Que pensent les Marocains de France des évènements qui secouent leur pays d’origine ? Inspirée par les révoltes tunisiennes et égyptiennes, la jeunesse marocaine exprime sa colère depuis un mois. Le « Mouvement du 20 février « , créé sur le réseau social Facebook et dirigé par un groupe de jeunes militants, est l’initiateur de toutes les manifestations que connaît actuellement le royaume. Il réclame, entre autres, davantage de démocratie et une révision de la Constitution. En France, la diaspora est divisée sur le sujet.
Notre enquête commence avec une association, celle des travailleurs marocains de France (AMTF) basée à Argenteuil, en région parisienne. Mokhtar Merkaoui, secrétaire général de l’association, déclare soutenir le « Mouvement du 20 février« . « On adhère au mouvement et on est d’accord pour qu’une révision de la constitution soit effectuée, que le parlement soit dissolu et que de nouvelles élections aient lieu (…) Le premier ministre, M. El Fassi, doit démissionner. C’est un ras-le-bol général de la corruption et de ces gens qui détiennent le pouvoir comme le clan El Fassi. Mais, pour autant, nous avons besoin de notre roi. L’idéal serait de copier le modèle Anglais ou Espagnol », précise-t-il.
C’est dans les rues du quartier de Clichy que nous poursuivons notre enquête. Abdelaziz, 36 ans, gère une maroquinerie et, pour lui, tout va bien au Maroc. « Mohammed VI est un bon roi et il s’est occupé d’un tas de chose comme l’Est Maroc, longtemps abandonné par Hassan II. Les révoltes de certains pays arabes donnent des idées farfelues à des groupes marginaux qui, d’après moi, ne représentent aucunement le Maroc. Vive le Maroc, vive le roi ! », s’exclame-t-il.
Des protestations peu médiatisées ?
Beaucoup de Marocains semblent ne pas être au courant ou peu informés des protestations que connaît en ce moment leur pays d’origine. Comment expliquer ce manque d’information : désintéressement ou désinformation ? C’est la question que nous avons posée à certains d’entre eux, et notamment à Rafik, 21 ans, étudiant en commerce. Pour lui, les événements qui secouent actuellement le royaume chérifien ne sont pas assez médiatisées. « Je n’étais même pas au courant qu’il y avait des manifestations au Maroc et je ne regarde pas la télévision marocaine. Mais si on en entend pas parler tant que ça dans les médias français, c’est que ça ne doit pas être si grave que ça », suppose Rafik.
Chafik, 25 ans, transporteur d’organes, et Imane, 27 ans, en formation de cadre à la SNCF, déclarent tous deux ne pas être davantage informés par les médias sur les évènements au Maroc. Cependant ils connaissent l’actualité de leur pays d’origine et, à ce propos, Chafik déclare que les mouvements de protestations sont légitimes. « Il faut arrêter d’idolâtrer le roi, ce n’est qu’un simple humain. Et si personne ne donne son opinion, comment savoir si l’on se dirige tous vers la même direction ? La politique du « je fais ce que je veux » doit cesser. On ne peut plus se permettre d’emprisonner des personnes sous prétextes qu’elles ne marchent pas dans le même sens que la monarchie ou parce qu’elles critiquent la personne du roi. Le pays a inévitablement besoin de se diriger vers une démocratie à part entière, avec une totale liberté d’expression. Nous sommes en 2011, et le temps de Hassan II est révolu », lance-t-il.
Imane pense que le roi doit arrêter de tout vouloir contrôler. « Le mouvement doit s’intensifier et le peuple ne doit pas se laisser influencer, déclare-t-elle. Son discours n’était que de la poudre aux yeux ! Pour moi, le problème ne vient ni du gouvernement, ni du Premier ministre mais de la monarchie. Il ne faut pas se voiler la face, toutes les décisions proviennent du roi et de son entourage. Après Hassan II, Mohammed VI avait quelque peu libéralisé la presse, mais depuis quelques temps on fait marche arrière et la censure et les arrestations sont de nouveau d’actualité ».
Comme au Maroc, les avis divergent…
Comme au Maroc, les avis de la diaspora marocaine en France sont divisés. A Paris, certains expriment leur soutien aux mouvements et d’autres ne les comprennent pas. Nous poursuivons notre enquête dans les rues de Barbès, et c’est chez Khalid, 58 ans, gérant d’une boutique de Caftans, que nous nous arrêtons. « Je suis pro-démocratie et anti-royaliste, mais malgré ça à chaque fois que je retourne au Maroc je remarque les énormes changements depuis l’arrivée de Mohammed VI. Mais il faut la démocratie, stop aux monarchies ! C’est un système qui profite aux classes sociales les plus aisées et qui pourrit la vie des plus pauvres », juge Khalid.
Une de ses clientes, Sarah, affirme ne pas croire à une révolution mais juste à un coup de pub. « Maintenant que ces jeunes ont réussi à se faire connaître, le « Mouvement du 20 février » va s’atténuer et les gens vont arrêter de les suivre. Cet été on en entendra plus parler, c’est aussi simple que ça », affirme-t-elle. Le cas de Sarah n’est pas isolé. Beaucoup de jeunes Marocains de France ne croient pas à la révolution. A en croire les discussions qui ont cours dans les quartiers de Barbès et Clichy, ce n’est qu’un simple copier-coller raté de la Révolution du Jasmin. Pour beaucoup, ces manifestations n’ont ni queue ni tête.
Hafida, 31 ans, boulangère, juge que le Maroc est un pays prospère. Bien qu’elle soit contre la politique d’emprisonnement des opposants politiques, elle soutient le roi et affirme que « les gens au Maroc sont libres de leurs faits et gestes contrairement à d’autres pays arabes ». Elle rajoute que « le Maroc est un pays très ouvert et tolérant ». « Ces jeunes qui défilent réclament des choses qui ne changeront rien au Maroc étant donné qu’il s’est incroyablement modernisé », estime-t-elle.
Pour Loubna, 30 ans, responsable en marketing, ce mouvement n’a plus lieu d’être depuis le discours du roi, le 9 mars dernier. « Le roi a répondu à beaucoup de leurs attentes, et trois mois ça arrive vite. Il faut du temps pour réformer une constitution, cela ne se fait pas du jour au lendemain. Pour moi, ce mouvement est minoritaire, qu’ils réclament toujours c’est leur droit, mais il ne faut pas non plus demander la lune », dit-elle en souriant.
Beaucoup de jeunes Marocains de France ne sont pas au courant des manifestations qui ont lieu dans le royaume chérifien, ou ne sont que très peu informés. D’autres prennent le problème avec beaucoup de légèreté et considèrent que ces contestations ne sont pas aussi denses qu’elles l’ont été en Tunisie et en Egypte ou en ce moment en Libye. Pour le reste, les avis divergent, il y a les pour et les contre. Constat saisissant : que l’on soit pro ou anti-manifestations, quasiment personne, au Maroc ou en France, ne demande que Mohammed VI abandonne son trône.