Depuis 1982, le Congo bénéficie de la rente pétrolière représentant plus de 75% des recettes publiques et 80% de ses exportations, à travers deux booms pétroliers (Tableau n’1) qui se sont achevés chacun par une crise de la dette, sans que le Congo n’atteigne l’effet d’expérience ou d’apprentissage, gage de la gestion efficace de cette ressource rare.
L’effet d’expérience ou d’apprentissage se produit quand les recettes augmentent et que la dette diminue. Son absence permet aux crises pétrolières d’alimenter le cycle infernal des crises de la dette qui ont des origines :
Tableau : Évolution du PIB par secteur d’activité depuis 1960 : la part des industries extractives (en vert) devient plus que prépondérante au fil des années!
Source: FMI 2011
1) Origines conjoncturelles, liées :
à la baisse du prix du baril de pétrole lors du boom pétrolier de 1982-1986 qui est passée de 32 $ en 1982, à 27,01 $ en 1986 et à 12,19 $ en 1988. Dans le temps, la production pétrolière augmentait en passant de 4.581.000 barils en 1982 à 5.826.000 barils en 1986 à 7.038.000 barils en 1988, réduisant les recettes de 155,94 MD $ en 1982 à 33,48 MD $ en 1988.
Mais, la dette qui représentait 100% du PIB en 1982, soit 70,2 MD FCFA est passée à 214% du PIB en 1988, soit 21.980 MD FCFA. Le Club de Paris réduit cette dette de 145,2 MD FCFA, le FMI et les autres institutions financières accordèrent un emprunt de 4.213 MD FCFA $ pour financer le premier Plan d’Ajustement Structurel (PAS-1). Le déficit budgétaire passa de – 52,6% du PIB en 1986 à – 38,1% de PIB en 1988, plongeant le pays dans le PAS-2 de 1990 à1994 ;
à la baisse du prix baril du pétrole après le boom de 1994-2014 où ce prix est passé de 15,37 $ en 1994 à 94 $ en 2014 pour chuter à 47,96 $ en 2016, alors que la production est passée de 9.031.796 barils en 1994 à 91.449.421 barils en 2014 pour baisser à 85.517.512 barils en 2016. Les recettes de 865, 577 MD $ en 1994 sont passées à 8. 655, 7MD FCFA en 2014 et à 4.101,726 MD$ en 2016. Mais, la dette de 209 MD FCFA en 1994 atteint 3.741,882 MD FCFA en 2014, soit 45,2% du PIB et 12.168,6 MD FCFA en 2016, soit 120% du PIB, dépassant largement la limite de 70% du PIB fixée par la CEMAC qui indique le surendettement ;
Or, le Club de Paris avait réduit la dette congolaise à un niveau maximal supportable de 21% du PIB en 2010 dans le cadre de l’Initiative des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE). Le déficit des comptes courants s’élevant à -143,8% du PIB en 1991contre -16 % du PIB en 2016, ne peut être couvert par les réserves déposées à la BEAC qui ne représentent plus que 2 mois d’importations en 2017, contre 13 mois exigés par la CEMAC, obligeant le Congo à négocier un plan d’ajustement budgétaire avec le FMI ;
2) origines structurelles, qui relèvent :
du déséquilibre de la structure économique, lié à la rente pétrolière qui a moins incité le Congo à réaliser des réformes économiques, et rencontre des distorsions de prix relatifs, pénalisant la production de biens échangeables, pour une croissance économique de 6 % en 2014 contre -2,8% en 2016. En 1960, le secteur minier congolais représentait à peine 1% du PIB contre 63,7% en 2016, les Services 51% du PIB contre 23,5% en 2016.
Le secteur de l’Industrie et du BTP représente dans le même temps 20% et 9% du PIB, quand l’Agriculture s’effondre en passant de 28% à 3,8% du PIB. Les 16 plans de développement élaborés depuis le Plan Triennal 1961-1963 (38 MD FCFA), jusqu’au Plan National du Développement 2012-2016 (13.167,217 MD FCFA), financés à 53,34% par l’emprunt, totalisant 57.857,332 MD FCFA, l’infrastructure de base a consommé 36% des ressources en 1961 contre 41,97% en 2012, les autres secteurs 23% contre 28%, le social et l’éducation 13% contre 18,8% et le secteur productif 28% contre 11,8% ;
de l’exposition de l’économie aux Fonds Vautours, Fonds d’investissement privés, souvent immatriculés dans les paradis fiscaux, qui rachètent les dettes des pays pauvres, a? un prix bas, en vue de les contraindre par voie judiciaire, a? payer le montant initial des créances, les intérêts et les frais de justice. Kensington International, un Fonds Vautour établi aux Iles Caïmans, a fait saisir a? deux reprises près de 12 M € accordés par la coopération belge au développement du Congo.
Il avait acheté des dettes congolaises pour 1,8 M $ et en réclamait 120 M $. Un fonds américain réclamait au Congo, devant les tribunaux des USA, 400 M $ pour une créance rachetée a? 10 M $ ;
du recours systématique à l’emprunt gagé sur les puits de pétrole, une pratique qui augmente l’endettement par les frais de justice, les dommages et intérêts lorsque les quantités pré financées ne se réalisent pas. Selon l’ONG britannique Global Witness, elle instaure un environnement « propice à la corruption et à la mauvaise gestion des fonds publics », puisqu’il est peu coûteux, ne contraint pas le Gouvernement à indiquer la manière dont-il a été contracté, ni le suivi de son utilisation.
La SNPC, avait été citée devant les tribunaux des USA, sur la période 1999-2003 pour des emprunts gagés contre le pétrole d’une valeur de 650 M $, remboursés avec 1,4 MD $ de pétrole. Le Traider suisse Gunvor avait obtenu le droit d’exporter 20 cargaisons de pétrole brut congolais de 2 MD $, pour un préfinancement de 750 M $ consenti par BNP Paribas (suisse) et garanti par ce négociant. En 2016, l’Etat a gagé les emprunts chinois et des traders suisses de la SNPC contre le champ pétrolier de Moho Nord qui ne produit que 75% des quantités déjà vendues en prévisionnel.
Ainsi, la rupture du cycle infernal de la dette nécessite, un réaménagement de la dette moyennant un ajustement des annuités aux disponibilités, accompagnant un plan cohérent de diversification de l’économie qui réduise la servitude, grâce à la maîtrise de l’effet d’expérience.
Dans les nécessaires négociations avec le FMI, le Congo peut chercher à obtenir une remise de la dette sous la forme d’une nouvelle Initiative PPTE, ou des prêts concessionnels du FMI moyennant des taux préférentiels. Le succès de la négociation dépendra du degré de transparence des informations sur l’état réel de la dette et des capacités effectives du Congo à rembourser les différents clubs de créanciers, des compétences des ressources humaines engagées et de l’assainissement du climat socio-politique par un dialogue inclusif.
par Emmanuel OKAMBA
Maître de Conférences HDR en Sciences de Gestion