En dépit de mutineries en début d’année, la situation du pays, où un ministère de la Cohésion sociale a notamment été créé, n’a plus grand-chose à voir avec celle des années 2010-2011, lorsque Laurent Gbagbo, président déchu, n’hésitait pas à recourir à des méthodes martiales pour calmer la rue et s’accrocher au pouvoir.
Il n’y a rien de plus difficile, pour un pays, que se reconstruire après une crise interne, surtout lorsqu’elle prend la forme d’une guerre civile. C’est précisément ce qu’a constaté la Côte d’Ivoire, dans les années qui ont suivi les affrontements post-électoraux intervenus entre 2010 et 2011, qui avaient fait 3 000 morts. Aux prises : les partisans du chef de l’Etat tout juste déchu, Laurent Gbagbo, et ceux de son successeur, Alassane Ouattara, dont la victoire à la présidentielle de 2010 sera finalement reconnue par la communauté internationale l’année suivante.
Malgré une économie bien portante, la grogne sociale
En 2017, la Côte d’Ivoire porte encore certains stigmates de cette opposition, qui avait laissé le pays exsangue. Le pouvoir est, çà et là, annoncé vacillant et certains médias – nationaux comme internationaux – commencent même à rédiger la nécrologie politique d’Alassane Ouattara. En cause ? Des mutineries à répétition et la colère sociale qui auraient formé, selon certaines plumes, un cocktail explosif reflétant les failles de l’exécutif. Début janvier, des soldats issus des ex-Forces armées des Forces nouvelles (FAFN) ont organisé des manifestations dans plusieurs villes du pays et des blocages ont eu lieu comme, par exemple, sur le port d’Abidjan, la capitale économique du pays. Le but ? Forcer le pouvoir à leur verser des primes promises et à améliorer leurs conditions de vie.
Tout comme une partie des forces de l’ordre, certaines catégories de fonctionnaires ivoiriens se sont mises en grève et ont demandé des revalorisations salariales et le paiement de primes. C’est donc peu dire que pendant les mois de janvier et février derniers, en Côte d’Ivoire, la température sociale est montée de plusieurs degrés. Et ce alors même que le gouvernement d’Alassane Ouattara, qui veut faire du pays un émergent d’ici 2020, a engagé plusieurs réformes structurelles propres à faire repartir l’économie.
Un taux de pauvreté en diminution, des accès à l’eau et à l’électricité facilités, un salaire minimum qui a doublé, un taux de scolarisation qui frôle les 100%: la Côte d’Ivoire, depuis quelques années, a renoué avec une croissance durable, qui culmine aujourd’hui à près de 8 %.
Un climat économique au beau fixe qui n’empêche donc pas les rues de se changer en terrain de gronde sociale et politique, où certains affrontements peuvent faire des victimes, comme à Yamoussoukro, la capitale, par exemple, où deux personnes ont trouvé la mort en janvier dernier. Régulièrement, des coups de feu se font entendre depuis ces théâtres de manifestations, tirés par des militaires qui réclament la plupart du temps davantage de considération – financière surtout.
Il n’en fallait pas plus pour que les Ivoiriens se remémorent leur douloureux passé et dressent le parallèle entre les vagues de manifestations et les incidents survenus entre 2010 et 2011. Mais comparer les révoltes militaires et citoyennes de ces derniers mois, aux mouvements de répressions et d’exactions commis par le clan Gbagbo, au lendemain de l’élection présidentielle de 2010, est-il vraiment censé ? Pour mémoire, la Côte d’Ivoire du président de la République sortant, qui n’avait pas voulu reconnaître sa défaite électorale, vivait « sous la terreur de l’ « article 125 » » selon le pure player « Drapeau rouge », « un article officieux, interprété par les partisans de Laurent Gbagbo comme un blanc-seing donné aux exécutions extrajudiciaires à l’encontre de toute personne suspectée d’être un opposant.»
Cohésion sociale et réconciliation nationale
Rien de semblable aujourd’hui. Et à cela une raison : le dialogue a su triompher du rapport de force – parfois sanglant – et s’il n’y a pas eu de nouvelle escalade de la violence, c’est que de nombreuses initiatives visant à encourager la cohésion sociale et la réconciliation nationale ont été prises depuis 2011. Le plus important, pour Alassane Ouattara, était que les Ivoiriens réapprennent à vivre ensemble, quelles que soient leurs origines géographiques, leurs appartenances ethniques, confessionnelles ou politiques.
L’un des actes forts fut assurément le dégel des avoirs de partisans du régime de M. Gbagbo, qui s’est étalé sur six ans entre 2011 et aujourd’hui. Plusieurs dizaines de sympathisants du précédent régime, dont certains se sont présentés aux dernières élections législatives, ont ainsi pu recouvrer leurs biens, ce qui a largement contribué à la décrispation de l’environnement politique ivoirien.
Et quel meilleur signe d’une réconciliation nationale en train d’être gagnée qu’une élection qui se passe sans accroc ? La reconduction dans le calme, sans heurts ni violence, en octobre 2015, de M. Ouattara à la tête de la Côte d’Ivoire, témoigne, sinon d’un soutien de la part de tous les Ivoiriens, du moins d’une acceptation par eux d’une vie publique apaisée. Et c’est déjà un grand pas de fait.
La libération de prisonniers politiques enfermés depuis la crise post-électorale de 2010-2011, mais également le renforcement du dialogue politique et la création d’un cadre permanent de dialogue entre le gouvernement et les partis d’opposition, y furent sans doute pour beaucoup.
Cette année, Alassane Ouattara, conscient que, sans cohésion sociale, toute réforme économique, aussi légitime soit-elle, n’est rien, a souhaité donner un cadre solide à ce mouvement de réconciliation nationale. Et ce après avoir créé un ministère de la Solidarité, de la Cohésion sociale et de l’Indemnisation des victimes en 2016, « pour apaiser les cœurs, soulager les douleurs, réduire les frustrations, les rancoeurs et les ressentiments » selon Mariatou Koné, la ministre. Le gouvernement a donc adopté une stratégie nationale en matière de réconciliation et de cohésion sociale, afin que l’ensemble des actions en la matière soient regroupées et, surtout, coordonnées.
Avec toujours pour objectif que, d’ici 2020, la Côte d’Ivoire pacifiée puisse devenir une véritable nation émergente. Et parce que la démocratie est partie intégrante de ce statut, il est logique – et heureux ? – que des manifestations se tiennent dans les rues. N’est-ce pas le signe que les artères, après avoir connu le sang des répressions entre 2010 et 2011, sont bien plus sûres ?
Par Alain Tchombè