La campagne présidentielle s’est ouverte vendredi en Côte d’Ivoire, entre attentes et inquiétudes. Après huit ans de conflit armé et de partition du pays, les espoirs d’un retour à la paix civile sont nombreux. Analyse.
Le symbole est important : les nouvelles cartes d’identité qui serviront aux 5 725 720 Ivoiriens inscrits sur la liste électorale définitive ont été distribuées. Jamais, depuis cinq ans, la Côte d’Ivoire n’a été aussi proche de cette élection présidentielle maintes fois reportée. Une conférence sur cette échéance était organisée vendredi dernier, à Paris[[Au Centre d’accueil de la presse étrangère à Paris]]. Parmi les intervenants, Mme Dominique Bangoura, professeur de Sciences politiques au CERAP d’Abidjan, analyse cet évènement selon trois enjeux principaux: la sécurité, la défense, et la restauration de l’autorité de l’Etat dans tout le pays.
Si les autorités affirment que les élections seront sécurisées, la situation au sein de l’armée ivoirienne appelle à la plus grande retenue. L’embargo sur les armes voté en 2004 et reconduit en 2008 par les Nations Unies a considérablement affaibli les capacités de maintien de l’ordre de l’Etat ivoirien. Certains demandent même un assouplissement des sanctions à l’occasion de l’élection. 8000 hommes sont censés assurer la sécurité de cet évènement. Ils seront secondés par les troupes de l’ONUCI.
La formation d’une nouvelle armée nationale sera particulièrement attendue, alors que le pays possède aujourd’hui deux formations distinctes, l’armée loyaliste, affiliée à Laurent Gbagbo, et les Forces Armées des Forces Nouvelles. La parité est le maître mot. Les Accords de Ouagadougou, signés en 2007 entre Laurent Gbagbo et le président burkinabè, Blaise Campaoré, ont déjà permis quelques avancées. En premier lieu, les forces armées souhaitant intégrer la nouvelle structure nationale ont été contraintes de déposer les armes. La création de quatre zones de commandement mixtes a atténué le pouvoir des Forces Nouvelles dans le nord du pays. C’est dans ces ComZones que sont peu a peu reçues les 5000 membres des Forces Nouvelles qui doivent intégrer la future armée nationale.
Le spectre de la Guinée
La restauration de l’autorité de l’Etat est le gros pari du processus électoral. Quelle emprise le futur président ivoirien aura t-il sur l’ensemble du territoire? Dans un pays coupé en deux, la question mérite d’être posée. La partie nord de la Côte d’Ivoire est en effet contrôlée par les ex-rebelles des Forces nouvelles (FN) depuis le coup d’Etat manqué de septembre 2002 contre le président Laurent Gbagbo. La situation dans le nord du pays a fragmenté le pouvoir et permis à certains d’acquérir puissance et hégémonie. Dans quelle mesure ces nouveaux barons seront-ils enclins à rendre un pouvoir qu’ils ont peu a peu grappillé ? L’homme élu à la tête du pays aura t-il les moyens de les y astreindre ? Pour Paolo Sannella, président du Centre de recherche sur la formation de l’Etat en Afrique et ancien ambassadeur d’Italie à Abidjan (2000-2005), « l’Etat n’a pas les moyens d’assurer la sécurité du pays après les élections ».
Des critiques visent déjà la Commission électorale indépendante et remettent en cause son autorité. L’opposition y étant trop majoritaire aux yeux de certain. On ne peut ici que faire un inquiétant parallèle avec la tourmente dans laquelle se trouve actuellement la Céni en Guinée. Le nombre d’électeurs pourrait à terme être utilisé pour remettre en cause le résultat des élections. En France, par exemple, seul 16 000 des 120 000 ivoiriens expatriés ont été inscrits sur les listes électorales, écartés la plupart du temps pour des vis de forme.
La responsabilité des hommes politiques est donc prépondérante. Il en va du retour à la paix civil que les institutions démocratiques soient respectées et que les candidats acceptent le résultat des élections. Si tous les candidats se sont déclarés prêt à respecter le scrutin, Paolo Sannella est assez septique. Pour lui, il n’y a « aucune garantie » : « avec l’argent qu’ils ont tous dépensé, comment pourront-ils accepter la défaite ? »
La communauté internationale aura aussi un rôle à jouer. Paolo Sannella insiste sur « l’importance de son soutien », quel que soit le vainqueur. A la suite des élections de 2000, l’Union Européenne avait suspendu sa coopération avec la Côte d’Ivoire pendant deux ans.
Cette élection est le passage obligé pour que ce pays, très important pour les équilibres africains et internationaux, retrouve son rang.