Côte d’Ivoire : et si on avait fait la guerre pour le cacao ?


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Les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), proches d’Alassane Ouattara, le président élu selon la commission électorale ivoirienne, se sont emparées d’Abidjan le 31 mars. Une date qui correspond à l’ultimatum fixé par le président sortant ivoirien Laurent Gbagbo aux négociants de cacao dont il a menacé de nationaliser les stocks. L’Union européenne a décidé ce vendredi de lever les sanctions contre le port d’Abidjan et de San Pedro. C’est de ce dernier qu’est exportée la production de cacao dont le marché a fait face à une opération spéculative d’envergure menée par un fonds de pension dénommé Armajero en juillet dernier.

L’offensive des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), pro-Alassane Ouattara, visait-elle la reprise des exportations de cacao ? Elles représentent 40% de l’économie ivoirienne et la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial de la matière première du chocolat. Dès les premières heures de la crise post-électorale le 2 décembre, Alassane Ouattara, déclaré vainqueur du second tour de la présidentielle du 28 novembre 2010 par la commission électorale ivoirienne, prône l’usage de la force pour déloger le président sortant, Laurent Gbagbo. Mais les évènements s’accélèrent brusquement lors de la dernière semaine du mois de mars et le 31, la capitale économique Abidjan, se retrouve aux mains des FRCI, qui quelques heures plus tôt se sont emparées du port de San Pedro, principal port d’exportation du cacao. Quelque 400 000 tonnes attendent de prendre la mer et risquent à cette date du 31 mars d’être nationalisées par le camp Ggagbo. Environ 100 000 tonnes appartiendraient à la Société africaine de cacao (Saco, filiale du groupe suisse Barry Callebaut, premier producteur mondial de cacao) et 50 000 autres à son concurrent, l’américain Cargill, selon les autorités ivoiriennes.

Afin d’asphyxier le régime de Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara a ordonné « l’arrêt immédiat de toute exportation de café et de cacao à compter du lundi 24 janvier 2011 et ce jusqu’au 23 février 2011 ». Une interdiction qui sera prorogée. « Le gouvernement rappelle que les contrevenants à cette mesure seront considérés comme finançant les activités de l’administration illégitime de Monsieur Laurent Gbagbo et s’exposent à des sanctions internationales », indiquait le communiqué publié par Guillaume Soro, le Premier ministre d’Alassane Ouattara, le 22 février dernier. Pour soutenir la démarche du président ivoirien, l’Union européenne (UE) impose des sanctions aux deux ports ivoiriens d’Abidjan et de San Pedro. Il est interdit aux navires européens d’y accoster alors que le Vieux Continent consomme environ 80% du cacao ivoirien. A la mi-février, les planteurs ivoiriens, menés par Bléhoué Aka, le président du Conseil national des sages de la filière café-cacao (CNS), avaient protesté devant les locaux de l’UE contre cette mesure qui les pénalisaient. Plus tard, les négociants menaceront le camp Ouattara de se tourner vers Laurent Gbagbo s’il ne leur était toujours pas possible d’exporter leur production. Ricardo Leiman, directeur exécutif de la maison de commerce chinoise Noble Group (Hong Kong), confie le 21 mars au Financial Times qu’il est prêt à payer des taxes à l’administration de Laurent Gbagbo pour vendre ses stocks. Les traders européens et américains se diront également disposés à lui emboîter le pas. Ce ne sera finalement pas nécessaire.

Le port de San Pedro tombe aux mains des FRCI le 31 mars, mais la victoire n’est pas suivie d’effet immédiat. « Toutes les sanctions restent en place, y compris celles sur le port de San Pedro (..). Aucune exception n’était prévue dans la liste initiale de sanctions », indiquait une source européenne citée par Reuters le 31 mars dernier. Il faudra attendre ce vendredi pour que la situation se décante. « Les ports autonomes d’Abidjan et de San Pedro, la Société ivoirienne de raffinage et le Comité de gestion de la filière café et cacao (acteur du négoce international) sont retirés de la liste des entités soumises par l’Union européenne à un gel des avoirs », indique le document de l’UE. Jeudi soir, Alassane Ouattara avait demandé « que les sanctions de l’Union européenne sur le port d’Abidjan et San Pedro et sur certaines entités publiques du fait du régime illégitime de Laurent Gbagbo soient levées ».

Or brun pour sang rouge

Des fluctuations du cacao, qui ont atteint leur plus haut niveau depuis 1979 le 22 février dernier à cause de la crise ivoirienne, le fonds de pension britannique Armajaro a certainement profité. L’une de ses activités, le négoce de produits agro-alimentaires, est incarnée par Armajaro Trading Limited, « leader du marché de la durabilité en Côte d’Ivoire », dont la direction Afrique est assurée par Loïc Folloroux, le beau-fils d’Alassane Ouattara. La stratégie d’Armajero : « paralyser l’offre par des achats massifs », selon Money Week. Ainsi, en juillet 2010, Armajaro est à l’origine de l’achat de 241 000 tonnes de cacao. Une opération « non conforme » du fait de la livraison physique de la marchandise qui pourrait « remplir cinq fois le Titanic», lit-on dans un article du journal économique Les Afriques signé par Guy Gweth, conseiller en intelligence économique.

Cette opération « légale » d’un milliard de dollars, « la plus importante jamais réalisée depuis 1994 », a également « provoqué une flambée des prix », indique France 24. « Peu de temps après la transaction, la tonne est montée à 2 725 livres (3 247 euros)», son niveau le plus haut depuis septembre 1977. La transaction a secoué le marché mondial du cacao bien que les prix soient revenus à la normale. Même la multinationale Nestlé, « qui absorbe à (…) 400 000 tonnes/an (soit 12% de la production mondiale) », ne se serait même pas risquée à la réaliser. En outre, la quantité acquise représente « la quasi-totalité des stocks européens et 7 % de la production annuelle mondiale ». Ce cacao stocké en Europe aurait été revendu en décembre notamment, indique Financial Times avec quelques pertes mais l’opération aurait permis au hedge fund d’améliorer ses performances.

La dernière opération de ce type du co-fondateur d’Armajaro, Anthony Ward, surnommé « Chocfinger (Chocolate Finger) », remonte à août 2002. Celui dont certains pensent qu’il «saurait des choses que les autres ne savent pas privilégiées», s’était porté acquéreur de « 203 320 tonnes de cacao, juste avant de voir les prix passer de 1400 à 1 600 livres la tonne ». Gain de l’opération : « près de 60 millions de dollars », rapporte Les Afriques. Anthony Ward aurait spéculé sur « une hausse du prix de la fève, fondée, selon lui, sur l’instabilité politique dans le Nord de la Côte d’Ivoire», indique Money Week. Le 19 septembre 2002, la rébellion des Forces nouvelles (FN) tentera de renverser le régime de Laurent Gbagbo.
Ces derniers mois, les ventes du stock de cacao d’Armajaro auraient contribué à stabiliser le cours de l’or brun (voir vidéo) en Europe.

La reprise des exportations de cacao est une victoire pour Alassane Ouattara, qui a beaucoup misé, sur l’asphyxie économique pour tenter de faire céder Laurent Gbagbo. Pour l’heure, c’est le seul succès du camp Ouattara. Laurent Gbagbo, retranché dans le bunker de sa résidence, n’a toujours pas renoncé à la présidence ivoirienne. Au moins 800 personnes seraient mortes fin mars, notamment dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire, selon le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Ils viendraient s’ajouter au bilan précédent d’environ 400 décès établi par les Nations unies depuis le début de la crise post-électorale.

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