A travers le livre Congo 60, la journaliste belge France Debray présente l’indépendance du Congo-Kinshasa, en 1960, en s’appuyant sur des films et des reportages d’archives réalisés par Belgavox.
France Debray vit et enseigne actuellement au Luxembourg. Dans Congo 60 (Ed. La Renaissance du Livre, 2010) , elle revient sur l’histoire complexe du Congo belge devenu indépendant le 30 juin 1960. Elle traite l’événement de manière journalistique, en nous le faisant revivre au jour le jour. Elle s’est focalisée sur la période allant de 1959 à l’après 1961 pour décrire ce temps capital de l’histoire de l’actuelle République Démocratique du Congo (RDC). Les archives de la société belge Belgavox délivrent maintes informations et révélations sur ce moment historique.
Afrik.com : Ce livre est-il né d’une initiative personnelle ou d’une demande de votre éditeur?
France Debray : En réalité, les deux. On travaille véritablement main dans la main. Ce n’est pas un travail de commande. Car, comme nous discutons de sujets divers, il connaît mes centres d’intérêt. Avec mon éditeur, on avait envie d’aborder la question congolaise. Ce qu’on a fait, d’ailleurs. De mon côté, j’avais déjà cette idée de faire un livre sur le Congo, mais vu à travers les actualités cinématographiques de Belgavox parce que je m’intéresse au sort des archives et à leur utilisation sur la question congolaise que jadis, j’ai fort étudié. Il ne faut pas oublier que je suis belge. Dans mon enseignement universitaire, j’ai eu des enseignants et historiens qui ont traité la question congolaise.
Afrik.com : Avez-vous été subventionnée par les autorités congolaises pour réaliser cet ouvrage ?
France Debray : Certainement pas (rires)! Pas du tout, évidemment. J’ai l’habitude de travailler dans la liberté de pensée et d’expression, personne ne me contraint. J’ai rencontré effectivement un représentant de l’ambassade au moment de la conférence de presse, et c’est tout. On a eu un échange, et puis voilà.
Afrik.com : Qu’est-ce que Belgavox ?
France Debray : Belgavox est une société de production des news cinématographiques. Elle a un véritable monopole en Belgique sur la production de ces actualités à une époque où la plupart du public fréquente les salles de cinéma. Donc on peut dire que tous les Belges, et les Congolais aussi, ont vu leurs actualités relayées par les salles de cinéma. C’est là que le public recevait en 1960 toute l’information, qui est devenue par la suite télévisuelle.
Afrik.com : Quel rôle a joué Belgavox dans la conception de votre livre ?
France Debray : Elle est, en fait, la source des archives que j’utilise. Je suis partie techniquement des films 35 millimètres de l’époque. C’est un équivalent belge de Gaumont Pathé. Sauf qu’elle a filmé en permanence au Congo. Par la suite, cette société a formé la société Congovox directement au Congo, et a assuré la création de la première télévision congolaise. Belgavox a filmé l’intégralité de l’indépendance du Congo. Bon, il y a des trous, mais sur le principal de l’événement, elle était présente tout le temps. A l’automne 1960, cette société a reçu le prix spécial de Venise pour la qualité de ses reportages sur le Congo. Elle a reçu le prix au nom de l’impartialité de ses reportages. Mais dans le livre, je précise que les reportages de Belgavox de l’époque, ne sont pas impartiaux. C’est clair que c’est le dénominateur commun d’une sorte de pensée unique existant dans le gouvernement belge.
Afrik.com : Dans quel état se trouve le Congo en 1960 ?
France Debray : Avant l’indépendance, c’était l’ordre colonial qui régnait. L’ordre colonial, ça veut dire plusieurs choses : une administration coloniale qui est extrêmement forte, qui occupe tous les emplois stratégiques. Une administration qui ne permet pas aux ethnies d’échanger entre elles. Un territoire qui est bloqué et très contrôlé avec une population autochtone qui a eu un accès à l’éducation fortement limité. La Belgique a assuré l’alphabétisation mais elle n’a pas assuré l’éducation politique. L’administration coloniale n’a jamais encouragé la formation des cadres. Il y a une sorte d’apartheid dans ce pays, car les autochtones noirs sont maintenus dans une situation d’infériorité. Le jour de l’indépendance, les leaders noirs et le premier d’entre eux, Patrice Lumumba, sont particulièrement conscients qu’il n’y pas de cadres pour remplacer les blancs au Congo, contrairement à tous les autres pays d’Afrique où on n’a pas empêché les noirs de se former et de pouvoir être une élite de remplacement. Il n’y a pas d’élite noire, même au niveau politique. Il n’y pas eu d’éducation politique. Et cette carence a été accrue en 1960. Lors de l’indépendance, il y a une mutinerie dans l’armée que le nouveau gouvernement dirigé par Lumumba, premier ministre et ministre de la défense, et Kasa-Vubu , au poste de président , essaie de pacifier. La Belgique autorise ses fonctionnaires à quitter le Congo et, en quelques jours, le pays se vide des cadres européens qui étaient là pour qu’il fonctionne. Résultat, on a un pays qui n’a plus de force publique, d’ossature administrative, qui n’a plus d’argent, qui est en errance. Lumumba appelle l’ONU pour le stabiliser. Mais elle ne joue pas son rôle. Les principes de Lumumba (droits de l’homme et souveraineté de l’Etat) dérangent les Etats-Unis, la Belgique et le Katanga. Alors, ces derniers créent un cartel qui décide l’élimination de Lumumba.
Afrik.com : Quel est votre regard sur le Congo-Kinshasa d’aujourd’hui ?
France Debray : Il faut trois générations pour se remettre du choc d’une indépendance aussi mal partie, pour se défaire de toutes les mauvaises habitudes prises. Toute la politique a été achetée. On n’a pas arrêté d’acheter les politiques congolais. Toute l’ère Mobutu va suivre ce mouvement. Mais la génération actuelle veut changer la donne. Cependant, il faut, à mon humble avis, trois générations pour arriver à la démocratie. Il faut deux ou trois générations pour remettre en état un pays qui a été ravagé entièrement. Les ethnies se sont bouffées les unes les autres. Il n’y a eu aucune structure, on ne leur a rien appris. Aujourd’hui, on trouve des Congolais qui regrettent la période coloniale, parce que il y avait la paix, mais en réalité ils n’avaient aucun pouvoir. On ne peut pas sortir de la période coloniale et de ces 50 ans d’indépendance comme ça. Moi, je pense à l’assassinat de Floribert Chebeya qui date de juin dernier: c’est un relent du passé. Les Congolais ont fait des progrès. Lumumba est le meilleur héritage pour aller de l’avant. Mais le Congo-Kinshasa de 2010 panse encore les plaies du Congo de 1960.
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