Scientifiques, juristes, médecins et victimes ont dressé mercredi un réquisitoire accablant sur les activités d’exploitation d’uranium de la société française Areva au Niger et au Gabon. Jugée opaque dans la gestion de l’information, l’ex Cogema est accusée d’avoir sciemment laissé ses employés et les habitants des zones minières qu’elle exploite exposés à d’importants taux de contamination radiologiques.
Mercredi, les juristes, les scientifiques, les médecins (Médecins du monde) et les représentants des associations de victimes des mines d’Arlit et de Mounana, au Gabon, fermée depuis 1999, ont présenté les conclusions de trois ans d’enquêtes à Paris. « Nous avons de très sérieuses raisons de penser que des Africains et des expatriés français ont contracté des maladies seulement en raison des manquements d’Areva » en matière de protection de la santé et de l’environnement, a expliqué William Bourdon, le président et fondateur de l’association Sherpa.
Le chanteur nigérien Abdallah Oumbadougou avait expliqué en novembre dernier à Afrik, lors d’une interview, qu’il envisageait de quitter sa ville natale, Arlit, à 250 Km au nord d’Agadez, parce qu’il craignait pour la santé de sa famille. Guizmo, son partenaire musical français dans le collectif Désert Rebel, lui avait parlé d’un reportage selon lequel l’exploitation des mines d’uranium d’Arlit par Areva (ex Cogema) serait à l’origine d’une pollution de l’eau potable et de nombreux décès dans la région.
Diffusé sur la chaîne privée Canal +, en 2004, il montrait l’association de juristes internationaux Sherpa et l’équipe de scientifiques de la Criirad (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité) lors de leur première mission, en 2003, sur la situation des travailleurs de l’ex-Cogema à Arlit. Une ville bâtie en plein désert, dans les années 1970, pour les besoins de l’exploitation du précieux minerai, et qui atteint aujourd’hui 70 000 habitants.
Les résidus radioactifs « exposés à tous les vents »
Selon les associations accusatrices rasemblées mercredi à Paris, Areva et ses filiales – Somaïr et Cominak au Niger, la Comuf au Gabon – ont volontairement maintenu leurs employés dans la méconnaissance des risques qu’ils encouraient à travailler dans les mines. « Ce n’est qu’en 1986 qu’il y a eu une timide sensibilisation », a expliqué Almoustapha Alhacen, ouvrier dans les mines d’Arlit et président de l’association nigérienne de protection de l’environnement Aghir N’Man. Fondée en 2000, c’est elle qui a sollicité la Criirad en 2003 pour évaluer la situation radiologique sur le terrain. « On voyait nos camarades mourir sans comprendre pourquoi », se souvient-t-il.
Après avoir échoué à faire interdire la mission exploratoire à Arlit, le directeur de la Cominak va parvenir à faire confisquer le matériel de mesure des scientifiques à la douane de Niamey, selon le rapport des associations. Ces derniers parviendront néanmoins à conserver des instruments dont les relevés seront sans appel : « Le taux de contamination de l’eau distribuée à la consommation dépasse largement les normes de l’OMS », assure Bruno Chareyron, responsable de la Criirad. Le laboratoire scientifique a également mesuré des pièces de ferrailles fortement contaminées sur le marché de la ville et constaté que les résidus radioactifs (500 0000 Becquerels par kilogrammes) étaient entreposés à l’air libre, « exposés à tous les ruissellements et tous les vents ».
Areva n’a pas de maladies professionnelles
Areva a répondu aux contrôles de la Criirad par des mesures effectuées par ses experts et selon lesquels il y a une absence de contamination de l’eau distribuée à Arlit, selon Bruno Chareyron, qui regrette cette stratégie de la négation pure. Le but d’Areva, accuse le rapport des associations, est de rendre impossible l’établissement d’un lien de causalité entre l’exposition au rayonnement et les maladies développées qui pourraient lui coûter cher. C’est pourquoi la société garde secret les rapports d’enquête qu’elle effectue, comme celui qu’elle a réalisé en 1986 à Mounana.
C’est dans cette ville que Jacqueline Gaudet a passée 15 ans de sa vie. En 2005, elle a créé Mounana, l’association des anciens travailleurs expatriés du site minier, « pour la simple et bonne raison qu’il y a trop de cancer chez les expatriés », a-t-elle expliqué mercredi. Elle-même a perdu successivement son mari, son père et sa mère d’un cancer en l’espace de 10 ans après être rentrée en France. Areva lui a expliqué n’être pas concernée par la maladie de son père, mort d’un cancer du poumon liée à une exposition au radon, car il était assuré pour cette maladie par la Caisse de sécurité sociale gabonaise. Quant aux dossiers médicaux, elle n’y a pas accès. Dans ces circonstances, « c’est facile pour Areva de dire qu’elle n’a pas de maladie professionnelle », se désole-t-elle.
« Le développement durable au cœur de la stratégie Areva »
Anticipant le battage médiatique préparé par les associations, Areva a annoncé le 16 mars dernier sa volonté de créer un « Observatoire de la santé autour de ses sites miniers ». « Une avancée positive à laquelle nous devons répondre avec toutes les précautions d’usage », estime le vice-président de Sherpa. Quant à Almoustapha Alhacen : « J’avoue que je n’ai pas confiance en eux car ils sont spécialistes en publicité », explique-t-il presque gêné.
Dans le communiqué annonçant sa proposition, Areva assure mettre « le développement durable au cœur de [sa] stratégie », de même qu’elle contribue à « répondre aux grands enjeux du XXIe siècle : la préservation de la planète et la responsabilité vis-à-vis des générations futures. » Sherpa, qui a déjà poussé Total à indemniser des ouvriers birmans, a prévenu qu’elle disposait de suffisamment d’éléments pour entamer « une ou des procédures » en justice « longues et complexes » en France.
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