COP29 : « Les 300 milliards expriment seulement le manque de volonté des pays développés »


Lecture 7 min.
L’avocat Martin Milolo Nsenda
L’avocat Martin Milolo Nsenda

Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan, a servi de cadre à la COP29 qui a eu lieu du 11 au 23 novembre 2024. Une conférence qui n’a pas comblé les attentes des personnes qui se battent réellement pour la justice climatique. L’avocat Martin Milolo Nsenda de la RDC est l’un de ces militants de la cause climatique, qui a représenté son pays à la COP29. Il nous livre ses impressions sur les discussions qui ont réuni plus de 55 000 personnes pendant près de deux semaines.

Afrik.com : Vous avez eu la chance de représenter votre pays, la RDC, à la COP29 qui vient de s’achever à Bakou. Quelles sont vos impressions générales sur cette édition de la conférence ?

La COP29 était la COP de la finance. Son objectif principal était d’amener les pays développés et industrialisés responsables des émissions de gaz à effet de serre à disponibiliser l’argent pour financer l’adaptation et la résilience dans les pays du Sud global, dont les pays qui subissent les effets des changements climatiques qui freinent leurs efforts de développement. Il était aussi question d’accélérer l’atténuation des changements climatiques à travers l’engagement ferme que devraient prendre les pays pétroliers et les pays développés pour sortir des énergies fossiles et concrétiser la transition juste. Mais aucun de ces objectifs n’a été atteint, même s’il faut reconnaître qu’il y a eu de petites avancées sur le plan financier et de l’atténuation ; car les pays développés se sont engagés pour tripler le montant des fonds à allouer aux pays en développement pour accélérer leur adaptation. Il faut peut-être reconnaître de manière générale que l’échec de la COP29 était peut-être bien programmé. Car, le fait qu’elle se tienne dans un pays pétrolier est en soi un problème ; mais aussi la présence sans invitation de la géopolitique à la conférence a été remarquée : beaucoup de leaders de la gouvernance mondiale ont boycotté la conférence notamment les États-Unis et la France. Ces pays n’avaient pas envoyé sur place des délégations officielles de haut niveau. Certes, les experts étaient là, mais pas les Présidents ou les ministres. Le ministre français qui devrait participer aux travaux avait annulé son voyage à la dernière minute à cause d’une brouille diplomatique avec l’Azerbaïdjan.

Les avis sont mitigés, puisque l’accord sur les 300 milliards de dollars de financement annuel obtenus pour les pays du Sud est loin de combler les attentes. Quelle est votre position sur la question ?

Martin Milolo aux côtés de la Première ministre de la RDC
Martin Milolo aux côtés de la Première ministre de la RDC

Les besoins financiers pour promouvoir l’adaptation et la résilience des pays du Sud global dont les pays africains, les petits pays insulaires et ceux de l’Amérique latine sont estimés aujourd’hui à la hauteur de 1 300 milliards de dollars américains. Les 300 milliards de dollars promis par les pays développés constituent en réalité un mépris des pays du Sud, et je l’ai remarqué pendant les négociations. Nous avons eu des réunions très tendues avec certains pays développés qui, au lieu de faire face à la crise climatique, étaient plutôt en train de faire de la politique. Il faut aussi peut-être rappeler que depuis 2009 à la COP15 qui s’est tenue à Copenhague, ces pays se sont engagés pour disponibiliser 100 milliards de dollars chaque année afin de financer l’adaptation dans les pays en développement ; aujourd’hui, l’ensemble des fonds issus de cet accord n’atteint même pas 4 milliards des dollars depuis 2009.

Ça veut dire que ces pays jouent à l’hypocrisie de montrer qu’ils comprennent, qu’ils sont engagés pour lutter contre le changement climatique, mais en réalité ils n’ont pas la volonté de faire avancer les choses. Car, lorsque la crise de Covid les avait frappés, ils avaient mobilisé plus d’argent que ça en une année seulement ; les États-Unis d’Amérique par exemple ont mobilisé plus de 1 000 milliards de dollars en une année pour faire face aux effets de la Covid. C’est clair que les 300 milliards expriment seulement le manque de volonté des pays développés. Et ce qu’on n’a pas dit, c’est que les 300 milliards sont promis pour être mobilisés sous forme de dette que les pays du Sud devront rembourser alors que le financement climatique demandé devrait être accordé sous forme de subventions pour éviter aux pays en développement de s’embourber encore dans la dette.

Vous dénoncez donc une hypocrisie flagrante dans le jeu des grandes puissances qui, tout en proclamant la nécessité de mener des actions énergiques contre le réchauffement climatique, hésitent quand il s’agit de mettre la main à la poche…

C’est même au-delà de l’hypocrisie. Ce sont des actes qui peuvent être considérés comme criminels, car ils sont à la base de la crise climatique à travers l’industrialisation qui les a conduits au développement, mais ils ne veulent pas assumer la responsabilité des conséquences de leurs actes.

Les représentants de 45 pays pauvres les plus exposés aux conséquences du dérèglement climatique ont décidé de boycotter une réunion avec la présidence de la conférence, le samedi 23 novembre, pour manifester leur désapprobation du projet d’accord. C’est un signe qui traduit clairement un malaise profond et une grande déception à cette COP…

Martin Milolo à Bakou
Martin Milolo à Bakou

Oui, la déception était déjà palpable bien avant et ce qui s’est produit samedi est un des actes de protestation posés pour marquer la désapprobation et dénoncer le manque d’engagement de la part du président de la COP afin d’amener les pays développés à assumer leur responsabilité. Il y a même un document que la présidence de la COP29 a publié sur l’impact des mesures de réponses sur le changement climatique, alors que plusieurs points qui s’y trouvent étaient considérés par nous comme des lignes rouges. Les lobbies des pétroliers et de l’Arabie saoudite semblent donc l’avoir emporté sur nos protestations. Et je dois ici dénoncer le comportement de l’Arabie saoudite tendant à bloquer systématiquement toutes les résolutions sur la sortie de l’utilisation du pétrole pour promouvoir la transition énergétique. Oui, il y avait un grand malaise et une profonde frustration sur la manière dont les discussions ont été menées.

Un autre point de critique, l’appel à la transition vers la sortie des énergies fossiles, difficilement obtenu à la COP28 organisée à Dubaï, n’apparaît pas dans les textes finaux signés cette fois-ci à Bakou. Est-ce un recul ?

Oui, c’est un grand recul, et c’est le résultat des pressions des lobbies pétroliers et de l’Arabie saoudite très présents et puissants à cette COP. On a même entendu des rumeurs sur des soupçons de corruption dans les négociations.

Quel a été l’apport qualitatif de la RDC aux débats de cette COP ?

Nous avons démontré que l’Afrique est en train de porter le fardeau d’un problème qu’elle n’a pas causé. L’ensemble des émissions de CO2 pour toute l’Afrique n’atteint même pas 4% (soit 3.8%) des émissions mondiales, mais le continent séquestre des milliards de tonnes de CO2 avec ses forêts et ses tourbières dont la RDC détient une grande quantité. Il est donc important que l’Afrique et la RDC soient récompensées en termes de financement. La transition énergétique juste a été aussi un des points sur lesquels nous avons insisté, rappelant que les pays développés ne doivent pas imposer un modèle prêt-à-porter sur la transition énergétique sans considération des particularités des pays africains. Nous avons également abordé la question de l’harmonisation des politiques sur le marché des crédits carbone en plaidant pour que le prix de ces crédits en Afrique soit le même qu’en Europe et que ce marché ne remplace pas la finance climat.

Avatar photo
Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
Facebook Linkedin
Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News