Depuis 12 ans, Mariama Moussa, assistante sociale, lutte contre les violences domestiques au Niger, en faisant connaître aux victimes leurs droits, en les soutenant et en sensibilisant l’ensemble de la population contre ce fléau. SOS Femmes et enfants victimes de violence familiale (SOS FEVVF), l’association dont elle est présidente et fondatrice, est la première à mener cette action dans le pays. Faisant fi des tabous, elle vient en aide à plus de 200 femmes par an.
Créée le 19 novembre 1998 par un groupe de femmes et d’hommes soucieux des conditions de vie des femmes tant en milieu urbain que rural, SOS FEVVF a été fondée dans la perspective d’améliorer la prise de conscience sur tous les phénomènes de violence dont sont victimes ces dernières au Niger et de trouver les moyens d’y remédier. Le travail de l’ONG et de ses membres commence à porter ses fruits, mais les habitudes et les mentalités peinent à changer. Afrik.com a rencontré sa présidente, Mariama Moussa, à Niamey, en novembre, à la dernière édition du SAFEM.
Afrik.com : Comment vous est venue l’idée de créer SOS FEVVF ?
Mariama Moussa: Moi-même, dans mon premier mariage, j’ai vécu des scènes de violence. Quand tu regardes mon visage [elle montre ses cicatrices du doigt], j’ai encore des séquelles. Regarde ces traces, les six points de suture sous mon œil droit… En tant que femme victime de violences, quand j’étais en 3ème année de l’Ecole nationale de santé publique (section assistanat social), en 1996, je me suis posé cette question : suis-je la seule dans cette situation ? Dans mes stages, j’ai rencontré d’autres femmes qui vivaient la même chose que moi, et parfois pire. A ce moment, j’ai choisi pour thème de mémoire de fin d’études : « Violences conjugales en milieu urbain ». C’était le tout premier mémoire sur le sujet au Niger. J’ai décidé d’en parler.
Afrik.com : Comment a été structurée l’association ? Et quelles actions menez-vous ?
Mariama Moussa: Après mes études, en 1997, j’ai décidé de créer cette ONG. J’ai tenu une assemblée générale avec des collaborateurs. Des assistants sociaux, des juristes, des psychologues, des sociologues… Plus de cinquante personnes étaient présentes lors de l’assemblée générale, en 1998, et nous avons constitué un bureau de sept membres. Un jour, fin 1999, j’ai rencontré un journaliste et une juriste suisses de passage pour un reportage sur la justice au Niger. Le juge leur a parlé de moi et ils ont fait mon interview. La juriste m’a demandé mon mémoire de fin d’étude pour le déposer au niveau de la coopération suisse. Ce qui fut fait. (…) Par la suite, j’ai reçu mes premiers financements. Nous avons pu organiser notre premier séminaire, sur le thème des « syndromes de maltraitance conjugale et familiale ». Mes beaux-parents n’étaient pas contents ! Ensuite, nous avons fait un deuxième séminaire et élaboré un guide : Que faire en situation de violence familiale : Guide pratique à l’usage des femmes (2002). Depuis lors, nous n’avons pas interrompu nos activités. Et nous recevons l’aide la coopération internationale[[Coopération suisse au Niger, Oxfam Québec, Oxfam Novib (Pays-Bas), UNFPA (ONU), Unesco, ambassade des Etats-Unis au Niger, Agence canadienne de développement international (ACDI)…]]. Nous organisons des séminaires, des forums, des causeries-débats, des pièces de théâtres. Nous faisons des publications, des séances de sensibilisation sur le terrain. Nous avons eu à former des leaders religieux, des leaders d’opinion, pour qu’ils changent de comportement.
Afrik.com : Avez-vous fait l’objet de critiques lors de la création de l’association ?
Mariama Moussa: Oui, il y a eu des critiques. Mais j’ai fait la sourde oreille. J’ai reçu des menaces par téléphone : « Pourquoi tu as fait ça ? Tu veux déstabiliser nos foyers ? ». On m’appelait, on m’insultait, on me raccrochait au nez. Mais j’avais des preuves des violences, et le soutien du gouvernement et des femmes. Je ne ressens pas d’inquiétude.
Afrik.com : Les victimes viennent-elles vous voir ou vous les signale-t-on ?
Mariama Moussa: Le plus souvent, les gens viennent nous voir. Ici, les gens ont peur du signalement. Car, celui qui a signalé est un témoin que le mari peut venir frapper pour se venger.
Afrik.com : Comment prenez-vous en charge les victimes de violences ?
Mariama Moussa: Quand elles viennent, elles parlent. On se débrouille toujours pour qu’il y ait un homme et une femme qui accueillent la personne qui vient nous voir. Si l’homme la gêne, c’est la femme qui la reçoit. Nous aidons environ 200 femmes par an. Notre ONG a des antennes dans sept régions du pays. Il ne nous en manque une qu’à Diffa. Nous organisons une prise en charge des victimes de violence basée sur le genre. Nous voulons secourir les hommes (plus rarement), les femmes et les enfants. A travers l’accueil, l’écoute, et la réorientation au cas où on n’arrive pas à réconcilier les parties. Parfois, nous sommes obligés d’orienter les femmes vers la gendarmerie. C’est tout un processus.
Afrik.com : Quels sont aujourd’hui vos besoins ?
Mariama Moussa: Notre seul problème est que nous ne disposons pas d’un centre d’hébergement. L’assistance alimentaire, sanitaire, tout ça c’est de l’argent. Les moyens de locomotion aussi. Si une femme se femme se fait chasser de chez elle ou si elle ne veut pas y retourner, on ne sait pas où la garder. Parfois, par humanisme, je suis obligée de la garder chez moi. Mais ce n’est pas une vraie solution. Il nous faudrait avoir des moyens supplémentaires pour pallier aux insuffisances logistiques.
Afrik.com : Estimez-vous que la condition des femmes victimes de violences a changé depuis la création de votre association ?
Mariama Moussa: On peut parler de changement, parce qu’avant les violences domestiques étaient un sujet tabou, et les femmes avaient peur d’en parler. Maintenant, grâce à nos séances d’information, d’éducation, de communication, elles arrivent à venir vers nous pour dénoncer les violences dont elles sont victimes, quelles qu’en soient les formes. Même au niveau des hommes il y a un changement, parce qu’ils savent qu’il y a des structures pour protéger les femmes. Ils sont donc plus prudents.