Des Ivoiriens estiment que les agressions perpétrées par les « Jeunes patriotes » contre des Blancs en début de semaine à Abidjan sont le reflet d’un ras-le-bol. Un ras-le-bol généré par la politique de la France et de l’Organisation des Nations Unies, qu’ils soupçonnent de soutenir l’ex-rebellion au lieu de la désarmer.
Les Ivoiriens ne sont pas contre les Blancs, mais plutôt contre leur politique dans la gestion de la crise en Côte d’Ivoire. Une nuance que certains habitants du pays ouest-africain tiennent à souligner. Selon eux, la position de la France et celle de la force des Nations Unies (Onuci) dans le conflit ivoirien n’est pas claire. Ces deux acteurs sont notamment accusés de soutenir les rebelles, qui contrôlent le Nord du pays. Provoquant la colère de la population et surtout des « Jeunes patriotes », qui se sont livrés à une « chasse aux Blancs » à Abidjan.
Les catalyseurs de la rancœur
Des agressions similaires s’étaient déjà produites auparavant. Samedi dernier déjà, la police ivoirienne avait dû repousser à coups de gaz lacrymogène un millier de manifestants qui lançaient des pierres aux abords d’une base militaire française à Abidjan. C’est un discours de la première dame du pays qui pourrait avoir mis le feu aux poudres. Selon Le Patriote, lors de meetings, vendredi et samedi à Abobo et Anyama, Simone Gbagbo avait notamment déclaré : « Au fil du temps, les choses se précisent. La France est complice des rebelles. Chirac n’aime pas [Laurent] Gbagbo parce qu’il ne correspond pas au profil que la France a tracé pour les Présidents. On ne le trouve pas policé. Au contraire, [le Président français Jacques] Chirac le juge trop indépendant. Car il ne prend pas ses instructions à l’Elysée ».
Mais pour les attaques de lundi, si la déclaration a pu constituer un catalyseur, c’est, selon certains, l’épisode de Gohitafla (centre-ouest) qui est au cœur de la colère. Dans la nuit de dimanche à lundi, une trentaine d’éléments armés ont pu se rendre dans cette ville contrôlée par les Forces armées nationale de Côte d’Ivoire sans, semble-t-il, rencontrer une quelconque opposition. Le bilan est lourd : au moins 22 morts. Et la population enrage. « C’est le rôle de la France d’empêcher ce genre d’incursions. Si elle ne l’accomplit pas, c’est qu’elle est complice des rebelles », commente Aymard, un Abijanais de 29 ans.
Toucher les symboles de la colère
La vindicte populaire est lancée par les « Jeunes patriotes », fidèles au chef de l’Etat ivoirien. Ils s’en prennent aux symboles de la présence française et onusienne. L’ambassade de France, pour toucher Jacques Chirac, et l’Onuci, pour interpeller Kofi Annan, Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. A l’ambassade, « il n’y a pas eu de morts. Ils ont jeté des pierres contre le bâtiment. Donc il y a surtout eu des dégâts matériels, même si certaines personnes ont été blessées par des éclats de verre », explique-t-on au ministère des Affaires étrangères à Paris. L’institution gouvernementale précise par ailleurs que l’ambassade de France n’en est pas à son premier « caillassage ». « En octobre 2002, au plus fort de la crise, et en janvier 2003, après la signature des accords de Marcoussis, l’ambassade avait été attaquée de la même façon ».
La représentation diplomatique renforce son dispositif de sécurité à Abidjan, l’Hexagone condamne, et même fermement du côté de l’armée et la présidence ivoirienne, et dresse un bilan de ces exactions. Certains de ses expatriés en Côte d’Ivoire se demandent s’ils ne vont pas partir. Une victime française, mariée à un Ivoirien et vivant en Côte d’Ivoire, a confié sa déception au quotidien 24 Heures, s’interrogeant sur le fait que les Français « ne sont pas sortis avec les patrouilles pour protéger leurs ressortissants ».
Arabes et Libanais molestés
L’agression s’est produite alors qu’elle était au volant de sa voiture. Un scénario qu’ont revécu plusieurs automobilistes et civils blancs. Le Patriote rapporte que « sous le regard nonchalant des éléments de l’ordre national, les jeunes partisans de Gbagbo molestaient tout ressortissant français, […] voire toute personne de couleur blanche. Plusieurs ressortissants de l’Afrique du Nord et du Liban […] ont été molestés ». Ces violences auraient duré plusieurs heures.
La mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire n’est pas sortie indemne de cette sanction populaire, qui est principalement restée cantonnée à Abidjan. Trente et un véhicules de l’Onuci ont sérieusement été endommagés. Mais on tient à minimiser l’importance de des incidents et de ses auteurs. « Les Ivoiriens ne sont pas anti-français ni contre l’Onu. Il s’agit d’un petit groupe, 200 à 300 personnes, d’activistes manipulés ou peu éclairés sur le rôle que joue la communauté internationale dans la résolution de ce conflit », précise Jean-Victor Nkolo, porte-parole de l’Onuci, qui s’insurge contre le fait que certains pensent que l’Onuci soit du côté des rebelles.
Ils sont peu, mais ont causé de tels troubles que les écoles françaises ont fermé leurs portes mardi. Fermeture d’ordre sécuritaire mais provisoire. « Les établissements ont rouvert leurs portes ce mercredi », assure-t-on à l’ambassade de France. L’ambassade des Etats-Unis, qui avait fermé ses portes mardi, a également rouvert.