Le chef d’Etat ivoirien a entamé la réorganisation de son armée. Son gouvernement est désormais doté d’un budget et peut s’activer à la relance économique du pays. Son épouse investit le terrain social. Cependant certains observateurs lui reprochent la promotion des anciens chefs rebelles qui l’ont aidé à prendre le pouvoir au sommet de la hiérarchie militaire. Le goût du luxe qui semble s’emparer de certains membre du gouvernement ivoirien alimente également les critiques.
Pour le couple Ouattara, locataire du palais présidentiel du quartier du Plateau à Abidjan, les jours les plus difficiles semblent loin derrière. Réglé, le problème Gbagbo, dernier obstacle à l’accession au pouvoir. Calmée, la turbulente capitale ivoirienne, où le dernier carré des fidèles du président sortant ont fini par accepter l’évidence de la défaite et ne font plus parler les armes. Rassurée, la communauté internationale qui avait misé sur lui dès le déclenchement de la sanglante crise postélectorale. Place aux honneurs et défis de la magistrature suprême. Les Ouattara s’activent à insuffler de la vie au pouvoir qu’ils ont difficilement conquis. Au président de ramener la sérénité dans le pays et de relancer son économie fortement meurtrie par plus d’une décennie de soubresauts politiques. A son épouse d’ouvrir son cœur pour toucher ceux des ivoiriens.
Page essentielle de ce nouveau chapitre de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire qu’Alassane Ouattara souhaite marquer de son empreinte, la sécurité dans le pays. Le président sait qu’elle passe avant tout par la réorganisation de l’armée. Pour arriver au pouvoir, il a dû recourir à la lutte armée. Et comme il n’avait pas d’armée, il s’est appuyé sur l’ancienne rébellion des Forces nouvelles, à laquelle il a adjoint le tout-venant désireux de porter un fusil et de faire le coup de feu. Ce sont eux qui, avec l’appui des soldats français et de l’Onu engagés dans une neutralité très active en sa faveur ont finalement délogé Laurent Gbagbo. On sait que la cessation des hostilités n’a pas arrangé les affaires de certains hommes de cette armée hétéroclite qui ont continué à piller et à agresser à Abidjan, même après l’arrestation du président sortant. Alassane Ouattara a décidé de siffler la fin de cette prolongation non autorisée : tout le monde dans les rangs des Forces républicaines de Côte d’Ivoire, l’armée qu’il a mis sur pied peu avant la fin des combats à Abidjan. La « réunification » de l’armée concerne également les soldats de l’ancienne armée de Côte d’ivoire, qui s’est battue loyalement pour Laurent Gbagbo, avant que le vent ne change de direction.
Pour parachever cette réorganisation, Alassane Ouattara a distribué mercredi, des récompenses aux chefs de guerre que la presse ivoirienne, sans doute faute de n’avoir pas trouvé mieux dans le jargon militaire a appelé « com zone » pour commandant de zone. Dans le nouvel organigramme de l’armée ivoirienne, les « com zone tiennent le haut du pavé. L’ancien chef rebelle, Issiaka Ouattara, dit Wattao, est devenu commandant en second de la Garde républicaine. Ousmane Chérif, un « com-zone » dont on dit qu’il a toute la confiance du président a pris le commandement en second du Groupe de sécurité de la présidence de la République.
Les commandants Morou Ouattara, Koné Zakaria, Losséni Ouattara, Dramané Traoré et Gaoussou Koné ont tous été nommé dans les Forces spéciale (FS). Nouvellement créée, les Forces spéciales remplacent le Centre de commandement des opérations de sécurité (CECOS) qui, sous Gbagbo, constituait une force d’élite d’intervention rapide. Dirigée par le lieutenant-colonel Doumbia Lancina, les FS seront visiblement affectés à la sécurité du président.
Deuxième page, doter le gouvernement des moyens de fonctionnement. Selon la presse ivoirienne, le budget adopté fin juin par le gouvernement ivoirien réuni en conseil des ministres se montent à 3050, 4 milliards de francs CFA. Pour que les institutions puissent fonctionner normalement, il doit être mobilisé dans un délai de six mois.
Troisième page, assurer l’organisation des élections législatives libres et transparentes avant la fin de l’année. Pour cela, Alassane Ouattara a désigné un nouveau président au Conseil constitutionnel, Francis Wodié. Celui-ci a prêté serment devant lui jeudi. Alassane Ouattara n’a pas oublié sa mésaventure, lorsque Paul Yao Ndre, l’ancien président de l’institution chargée de proclamer les résultats des scrutins électoraux avait déclaré, dans la cohue générale, Laurent Gbagbo, vainqueur de l’élection présidentielle. On sait la suite : le pays avait sombré dans un chaos qui a duré plus de quatre mois et coûté la vie à plus de 3 000 personnes. Alassane Ouattara a suggéré à Francis Wodié de ne pas répéter les erreurs du passé et d’être impartial dans son travail.
Dominique Ouattara sur le terrain social
Pendant que le président se bat avec les hommes et les chiffres, Madame Ouattara essaye de prendre les Ivoiriens par le cœur, en s’investissant dans le social, comme la plupart de ses consœurs africaines. Dominique Ouattara qui aime bien poser, un petit enfant dans les bras vient de lancer, par le biais de sa fondation « Children of Africa », un programme de lutte contre le travail des enfants. Ce projet va faire grincer des dents notamment dans la filière cacao, où la recherche d’une main d’œuvre bon marché alimente les trafics d’enfants venant des pays voisins de la Côte d’Ivoire, à l’instar du Burkina Faso et du Mali. Madame Ouattara se veut en tout cas déterminée : « Je me pencherai sur le travail des enfants dans les plantations », a-t-elle laissé entendre.
Critiques
L’opinion ivoirienne comme la communauté internationale observent avec attention les actions du nouveau président. Si elles veulent lui accorder sa période de grâce, elles ne manquent cependant pas de rester vigilantes vis-à-vis de ses choix et attitudes. Certaines nominations qu’il a effectuées mercredi au sommet de la hiérarchie militaire sont ainsi vivement critiquées. De nombreux journaux ont rappelé que certains des hommes qu’il a choisis pour commander ses troupes sont dans le viseur de Nations unies et des ONG des droits de l’homme, qui les accusent de graves exactions. Il s’agit principalement des anciens « com zone » qui n’ont pas la réputation d’être des enfants de chœur. Le cas le plus cité est celui de Martin Fofié Kouakou, le nouveau commandant de la de la ville de Korhogo, où Laurent Gbagbo a été assigné à résidence surveillée. L’ancien chef de guerre est mis en cause par l’ONU, depuis 2006, pour avoir mené des « exécutions extrajudiciaires ».
Ousmane Chérif et Issiaka Ouattara dit Wattao sont de leur côté accusés par Human Rights Watch d’avoir commis des exactions contre des pro-Gbagbo. Le quotidien français L’Humanité, rappelle par ailleurs que « les exactions commises par ces « com-zone » n’ont pas cessé avec l’arrestation du rival Gbagbo. Un rapport d’Amnesty International a d’ailleurs mis en lumière le climat de terreur que fait régner le clan des vainqueurs ».
Deuxième caillou relevé dans la chaussure d’Alassane Ouattara, le goût du luxe et des dépenses somptuaires qui semble caractériser le président et son entourage. Journal d’opposition, La Voix évoque « la floraison de grosses cylindrées à Abidjan », surtout autour des cabinets ministériels. La publication critique également « le nouvel avion » du président qui voyage tous les « dix jours en moyenne ». « L’argent des Ivoiriens est gaspillé », conclut La Voix, qui rappelle qu’Alassane Ouattara s’est taillé la part du lion dans le budget de l’Etat, affectant jusqu’à 80 milliards au « programme présidentiel d’urgence » dont il est le seul à maitriser les ressorts. Toutefois tempère l’Intelligent, c’est l’entourage d’Alassane Ouattara et non le chef d’Etat lui-même, qui doit être surveillé. « Le Président (…) doit jeter un coup d’œil (…) pour ne pas se faire complice de ceux qui abusent de leur posture actuelle », écrit le journal.
Quoi qu’il en soit les Ivoiriens semblent fatigués de plus d’une décennie d’incertitude politique et veulent voir leur pays redevenir la locomotive économique de la sous-région qu’il était. Alassane Ouattara mérite pour cela, sa période de grâce.