Afrik.com a rencontré à Brazzaville Tima Ouamba, auteur en 2007 du roman « Terre Pourpre », qui vient de faire l’objet d’une adaptation en BD par les dessinateurs Valéry Badika Nzila alial Baik’Art, et Roy Chanel Depoeck Itoua, alias Nach. Prochaine étape : le tournage d’un film sur la trame de cette histoire émouvante et porteuse d’un message de paix et de tolérance pour le Congo. Interview exclusive.
AFRIK.COM : Tima Ouamba, après « Terre pourpre » paru aux éditions Berbanz, en 2007, et Pari Perdu, Paris sauvé, en 2011, par le même éditeur, vous publiez cette année une bande dessinée intitulée : Le Mystère de la Terre Pourpre, toujours aux éditions Berbanz. Pouvez-vous nous dire pourquoi ce changement de format ?
Tima Ouamba : Je remercie sincèrement Afrik.com de me donner l’occasion de parler de mon œuvre et de mes projets au-delà. Car tout est programmé. Rien n’est fait au hasard ou par coup de tête. L’inconnu c’est juste le temps, le moment où paraît telle ou telle œuvre. Tenez par exemple, « Terre pourpre », le roman, aurait pu paraître un ou deux ans avant sa date de parution, idem pour le deuxième roman qui, lui, était prêt dès 2009. Pour revenir à votre question, le choix du passage de format du roman à la bande dessinée s’est fait logiquement. Lorsque j’écrivais « Terre pourpre », le roman, je savais déjà que je l’adapterai au cinéma. Le scénario avait été écrit mais vu la sensibilité du sujet, il fallait être pédagogue et faire une déclinaison en bande dessinée pour deux raisons principales : permettre aux autorités locales, auprès de qui je sollicite d’importants moyens financiers et logistiques, de bien comprendre mon projet dans sa globalité mais aussi dans sa phase long métrage car je me doute bien que personne ne prendrait le temps de lire un scénario de 114 pages, alors qu’une bande dessinée peut se feuilleter. La deuxième raison c’est que ma bande dessinée est aussi mon story-board car tous les plans dessinés sont ceux que je voudrais faire lors du tournage.
Afrik.com : En quoi le sujet est-il sensible ?
Tima Ouamba : Le sujet est sensible parce que le long métrage, comme je l’ai dit tout à l’heure est l’adaptation du roman « Terre Pourpre », qui, lui, évoquait la période dramatique que le Congo a connu en 1997 : la guerre civile qui a endeuillé notre pays. Je l’aborde du point de vue de la population civile, celle-là même qui a le plus souffert. Et chacun sait que les premières victimes de l’anarchie ou des guerres civiles sont les femmes, les enfants et les victimes de règlement de compte et autres dérives imaginables et inimaginables. Quand je circule à Brazzaville comme dans certaines localités du pays, je vois que cette guerre est encore présente dans la mémoire collective mais personne n’en parle. Je ne veux plus que cela se reproduise dans notre pays. C’est la raison pour laquelle je veux toucher le plus grand nombre de gens à travers le film, ce que le roman ou la bande dessinée ferait à petite échelle car tirés respectivement à 1000 et 500 exemplaires. Je veux leur porter les messages de paix, d’amour, d’espoir et de tolérance, et leur montrer la voie du dialogue pour que les douleurs enfouies au plus profond de chacun d’eux se libèrent par la parole dans le cercle familial ou amical et pourquoi pas à l’échelle nationale. Une parole sans haine et sans passion pour le bien de la collectivité.
Afrik.com : Comment comptez-vous faire ce film dans un pays où le cinéma est peu financé ? Et pourquoi les autorités publiques soutiendraient-ils ce projet financièrement alors que tous les budgets sont revus à la baisse à cause de la chute du prix du baril de pétrole ?
Tima Ouamba : Il est vrai que le paysage cinématographique congolais ressemble à un désert aride. Néanmoins, il y a quelques oasis qui se créent ci et là car les artistes existent au Congo. Et ce long métrage serait une grosse oasis, qui viendrait booster la créativité congolaise et contribuer à la relance de l’industrie du cinéma au Congo. Ma démarche est simple : faire venir une dizaine de techniciens français ou africains compétents pour encadrer quelques techniciens locaux et former ainsi une bonne équipe de tournage : échange de compétence. Nous tournerions la partie congolaise avec l’aide de l’armée, je l’espère, car un tel film ne pourrait se faire sans elle. Les autorités congolaises auront plusieurs raisons de soutenir financièrement ce projet : créer une économie alternative au secteur pétrolier en relançant l’industrie du cinéma au Congo, réduire la pauvreté dans le milieu culturel car ce projet permettra l’emploi de plusieurs centaines de comédiens, figurants et techniciens, tout en précisant que l’Etat n’a prévu aucun système de sécurité sociale ou de cotisation de la retraite pour ces catégories de métiers. D’où l’intérêt pour l’Etat de professionnaliser ce secteur en y apportant une caution financière lui garantissant un droit de regard sur tout ce qui se fera notamment : permettre à tous ceux que nous emploierons de cotiser à la sécurité sociale et pour la retraite. L’Etat serait également gagnant en récupérant son investissement par le biais de la TVA auprès des restaurateurs, de l’hôtellerie, taxi, épiceries et autres taxes et autorisations liées aux tournages sur des sites publics. A ce titre, l’exemple de l’industrie culturelle du Nigéria : « Nollywood » devrait attirer l’attention de nos autorités locales car elle représente 2 à 3% du PIB de ce géant d’Afrique et lui a permis de se positionner devant l’Afrique du Sud en tant que première puissance économique du continent.
En résumé, ce projet de long métrage aura un double intérêt pour l’Etat : économique, nous venons de le démontrer mais aussi et surtout, il permettra la consolidation de la paix et la sécurité retrouvées dans notre pays. Sans la paix, sans la sécurité, il n’y a pas de développement possible pour un pays. Les bruits de bottes font fuir les investisseurs.
AFRIK.COM : Vous parlez de paix et de sécurité retrouvées au Congo. Mais ne croyez-vous pas que de tels sujets peuvent réveiller des rancœurs ou donner une mauvaise image du pays en parlant de guerre civile ?
Tima Ouamba : Pas du tout ! Bien au contraire ! Tout dépend de la façon dont vous abordez cette question. Notre engagement est contraire à la haine. Ce projet est un hymne à la réconciliation des cœurs et un manuel du savoir vivre ensemble adressé aux différentes ethnies qui composent notre pays. Car le problème au Congo se situe dans les mentalités et dans les divisions ethniques. Le tout sur le dos de la démocratie. Nous n’avons pas assez assimilé cette notion de démocratie. Nous devons prendre le temps de l’expliquer à nos enfants et petits-enfants pour qu’elle s’installe durablement dans les mœurs. La démocratie ne se décrète pas. C’est avant tout un état d’esprit, une éducation. Parler des divisions du passé dans le but de trouver des solutions pour l’avenir ne peut qu’être bénéfique pour notre pays. Nous apporterons notre maigre contribution par le film, comme l’était déjà le roman, et actuellement la bande dessinée. Ce sont les politiques, tous bords confondus, qui n’ont pas fait leur travail. Premièrement, après les évènements de 1993, les députés de la majorité et de l’opposition auraient dû se réunir, à huis-clos au besoin, en une commission parlementaire pour connaître les causes de ces évènements, les responsabilités des uns et des autres, faire leur conclusion et recommandations. Ces documents auraient pu être classés secret d’Etat si les hautes sphères du pouvoir étaient très impliquées, mais progressivement, leur déclassification aurait permis aux journalistes et autres de diffuser des informations intéressantes pour notre compréhension de ces évènements. Or, rien n’avait été fait. Nous avons eu ensuite 1997. Rien non plus. 2002, encore moins. Vous comprendrez donc que notre problème c’est l’absence de dialogue sur des questions cruciales pour l’avenir de notre pays. Cette culture du silence doit être combattue.
AFRIK.Com : L’actualité de votre pays m’oblige à vous poser une question : que pensez-vous du changement ou on de la constitution ?
Tima Ouamba : Aucune question ne me dérange. Je suis plutôt du genre à dire le fond de ma pensée surtout quand il s’agit d’un sujet d’importance comme le changement ou non de la constitution. Cette question m’a déjà été posée lors de la présentation de la bande dessinée à la presse congolaise. Je suis donc à l’aise avec mes principes : ce que fait le peuple, le peuple peut le défaire. C’est même cela l’intérêt de la démocratie. A mon sens, une constitution ne peut pas empêcher le peuple de se prononcer sur des questions aussi importantes qu’un changement ou non de la constitution.
Et quand on lit le roman et ma bande dessinée, il y a ce personnage : Iris, qui est professeur de droit constitutionnel qui dit ceci : « Il existe des exemples éminents de Constitution n’ayant pas subi de révision depuis des décennies. Or, cela n’empêche pas la génération actuelle d’être en phase avec celle-ci. Une Constitution ne doit pas et ne peut pas être rédigée au profit d’une personne ou d’un groupe de personnes, mais pour le bien de tous et des générations futures. Posons-nous de vraies questions, sans tabou et sans passion. Notre Constitution est-elle adaptée à notre idéal de société?.. »
Pour moi, le peuple doit pouvoir trancher lorsqu’il y a de tels blocages. Regardez ce qui vient de se passer en Irlande : sur la question du mariage des homosexuels, il y a eu un référendum. En Angleterre, le Premier Ministre a été réélu sur la promesse d’organiser un référendum sur la sortie ou non du Royaume-Unis de l’Union Européenne. Actuellement, il entame une tournée dans les autres pays de l’Union Européenne pour tenter de trouver une solution par le dialogue. Il a prévenu qu’il soumettra la question au peuple anglais s’il n’y a pas d’accord avec ses homologues européens.
Pourquoi dans nos pays d’Afrique, le mot référendum doit toujours être synonyme de troubles ou de tensions ethnico-sociales ? La mentalité ! C’est la réponse à ma propre question. Les uns ont parfois 239 ans de démocratie (USA), les autres étaient une monarchie pure et simple avant de devenir une monarchie démocratique (Royaume-Unis) un peu comme d’autres encore qui étaient également une monarchie avant de devenir une démocratie parlementaire (la France). Nous avons donc encore du chemin à faire. Pas de précipitation inutile.
AFRIK.COM : Que voulez-vous dire par : « Pas de précipitation inutile ? »
Tima Ouamba : Je veux dire par là que le Congo n’est pas prêt pour une alternance politique. Je m’explique. Qu’à fait le Président Lissouba lorsqu’il a battu le Président sortant de l’époque : Sassou ? Il n’a pas gardé la Garde Républicaine de Sassou car il se sentait en insécurité sous prétexte qu’elle était composée des ressortissants de l’ethnie du Président sortant. Il avait donc recruté massivement dans les trois régions qui composaient sa majorité. Actuellement la Garde Républicaine est de nouveau composée d’éléments proches de l’ethnie au pouvoir. Et que ferait le prochain Président s’il est Lari, Téké ou autre ? Il dira toujours être en insécurité et se sentira obligé de recruter dans sa région. On se retrouvera encore dans une situation où les ethnies qui se sentaient lésées voudront prendre leur revanche sur celles qui étaient précédemment au pourvoir. C’est cette mentalité qu’il faut combattre avant de parler d’alternance politique. Il y a un grand travail d’éducation et de culture du vivre ensemble qui doit être fait au préalable dans l’armée, la police et les fonctionnaires. Nous parlerons d’alternance sans crainte lorsqu’un Président nouvellement élu aura la capacité de travailler avec la même équipe militaire que son prédécesseur, à l’instar du Président Obama, qui, lorsqu’il a pris ses fonctions a gardé le même Ministre de la Défense, Robert Gates, pourtant issu des rangs Républicains.
AFRIK.COM : Pensez-vous que cela soit possible au Congo ?
Tima Ouamba : Pour l’instant, je dirai non. A l’avenir, sûrement. Il faudrait que les hommes politiques suivent l’exemple de l’actuel Ministre de la Justice, qui s’est présenté à la députation dans un village du Sud alors qu’il est lui-même issu du Nord. Dans la même optique, chaque fonctionnaire devrait travailler obligatoirement, au cours de sa carrière, dans une région qui n’est pas la sienne. Il nous faut une plus grande ouverture d’esprit. Cela ne pourra se faire que dans un pays où règne la paix et la sécurité. C’est-à-dire maintenant. Et c’est là où nous avons, nous les acteurs culturels, un rôle à jouer pour favoriser cette culture du vivre ensemble dans nos ouvrages et nos films. « Un film peut faire bouger les choses ». C’est ce que vient de dire, à Cannes, Vincent Lindon en recevant son prix d’interprétation masculine.
Afrik.com : Pour revenir au film, quel résultat espérez-vous obtenir en le réalisant?
Tima Ouamba : Une reconnaissance nationale et internationale pour l’œuvre et ses contributeurs ne serait pas de refus. Mais j’espère que le tournage de ce film favorisera un certain nombre de lois en faveur de l’industrie du cinéma au Congo et principalement la création d’un organisme de soutien à la production d’œuvres locales sur le modèle du CNC en France. Je touche du bois pour qu’on commence le tournage dès la fin de cette année.
Afrik.com : Un dernier mot ?
Tima Ouamba : Le mot « PAIX », plus qu’important pour le Congo.