L’incivisme est devenu chronique en Côte d’Ivoire : destruction de biens et d’édifices publics, non-respect des institutions et symboles de la République, corruption endémique et violence sous toutes ses formes.
Dans son article, Fangnariga Yeo explique les trois racines de cet incivisme qui selon lui découle des crises politique, économique et d’une crise de confiance générale au sein de la société ivoirienne. Son analyse incite à une réflexion profonde. Ses propositions ne sont pas inaccessibles !
Depuis plusieurs années, l’on constate la montée en puissance de l’incivisme (manque de dévouement pour le bien de la nation). Il se manifeste notamment à travers la destruction de biens et d’édifices publics, le non-respect des institutions et symboles de la république, la corruption endémique et la violence sous toutes ses formes. Ces comportements inciviques n’ont pas émergées ex nihilo. Ils découlent de la triple crise politique, économique et de confiance dans les institutions. Comment stopper l’incivisme grandissant dans le pays?
Crise politique et incivisme
Dans la lutte pour la conquête/la conservation du pouvoir, les politiques utilisent la violence. En effet, le pouvoir s’appuie sur les forces armées pour harceler les opposants et étouffer toutes formes de contestation. Pour répliquer, l’opposition utilise les jeunes pour se faire entendre par la violence. Les élections locales de 2018 ont été émaillées de violences dans plusieurs localités entraînant des morts. Cette violence consacrée par les politiques est devenue un moyen politique et pour faire valoir ses droits. C’est pourquoi, lors des manifestions populaires, des bus sont brûlés, des voitures sont cassées et des biens publics et privés sont détruits. Aussi, les politiques détournent régulièrement les règles du jeu politique à leur profit. C’est ainsi que ces dernières années, le convoyage des électeurs d’une circonscription électorale à une autre, pour s’approprier une majorité artificielle, a gagné de l’ampleur. Cela envoie un signal aux citoyens qu’ils peuvent aussi détourner les règles. En outre, les acteurs politiques font primer leurs intérêts sur ceux de la nation. Les différentes crises que le pays a connues trouvent leurs sources dans la manipulation et la violation des lois régissant le processus électoral. Malheureusement, l’absence d’un Etat de droit fait qu’ils échappent à la justice. Les lois semblent donc être contre les autres surtout les pauvres et les faibles. Dès lors, personne ne veut les observer. D’où l’expression populaire « le poisson pourrit par la tête » pour bien signifier que ce sont les acteurs politiques qui dépeignent négativement sur les citoyens.
Crise économique et incivisme
Les crises ont affecté gravement l’économie : chômage exponentiel, pauvreté galopante et exclusion économique. A leur faveur, la classe politique s’est enrichie tandis que la grande partie de la population a basculé dans la pauvreté et la précarité. La gestion clanique du pouvoir a contribué à exclure certaines franges de la population du tissu économique à travers la corruption, le népotisme, le marchandage des marchés publics et des différents concours de la fonction publique. Par exemple, la politique de rattrape ethnique du régime Ouattara en faveur des ressortissants du nord viole l’esprit de la république et exclut les autres des postes majeurs au sein de l’administration. Finalement, le pouvoir est perçu comme bénéficiant à un groupe au détriment des autres. D’où l’absence d’un véritable dévouement pour le bien de la nation. En outre, la croissance économique générée ces dernières années n’a pas permis de réduire la pauvreté et les inégalités. Selon la Banque Africaine de Développement dans sa publication ‘’Perspectives économiques en Afrique 2018’’, la part cumulée des emplois vulnérables et des chômeurs dans la population active représente un taux entre 70% et 90%. Selon la Banque mondiale, 46 % de la population est pauvre. Et l’indice de GINI mesurant les inégalités de revenus est de 41,50 sur 100. La précarité et la misère exacerbent le sentiment de frustration lequel trouve son exécutoire dans la violence et la défiance aux lois. Le phénomène des enfants en conflit avec la loi demeure une illustration. Ces adolescents issus de familles défavorisées agressent et parfois tuent sur leurs passages.
Crise de confiance et incivisme
L’image des institutions a été édulcorée par les différentes crises et les comportements inciviques des acteurs de ces institutions. Aucun président n’a réussi à se mettre au-dessus de la mêlée politique pour incarner pleinement l’unité nationale et consacrer la séparation effective des pouvoirs. Ainsi, l’exécutif continue de dominer les autres pouvoirs et institutions. Le limogeage actuel des hauts fonctionnaires et animateurs d’institutions pour leur refus d’adhérer au Rassemblement des Houphouétistes pour la Paix et la démocratie (RHDP unifié) montre bien cette domination. Cette vassalisation des institutions par l’exécutif leur fait perdre la confiance des citoyens. Selon une étude menée par Afrobaromètre en 2017, près de 65% d’ivoiriens n’ont pas confiance au Président de la République, 62% n’ont pas confiance en l’Assemblée nationale et 68% en la Commission électorale indépendante. Au plan local, 70% d’Ivoiriens n’ont pas confiance aux conseils municipaux et régionaux.
La thérapie par l’exemple
La réhabilitation des institutions en améliorant leur qualité semble la condition sine qua none pour rétablir la confiance des citoyens. Pour ce faire, le contrôle citoyen et la redevabilité des décideurs devraient être consacrés dans la gouvernance publique. En ce sens, les citoyens exerceraient effectivement un contrôle sur l’action publique (institutions et politiques publiques). Grâce à ce contrôle, ils contraindraient les gouvernants à leur rendre des comptes. Ce serait la clé pour lutter efficacement contre la corruption et les détournements de fonds publics. Cela induirait une corrélation entre l’action des institutions et l’évaluation faite des citoyens dans une coresponsabilité permettant à l’action publique d’être plus efficace, plus légitime, en adéquation avec la loi mais également avec les besoins des populations. Pour y arriver, les initiatives comme celle de la Haute Autorité à la Bonne Gouvernance qui a initié une ligne verte pour dénoncer les actes de corruption devraient être élargies aux institutions. Les citoyens exerçant le contrôle citoyen et exigeant la redevabilité devraient bénéficier d’une protection spéciale pour être à l’abri de harcèlements/représailles. Le Conseil aux droits de l’homme et le Conseil constitutionnel pourraient veiller au respect de leurs droits. Des mécanismes spéciaux de protestation pourraient être aussi échafaudées. A terme, l’image des institutions serait restaurée et les citoyens auraient plus confiance en elles.
L’incivisme est une réaction de dépit en raison de l’incapacité des citoyens à contrôler et demander des comptes à ceux qui violent les règles au sommet de l’Etat. Il convient alors de restaurer les institutions en améliorant leur qualité pour que les citoyens aient le plein pouvoir d’exercer un contrôle et d’exiger des comptes aux gouvernants, faute de quoi l’incivisme ira crescendo.
Fangnariga YEO, Activiste des droits de l’homme et blogueur.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.