L’entreprise nucléaire AREVA est accusée d’avoir contaminé l’eau des communes d’Arlit et d’Akokan au Niger. Sa filiale Cogema, qui exploite les deux mines d’uranium depuis 1982, n’aurait pas respecté les normes sanitaires imposées par la réglementation française, afin de protéger la population et les travailleurs de la radioactivité. Une accusation soutenue par deux associations mais réfutée par la multinationale. Selon une source nigérienne proche des deux sites miniers dans les années 90, les eaux usées seraient le principal danger de contamination.
AREVA accusée de contaminer par radioactivité la population au Niger. C’est ce que les associations françaises Sherpa et CRII-Rad (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité) ont dénoncé le 25 avril dernier au cours de l’émission 90 minutes sur la chaîne Canal+. Documents de sous-traitants de l’entreprise et analyses d’experts à l’appui sur le taux de radioactivité des déchets et de l’eau. La multinationale nucléaire française exploite, depuis 1982 par l’intermédiaire de sa filiale Cogéma, deux entreprises d’extraction d’uranium au Niger : la Somaïr et la Cominak. Et elle est confrontée depuis un an à une polémique qui met en cause le respect des normes sanitaires contre la radioactivité pour les habitants des deux villes voisines, Arlit et Akokan.
Les deux associations ont analysé des échantillons d’eau. Elles ont constaté que les indices de radioactivité dépassent les normes posées par l’Organisation Mondiale de la Santé. Selon la législation française, “ la dose totale indicative doit être impérativement inférieure à 100 microsieverts par an pour que l’eau soit conforme aux critères de potabilité ”. Cette analyse a été confirmée par un ancien laboratoire sous-traitant de la Cogéma, qui affirme dans une lettre envoyée en septembre 2004 à la Somaïr que “ les critères de potabilité des eaux retenues par la directive européenne (…) ne sont pas respectés par les deux échantillons prélevés ”. Ces analyses sont réfutées par la société AREVA : “ Qu’il s’agisse de l’eau, des aliments, ou de l’inhalation de poussières, le taux de radioactivité auquel la population est exposé demeure faible et inférieur aux recommandations sanitaires internationales ”.
Maladies répertoriées ?
Des ONG locales ont depuis quelques années attiré l’attention sur les sites d’Arlit et d’Akokan, les habitants et travailleurs des mines se plaignant de tomber malade à cause de la radioactivité. Des maladies cardio-vasculaires ont été contractées par les riverains des villes minières, ainsi que des phénomènes allergiques, et des problèmes gynécologiques : grossesses extra-utérines, malformation des enfants à la naissance. D’autres aspects liés à des troubles du comportement ont également été relevés. Pour la multinationale, ces pathologies seraient pour la plupart “ caractéristiques des zones désertiques en raison de la présence abondante de sable et de poussière ”. “ Ces maladies et leur cause sont dûment répertoriées par l’OMS ”, précise AREVA.
Selon une source nigérienne qui travailla aux côtés des deux sociétés entre 1990 et 1997, et qui a tenu à garder l’anonymat, de tels troubles de santé existaient déjà à son arrivée sur les sites. Pour ce spécialiste, les sociétés se sont heurtées à deux principaux problèmes quant à la protection de la santé des populations contre la radioactivité : la question du traitement des déchets et du ramassage des ordures ménagères, et celle du traitement des eaux usées.
“ A l’époque, nous avons retrouvé des tas d’ordures aussi anciens que l’existence des sites (1982, ndlr) entassés derrière les usines. Ces déchets sont principalement de la ferraille, comme des véhicules inutilisés, ou des ustensiles industriels défectueux ”, confie l’homme. La ferraille est très prisée par la population locale, qui la récupère pour son usage personnel ou pour la revendre sur le marché. Le danger de radioactivité est dû au dépôt de poussière “ très important ” sur ces déchets. La poussière peut contenir de l’uranate, la particule radioactive la plus fine et la plus difficile à traiter, susceptible de contaminer facilement l’organisme. Ces déchets, laissés à ciel ouverts, étaient à la portée des enfants, ainsi qu’à celle des animaux, pour la plupart destinés à terminer dans les assiettes de la population.
Cependant, au cours de la dernière décennie, les deux entreprises locales ont financé un système “ correct ” de ramassage des ordures ménagères. Dix manœuvres sont chargées d’évacuer ces déchets, de les brûler pour éliminer un maximum de particules, et de les enterrer. Mais il semble que malgré ces mesures, la ferraille continue à passer outre le ramassage et le contrôle sanitaire. Dans un rapport publié le 20 avril dernier par AREVA, l’Institut de radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) confirme “ la présence sur le marché d’Arlit de ferrailles contaminées en provenance des sites miniers ”… L’IRSN recommande à l’entreprise nucléaire de mettre en œuvre des actions de récupération de ces ferrailles dans le domaine public, ce qui ne s’avère pas être une mince affaire. Notre témoin a pu également constater durant ces années (90-97) que de la boue était déposée en masse derrière les usine : “ Cette boue, qui se dessèche, finit par s’effriter. Avec le vent, elle part en poussière et est inhalée par les habitants ”.
Danger des eaux usées ?
Mais le plus inquiétant serait pour lui la question du traitement des eaux usées, qui sont utilisées quotidiennement par la population, notamment pour ses besoins agricoles, dans une région aride. Les deux sites miniers ont un dispositif de décantation, constitué de six bassins. Ces bassins filtrent l’un après l’autre les particules grâce à un tamis. Mais selon ce témoin, ce dispositif serait insuffisant. Et de préciser : “ Il existe des normes d’hygiène et d’assainissement bien strictes et précises, basées sur le modèle européen. L’une d’elle exige que les sites de cette catégorie d’usine soient situés à au moins 80 kilomètres des villes, ce qui évite une éventuelle contamination par inhalation, ou par usage des eaux usées. Dans le cas de la Somaïr et de la Cominak, elles se situent à moins de 6 kilomètres des sites d’Akokan et d’Arlit. De quoi être très inquiet.”
Un rapport sur le problème des eaux usagées avait été réalisé, il y a maintenant une dizaine d’années. Mais le sous-préfet de l’époque, sous la pression de la Cogema, avait fait en sorte qu’il ne soit pas publié. “ C’était prendre des risques ”, explique notre source. Il existe bien sûr un service de prévention interne destiné aux employés, qui œuvre à sensibiliser les ouvriers sur les risques de radioactivité et sur les consignes de sécurité à respecter. “ Mais dans les faits, il faut reconnaître que c’était très laxiste, il n’était pas rare de voir des employés ne pas utiliser leur masque, ou parfois même leur combinaison.”
De la sorte, la sensibilisation aux problèmes de santé publique était très difficile. D’une part, il est très délicat de prévenir une population pauvre contre des risques de contamination dus à l’alimentation. D’autre part, les pressions exercées par les deux sociétés n’ont malheureusement pas encouragé ces campagnes de prévention. Aujourd’hui, il semble que le vent tourne. Lui aussi radioactif ?