Démarrée le 30 novembre dernier, la COP28, qui se tient à Dubaï, baisse les rideaux, ce mardi 12 novembre 2023. L’Afrique, plus vulnérable aux changements climatiques, attendait beaucoup de cette Conférence. Amélie Yan-Gouiffes du Groupe AXIAN revient pour Afrik.com sur les grands axes de cette COP28.
Entretien
Quels étaient les différents enjeux de cette COP28 pour l’Afrique ?
Cette COP était le premier rendez-vous du secteur privé comme partie-prenante à part entière à une conférence de ce genre. C’était un enjeu de taille et essentiel pour le développement de l’Afrique. Quand on pense à l’agenda 2030 des Objectifs de Développement Durable, les Nations unies parlent des 5 Ps (Personnes, Planète, Paix, Partenariat et Prospérité) et le secteur privé a un rôle clé à jouer et un savoir unique sur la Prospérité, un élément fondamental pour les personnes, la planète et la paix.
En tant que groupe panafricain du secteur privé opérant à ce jour dans 10 pays du continent et engagé pour la prospérité et le développement durable de l’Afrique, nous nous sommes mobilisés pour être une voix importante de l’Afrique : une Afrique qui est force de propositions, une Afrique qui travaille et entreprend (AXIAN compte 7500 employé.es et 35 entreprises dans 5 secteurs d’activité) et, enfin, une Afrique qui prend en main son destin.
Nous sommes 6 directeurs d’AXIAN, dont notre CEO, à nous être déplacés à Dubaï pour participer aux différents évènements de haut niveau, prendre part à des panels, écouter, échanger et proposer des solutions concrètes. Nous avons représenté les secteurs de l’énergie, des télécoms, de solutions basées sur la nature (reforestation et agroforesterie), de l’immobilier et de la fintech. Nous avons engagé des discussions avec les Gouvernements, les organismes multilatéraux, les acteurs de la société civile, les groupements de jeunes et le secteur privé pour identifier des applications tangibles dans la réalisation des objectifs de l’agenda climatique et du développement durable.
Nous sommes un continent extrêmement résilient qui a montré pendant la COVID nos capacités de gestion de la crise et de relèvement ; nous sommes un continent avec une forte population de jeunes.
En tant que partenaire actif et proactif, notre objectif est la matérialisation des discussions de haut niveau en des actions sur le terrain avec un impact positif pour les hommes, les femmes et les jeunes de notre continent.
Quelles peuvent être les attentes de l’Afrique qui subit aujourd’hui une injustice climatique ?
J’aimerais commencer en disant qu’il ne faut jamais être dans l’attente mais dans l’action et le leadership. Ce n’est pas en se focalisant sur l’injustice que l’on l’élimine mais en créant la justice.
Nos atouts : nous sommes un continent extrêmement résilient qui a montré pendant la COVID nos capacités de gestion de la crise et de relèvement ; nous sommes un continent avec une forte population de jeunes. Nos défis : nos vulnérabilités sociales, économiques et de gouvernance qui se magnifient avec le changement climatique. Comment transformer cette vulnérabilité accrue en opportunité ?
Les partenariats avec le secteur public et les organisations internationales constituent un élément de réponse important. C’est avec des entreprises, des gouvernements africains et partenaires techniques et financiers internationaux qui s’unissent pour collaborer et se concentrer sur l’avenir, qu’il y aura progrès, prospérité et durabilité. Les pays africains n’ont pas tous les mêmes réalités et les mêmes besoins mais le continent doit agir de concert pour mener des projets cohérents et durables, notamment à l’échelle régionale, pour impacter positivement le quotidien des millions d’Africains et d’Africaines qui sont en droit d’espérer que leurs pays et continent ramènent des bénéfices de ces réunions longues et couteuses.
Il nous faut travailler ensemble et nous retrouver dans des espaces comme l’African Business Leaders Coalition (ABLC), une initiative des CEOs Africains émanant de la stratégie du Pacte mondial des Nations Unies pour l’Afrique 2021-2023. Il nous faut continuer le dialogue proactivement avec les Nations unies en les invitant à rendre des comptes transparents sur les actions concrètes et agiles menées avec le secteur privé et les Gouvernements qui accèdent aux financements en les mobilisant à mettre en place des structures de gouvernance appropriées.
La transition énergétique est indéniablement en marche, elle doit être renforcée pour assurer un avenir pérenne et viable aux pays les plus pauvres et plus touchés par les effets du changement climatique
De manière générale, il est temps de prendre le virage vert en favorisant la coopération et en stimulant les investissements dans les technologies propres. Quand on parle de 600 millions d’Africains sans accès à l’électricité, nous parlons d’une opportunité pour le secteur privé de fournir une énergie propre, renouvelable et accessible à ces personnes, une opportunité pour que l’Afrique montre l’exemple d’une croissance juste et responsable.
L’Occident respecte-t-il les conclusions des précédentes COP en matière de réduction des gaz à effet de serre ?
Les pays qui ont signé un engagement doivent le respecter, il n’y a pas de négociation possible. La transition énergétique est indéniablement en marche, elle doit être renforcée pour assurer un avenir pérenne et viable aux pays les plus pauvres et plus touchés par les effets du changement climatique.
Depuis le secteur privé, nous sommes les acteurs de l’action et de la cross-fertilisation au sein du continent Africain et avec les autres continents.
Lors d’un panel organisé et modéré par le Pacte Mondial des Nations Unies, j’ai eu l’opportunité d’une discussion très riche avec EDF autour du thème « tenir ses engagements climat : défis et perspectives du secteur privé ». Croissance, décroissance, transformation ou construction des économies ne veulent pas dire la même chose en Europe qu’en Afrique. Que c’était riche d’entendre les perspectives d’un autre continent, que c’était important de faire entendre la réalité et l’ambition africaines. C’est cet espace que nous devons cocréer en situation d’égalité et la transition juste, étendard et réclamation de cette COP28, en est un instrument essentiel.
La formule de ces COP peut-elle parvenir régler cette urgence climatique ?
« Les choix que nous faisons aujourd’hui détermineront l’avenir de l’humanité pour des générations » : cette citation inspirante vient d’un des murs de la COP28. Les conversations honnêtes et engagées que nous avons aujourd’hui changeront la donne demain.
Comme tout événement d’une telle ampleur, des manquements peuvent subsister. Mais aujourd’hui, aucun évènement dédié aux enjeux climatiques ne regroupe autant de chefs d’état, d’associations, d’ONG, d’entreprises et de personnalités issues de la société civile… Les COP permettent de se réunir, de discuter, de se projeter et de prendre des engagements : c’est précieux.
Pour rappel, cette COP28 révèlera également le bilan des progrès réalisés dans le cadre de l’Accord de Paris, le traité historique sur le climat conclu en 2015. Elle dressera aussi un plan d’action pour réduire considérablement les émissions.
Les COP ne sont pas la seule voie d’action pour faire face à la crise climatique. Le secteur privé a un rôle clé à jouer et doit faire émerger des solutions « Made in Africa » qui pourrons être généralisées
Le monde s’accorde à dire que l’Afrique fait partie de la solution globale dans le sens qu’il faut nous inclure dans la discussion. J’aimerais rajouter que, depuis l’Afrique, nous avons aussi des solutions dont le monde pourrait bénéficier. Les COP ne sont pas la seule voie d’action pour faire face à la crise climatique. Le secteur privé a un rôle clé à jouer et doit faire émerger des solutions « Made in Africa » qui pourrons être généralisées. Chez AXIAN, face aux multiples enjeux socio-environnementaux auxquels fait face le continent africain, nous avons au cœur de tout le paradigme de l’impact positif et de la durabilité. Nous nous sommes engagés dans cette voie en tant que groupe panafricain responsable afin de répondre aux défis sociaux et environnementaux du continent.
Que faut-il, à votre avis, pour parvenir à une solution durable et plus juste vis-à-vis de l’Afrique qui est plus que jamais victime dans cette crise climatique ?
Réclamer ce qui est dû tout en apportant et construisant, brandir les chiffres et les réalités mais ne pas s’enfermer dans un rôle de victime mais en acteur de la solution
Lors du premier Sommet africain pour le Climat à Nairobi en septembre 2023, l’Afrique a énoncé clairement sa détermination à prendre des mesures audacieuses pour relever les défis climatiques
C’est aussi le rôle du secteur privé de concourir à une solution durable et plus juste pour les africains. Nous devons tous être moteurs de la transformation de nos propres pays.
Tout d’abord, nous attendons que l’Afrique soit au cœur des solutions et des financements apportés. Il est crucial que les acteurs de cette COP intègrent enfin réellement et matériellement les réalités spécifiques du continent, pour faire face, ensemble, aux obstacles qui nous guettent.
Cela implique donc en premier lieu de prendre pleinement conscience du défi colossal que représente le déficit infrastructurel en Afrique et d’y apporter toute l’attention et le soutien financier qu’il nécessite. La COP28 doit marquer un engagement concret pour un financement sur-mesure et aligné aux réalités africaines de l’action climatique.
Au-delà du financement, il est temps de dessiner collectivement une stratégie climatique réaliste et alignée sur les perspectives de développement en Afrique, en capitalisant notamment sur les opportunités du marché africain, l’Accord de libre-échange continental africain, la demande croissante de minerais essentiels, et la jeunesse africaine.
Cette COP28 a-t-elle répondu à vos attentes ?
Nous avons glané et semé des connexions, des apprentissages et des contributions. A peine rentrés, nous sommes déjà en train de faire le suivi des rencontres et des partenariats potentiels. Nous partageons les apprentissages avec les collaborateurs en interne et les parties prenantes. Enfin, nous dressons notre roadmap pour ancrer tout cela dans quelque chose de productif et concret.
On se donne rendez-vous dans 6 mois pour dresser un état des lieux de ce qu’aura pu apporter cette COP28 pour le secteur privé, pour l’Afrique et pour le monde ? Comme le disait Mme Sanda Ojiambo, Sous-Secrétaire générale chargée du Pacte mondial des Nations Unies, à la COP28 : « Une Afrique qui gagne, c’est le monde qui gagne ».