« Constant Mutamba et le président de la République ont un deal », Me Martin Milolo parle de la justice en RDC


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Martin Milolo, avocat au barreau de Kinshasa/Matete
Martin Milolo, avocat au barreau de Kinshasa/Matete

En RDC, on assiste depuis quelques jours, à une guerre ouverte entre le ministre de la Justice, Constant Mutamba, et les magistrats. Le premier, décidé à remettre de l’ordre dans la maison Justice, fait feu de tout bois pour atteindre son objectif. Les seconds lui reprochent de vouloir faire porter la responsabilité des maux de l’appareil judiciaire essentiellement aux magistrats. D’où leur réaction, vive et énergique. Pour parler de cette question brûlante de l’actualité congolaise, Afrik.com s’est rapproché d’un homme du sérail : Martin Milolo, avocat au barreau de Matete.

Afrik.com : L’actualité congolaise est dominée par la tension entre le ministre de la Justice, Constant Mutamba, et les magistrats. Parlez-nous un peu de Constant Mutamba qui, avant de devenir ministre de la Justice, est quand même l’un de vos confrères.

Le ministre Constant Mutamba est le symbole des jeunes congolais qui s’improvisent politiques. Juriste de l’Université protestante au Congo (UPC), il est avocat au barreau de Kinshasa/Gombe et a d’abord commencé son activisme comme militant et fondateur d’un mouvement citoyen « Nouvelle Génération pour l’émergence du Congo (NOGEC) », avant de se lancer en politique. Il a d’abord été au Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila avant de lui tourner le dos pour créer son propre FCC dit FCC révolutionnaire, proche de Félix Tshisekedi, même s’il continuait de se réclamer de l’opposition républicaine.

Jusqu’avant sa nomination comme ministre de la Justice, il se réclamait de l’opposition avec sa plateforme électorale (Dynamique progressiste « DYPRO ») sur la liste de laquelle il s’est fait « élire » comme député national. Mais, il est un secret de polichinelle qu’il est toujours proche du pouvoir de Félix Tshisekedi qui a fait de lui, d’ailleurs, un candidat à l’élection présidentielle de 2023 pour valider la fraude électorale. Voilà en quelques mots, ce que je sais de mon confrère Constant Mutamba, qui ne me semble pas constant dans sa carrière politique.

Ces propos sont quand même graves. Vous voulez dire que Constant Mutamba était un candidat fantoche ?

Oui, c’est connu de tous qu’il était un candidat fabriqué par le pouvoir pour faire passer la pilule. Suivez ses faits et gestes pendant la campagne et même avant. Rappelez-vous, il est le premier à avoir félicité Félix Tshisekedi avant même la publication des résultats par la CENI.

Venons-en à l’actualité. Que se passe-t-il réellement dans la maison Justice de votre pays ?

Il faut d’abord dire que cette maison Justice est sale, et je dirai même très sale, car elle rend malade les citoyens qui y entrent ; le président de la République, qui en est le surveillant, l’a même qualifiée de « malade ». Mais en réalité, c’est sa saleté (corruption, clientélisme, trafic d’influence, politisation, etc.,) qui l’a transformée en dépotoir des maladies, dont la plus mortelle est l’injustice qui la caractérise pour le moment. Il y a un combat dans la maison Justice de la RDC opposant les magistrats dont la plupart ont créé une véritable mafia dans la justice congolaise pour s’enrichir à travers la corruption et les règlements de comptes, et le ministre de la Justice, Constant Mutamba, qui tente de balayer la maison, de restaurer la justice en démantelant les réseaux mafieux et les mauvaises pratiques.

Mutamba veut reformer la justice pour redorer son image ternie dans l’opinion, mais la majorité des magistrats est réticente et se sent menacée par la politique du ministre. En l’espace d’une semaine, les Congolais ont assisté à un bras de fer entre le syndicat des magistrats et le ministre de la Justice à travers les communiqués et les sorties médiatiques qui ont provoqué l’intervention du Conseil supérieur de la magistrature pour calmer les magistrats syndicalistes et le président de la République qui a pris position pour le ministre, notamment lors du dernier conseil des ministres.

Dans le milieu des magistrats, ça gronde. Quelle est la position des avocats sur les actions de leur confrère devenu ministre de la Justice ?

Les avocats soutiennent leur confère devenu ministre de la Justice. En fait, il existe un conflit latent, sous-jacent entre les magistrats et les avocats qui n’est pas visible, mais il reste quand même réel. Certains avocats voient dans la nomination de leur confrère au ministère de la Justice comme une reconnaissance de leur rôle dans l’administration de la justice, alors qu’ils sont parfois marginalisés par les magistrats.

Pour l’instant, Constant Mutamba a le soutien du Président Tshisekedi. Vous l’avez dit. Pensez-vous que c’est sincère et que cela sera durable dans le temps ? Le ministre de la Justice aura-t-il les mains vraiment libres pour mener à bien son action ?

D’abord, Constant Mutamba et le président de la République ont un deal qui a fait que le Président l’a nommé ministre, car il ne répondait pas aux critères définis par l’informateur qui avait identifié la majorité parlementaire devant former le gouvernement. Officiellement, Constant était dans l’opposition, et ce gouvernement n’était pas un gouvernement d’union nationale, il ne devrait pas se retrouver au gouvernement, le Président l’a donc imposé dans son équipe gouvernementale. À ce titre, le soutien du Président est donc logique. Car, en réalité, Constant Mutamba exécute un agenda à lui confié par le Président en dehors de la politique générale du gouvernement adoptée par l’Assemblée nationale lors de l’investiture. C’est un soutien circonstanciel dont seules les circonstances déterminent la durée.

Même si parfois, il peut faire semblant de jouer au populisme à travers certaines pratiques notamment les tribunaux populaires pour montrer qu’il a les mains libres, il reste lié par le Président qui lui a confié l’agenda à exécuter.

Quel est cet agenda, selon vous ?

Redorer l’image de la justice qui a terni l’image de son régime (un régime caractérisé par la complaisance, la corruption et la politisation) et régler les comptes aux dignitaires de l’ancien régime (régime Kabila, même si cet ancien régime n’est pas, lui-même, aussi innocent). Souvenez-vous de cette phrase « nous allons ouvrir les placards pour sortir les cadavres » dite par le Président et le ministre de la Justice.

Près de 9 millions de dollars détournés par des gens censés être les gardiens du temple, c’est quand même suffisamment grave. Le Président Tshisekedi n’avait-il pas raison de reconnaître publiquement que la justice de son pays est malade, comme vous l’avez, vous-même, rappelé plus haut ?

En réalité, l’argent détourné dépasse les 9 millions de dollars ; c’est devenu comme une loi de la nature pour les détournements au Congo/Kinshasa. Les détournements sont banalisés ; c’est comme si cela m’émeut plus les instances judiciaires et les services anti-corruption. Ces gardiens du temple ont détruit complétement le temple ; ils ne gardent plus rien, ils se gardent eux-mêmes. Quant au Président, il a dit ce que tout le moment connaissait déjà au Congo ; mais ce n’est pas le rôle du Président de se lamenter sur la maladie de la justice, c’est lui le médecin, car il est le magistrat suprême aux termes de la Constitution.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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