Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a renouvelé ses dirigeants, dimanche. Le scrutin, qui a donné la victoire au Rassemblement des musulmans de France (RMF) appuyé par le Maroc, a été vivement critiqué par ceux qui jugent que le CFCM est une institution peu à même de représenter l’islam en France. Certaines fédérations musulmanes ont d’ailleurs boycotté le vote.
Prévisibles, les résultats du vote renouvelant les instances du Conseil français du culte musulman (CFCM) sont tombés dimanche. Le Rassemblement des musulmans de France (RMF) l’emporte avec 43,2% des suffrages exprimés. Soutenue par le Maroc, cette fraction dissidente de la Fédération nationale des musulmans de France(FNMF) depuis 2006 participait à sa première élection. Sans mal, elle a emporté l’adhésion de la majorité des grands électeurs participant au scrutin, reléguant derrière elle l’Union des organisations islamiques de France (l’UOIF avec 30,2%) et le Comité de Coordination des musulmans Turcs de France (CCMTF), avec 12,7% des voix. La FNMF obtient le vote résiduel de 1,4% des votants.
Ce scrutin prélude à celui du 22 juin, qui verra l’élection des membres de l’organe exécutif et administratif du CFCM, ainsi que celle du nouveau président de l’Institution. A coup sûr, c’est Mohamed Moussaoui, le chef de file et candidat officiel du RMF qui occupera le poste de Dalil Boubakeur, le président sortant.
Une élection contestée
Mais l’élection, son processus et ses résultats suscitent le débat, voire une polémique désabusée au sein de la communauté musulmane de France. Pour Mohamed Colin, directeur de publication du quotidien en ligne, Saphirnews, dédié à l’islam et aux musulmans de France et d’Europe, « les jeux étaient déjà faits. C’est un islam consulaire qui sort des urnes. Il n’y a pas d’avancée, pas de rupture avec le CFCM d’avant. Il s’agit juste d’une alternance, entre un islam « algérien » et un islam « marocain ».» La Fédération de la Grande Mosquée de Paris (FGMP), soutenue par l’Algérie, ainsi que la mosquée de Lyon ont tout bonnement refusé de prendre part au vote. Les détracteurs de Dalil Boubakeur- recteur de la mosquée de Paris en plus d’être le président sortant du CFCM- expliquent sa défection prématurée par le fait qu’il n’avait pas, cette année, le soutien du gouvernement français et qu’il savait sa défaite assurée. En 2005 en effet, alors que la FGMP n’avait pas remporté l’élection préliminaire, Boubakeur avait été imposé par Nicolas Sarkozy (alors ministre de l’Intérieur, et donc en charge des questions cultuelles).
Le boycott se veut surtout une contestation contre le mode de désignation des électeurs. Les opposants au CFCM le qualifient de non-représentatif et d’anti-démocratique. Seuls 4 900 votants ont pu s’exprimer dimanche, alors que la communauté musulmane s’élève à environ 5 millions de personnes à travers le pays. Les électeurs sont en effet désignés selon les surfaces au mètre carré des lieux de cultes. Ainsi les grandes mosquées, mais peu fréquentées, ont plus d’électeurs que les petites mosquées dont les séances de culte sont bondées. La victoire du RMF était donc largement attendue, puisque ce groupe possède le plus de mosquées affiliées, qui sont aussi les plus spacieuses. L’opposition crie au scandale, dénonçant une stratégie visant à influencer le vote pour minorer les revendications des musulmans français.
L’après-Boubakeur
La mission que s’est donnée le CFCM est de rassembler les différents courants de pensée des musulmans de France. Le bon déroulement de cette tâche s’est heurté, depuis la création du CFCM en 2003, aux luttes internes elles-mêmes caisses de résonances d’une rivalité entre l’Algérie et le Maroc. Pour sortir des stratégies de fédération auxquelles s’adonnent les recteurs de mosquées, le CFCM devra, selon Mohamed Colin, opérer un tournant dans sa gestion, « en assumant pleinement son rôle d’institution, en parvenant à dégager un consensus, ce qui n’a jamais été le cas jusqu’à aujourd’hui. » La meilleure façon de commencer, ajoute-t-il, est de traiter des dossiers symboliques sur, par exemple, la question du pèlerinage, dont le marché est miné par l’escroquerie, ou encore la question du financement des mosquées ». Ces sujets sont au cœur des attributions du CFCM, qui gère également l’organisation des fêtes religieuses, l’octroi de carrés musulmans dans les cimetières, la formation des imams…
Pour montrer sa volonté de mettre fin aux luttes d’influence, le CFCM a déclaré que les membres de la Grande Mosquée de Paris seraient les bienvenus au sein du Conseil exécutif. Dalil Boubakeur pourrait alors briguer le siège de président d’honneur. La Mosquée de Paris demeure très représentative d’une large fraction de la population musulmane de France. « Ce qui est important, explique Mohamed Colin, c’est que la Mosquée de Paris tire les enseignements de cette expérience et renouvelle ses cadres, afin qu’ils soient plus proches des musulmans de France ». Quoiqu’il en soit, le fonctionnement du CFCM sans la FGMP est difficilement envisageable.
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