La comédienne Laurentine Milebo sera prochainement de retour à Pointe Noire, en République démocratique du Congo, avec des projets plein la tête. Rencontre avec l’une des rares et premières Congolaises à avoir réussi sa carrière cinématographique en Europe.
(De notre correspondant)
Début des années 50. Troisième arrondissement – Tié Tié – de Pointe Noire. République du Congo (RDC). Elizabeth Safou (et le cinéma avec elle mais il ne le sait pas encore) accouche d’une petite Laurentine. L’histoire ne le dit que plus tard, en ce mois de mai 52, une comédienne est née. «Tu peux écrire comédienne, me dit-elle, mais je me sens femme avant tout, mère de cinq enfants, grand-mère de douze merveilleux petits enfants. Combien de fois ai-je entendu « Arrête de faire ton cinéma », certaines personnes ont tendance à ne voir en moi que l’actrice, c’est gênant, je ne passe pas mes journées dans un grand écran! »
Et pourtant. La vie de celle que l’on surnomme « La Tante » a des allures de roman ; un roman que l’on pourrait justement adapter au cinéma. Issue d’un milieu modeste, Laurentine promène tout d’abord son enfance à Ponton la Belle puis, pendant quatre années et jusqu’à ses dix ans, au village Leboulou dans le Niari. Un papa policier pour lui apprendre l’obéissance, une maman ménagère pour lui apprendre la vie bien rangée. « Mon père – Papa Laurent Kady – ne jurait que par les études, quand bien même j’avais de rares fois le droit de jouer dehors au nzango. Forcément, je n’ai pas eu d’autres choix que d’être une très bonne élève. »
Une enfance studieuse… et artistique
Quel étonnement alors de voir ses parents accepter l’idée que la petite Laurentine, qui vient d’entrer au collège dans le quartier Fouks à deux pas de la maison familiale, rejoigne le groupe musical Les Pionniers. « J’avais douze ou treize ans et une envie formidable de m’évader de ce cocon familial. Ma petite soeur Thérèse Mounguélé n’avait de cesse de me dire : « On a bien le droit de vivre ! Pourquoi resterait-on à la maison ? » Je me revois encore avec elle et les Pionniers, chanter à pleins poumons et assouvir notre soif de liberté. »
La liberté de chanter ouvrira le pas à une autre liberté, celle d’aimer. Il est jeune, beau, grand et fort et il a dix-huit ans. Il est même guitariste. Laurentine, du haut de ses quinze ans est simplement folle amoureuse de Gaston. « On nous appelait Johnny et Sylvie ! Il me parlait de la France comme d’autres rêvent d’Amérique. A l’époque nous n’avions pas la télévision, pas d’image autres que celles où nous vivions. Dans notre imaginaire, la France, c’était le paradis terrestre. » Si son coeur bat au plus fort et si Laurentine fait ses débuts sur scène avec une troupe amateur de théâtre à la Paroisse St Jean de Bosco, elle ne passe qu’une seule année sur les bancs du Lycée Karl Marx, aujourd’hui Victor Augagneur. La faute à un ventre qui s’arrondit jour après jour, semaine après semaine. « Mon père me disait toujours : « Si tu arrêtes les études je te tue », pour vivre ma Love Story j’avais choisi d’être enceinte et de mettre mes parents brutalement au pied du mur, devant ce fait amoureusement accompli. C’était aimer Gaston ou mourir », dit-elle dans un éclat de rire. « La naissance de mon premier enfant alors que je n’avais que 16 ans, est sans doute le moment le plus fort de mon existence », continue-t-elle.
Une amoureuse du cinéma avant d’être actrice
Surprise d’être restée en vie, c’est dans le quartier de Matendé que Laurentine découvrira quelques mois plus tard – heureuse et épanouie – les joies de la vie de jeune mère de famille. « Je trouvais malgré tout le temps d’aller au cinéma, m’extasiant devant les films indiens, les péplums italiens ou encore les films de Bruce Lee, continuant par ailleurs le théâtre et le chant. Et puis, à force d’économie, je me suis enfin envolée vers le paradis terrestre, pour rejoindre Gaston parti un peu plus tôt, c’était en août 1976 », raconte-t-elle. La suite est connue et sa filmographie éloquente parle pour elle. C’est tout d’abord Marco Pauly qui la révèle au grand public en lui proposant son premier rôle dans le film Black Mic Mac 2. « C’était mes vrais débuts devant la caméra et si j’en menais pas large j’ai trouvé avec Marco Pauly ce que je n’ai jamais retrouvé plus tard. Sa gentillesse débordait de partout, il était à mes petits soins, à mon écoute. Moi, je pensais du coup que c’était toujours comme ça sur les tournages, que le cinéma c’était ça. Une ambiance profondément chaleureuse. J’ai retrouvé cette ambiance avec Daniel Vignes pour le film Fatou la Malienne mais j’avoue que c’est quelque chose de peu fréquent et c’est en enchaînant les tournages que j’ai appris que comédienne était un métier pour le moins difficile et parfois sans pitié ». Mais Laurentine enchaîne : longs, courts, pièces de théâtre… Une liste trop longue pour être exhaustive, mais où l’on peut citer : Ripoux contre Ripoux de Claude Zidi, Elisa de Jean Becker, L627 de Bertrand Tavernier.
Laurentine deviendra également l’actrice fétiche de Jean Odoutan Djib, Mama Aloko) et reçoit pour le film Barbecue-Pejo, le Prix Air Afrique du Festival de Milan ainsi que le prix de la meilleure comédienne de l’année à Khourigba au Maroc. « Ce prix à Khouriga est peut-être l’une de mes plus grandes fiertés de ma carrière d’autant plus que je croyais que seuls les réalisateurs étaient récompensés. J’ai appris cette nomination lors du dernier soir de ce festival, à ma plus grande surprise. »
On la voit également à l’affiche des films La Rivale (qu’elle co-écrit avec Edouard Carion), Case Départ, King Guillaume, Le Grand appartement, Ma vie est un enfer, Après l’océan, L’école pour tous, Quand la ville mord, La prophétie des grenouilles, etc. « Ces dernières années, j’ai le sentiment de n’avoir pas eu la chance de jouer dans des films à succès. C’est la dure loi du box-office, il faut faire salle comble si tu ne veux pas tomber insidieusement dans l’oubli. Alors oui, je crois qu’aujourd’hui que le cinéma français m’a un peu oubliée » et lorsqu’on lui demande quel rôle elle aimerait jouer, Laurentine répond : « Avec mon âge, ce serait sans doute celui d’une grand-mère, emprunte de sagesse et qui serait un guide spirituel pour corriger la courbe d’un adolescent partant à la dérive. Une façon de prôner les valeurs d’une certaine époque, celle de ma génération ».
Toujours pleine d’allant, Laurentine Milebo aimerait aujourd’hui rendre au cinéma ce que le cinéma et le « paradis terrestre » lui ont donné. « Oui, j’ai cette envie de transmettre à mon pays le Congo le fruit de mes expériences et de mes compétences qui ne s’arrêtent pas à la comédie, je suis aussi scénariste et j’aime la direction d’acteurs ». Si elle se réjouit déjà de retrouver la famille et la chaleur humaine de la République du Congo, la « Tante » est donc avant tout de retour à Pointe Noire pour la mise en place d’ateliers de cinéma ou de théâtre, voire même pour initier la réalisation d’un long métrage où elle s’imaginerait faisant des apparitions, « à la Hitchcock », sourit-elle. Chacun se réjouira donc de cette nouvelle pierre que la pétillante Laurentine Milebo vient apporter à l’édifice trop fragile de la culture congolaise.
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