi Nguessan, président du FPI, avait pour sa part lancé jeudi au Plateau-Dokui : « Que Gbagbo forme un nouveau gouvernement avec le Premier ministre qu’il veut. Banny se fatigue pour rien, en faisant le tour des chefs d’Etat pour réclamer de nouvelles délégations de pouvoirs et la modification de la Constitution ». Egalement porte-parole pour l’Europe, Sylvain de Chambry estime que Laurent Gbagbo est la cible d’une sorte de complot de la part de la France, de la Mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire et de l’opération Licorne qui soutiendraient les rebelles. Selon lui, l’objectif est de « donner ou vouloir donner le sentiment que le problème de fond est extrêmement simple : le Président Chirac ne veut plus du Président Gbagbo ».
D’où cette décision de ne plus tenir compte des décisions onusiennes. « Lors d’un discours devant les représentants de l’armée gouvernementale, il a fait état d’un souci de stagnation et donc de sa décision qui est de dire que l’Onu n’est pas représentative pour sortir la Côte d’Ivoire de la crise, rapporte Sylvain de Chambry. Ce qui signifie que la date du 31 octobre, fixée par les Nations Unies, n’existe plus. Depuis quatre ans, la situation stagne, donc ce n’est pas la peine de palabrer. »
La crise dans les mains africaines
Le responsable présidentiel appelle Jacques Chirac à ne pas « déclencher un deuxième Rwanda ». Mais cette prise de position risque de raviver des tensions. Les rebelles des Forces Nouvelles (FN), qui contrôlent le Nord du pays depuis septembre 2002, refusent de voir le mandat de Laurent Gbagbo prolongé. Lors du sommet de la Francophonie en Roumanie, leur secrétaire général, Guillaume Soro, aurait proposé au Président en exercice de l’Union africaine – le chef de l’Etat congolais Denis Sassou Nguesso – d’instaurer un système de président de transition soutenu par deux vice-présidents : un du FPI et un issu des FN.
Ce week-end à Abuja (Nigeria), des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest vont s’entretenir sur les modalités de la transition et les futures élections générales. L’union africaine planchera ensuite sur un nouveau plan de paix, qu’elle remettra au Conseil de sécurité des Nations Unies. L’instance devrait se prononcer sur le texte le 17 octobre.