Le samedi 27 mars à Paris, au Palais Bourbon, s’est tenu le débat sur la tribalité au Congo-Brazzaville… Un sujet qui pousse à la réflexion et ne doit pas céder à la passion quelconque des hommes.
Sans entrer dans une définition étymologique des choses, la tribalité est un sentiment, un état d’être qui se fonde sur des valeurs affiliées à sa tribu, ou en référence à celle-ci, telle qu’on évoque l’homosexualité, la chrétienté ou la judaïté. La tribalité renvoie donc à un fonctionnement, à une organisation sociale qui se réfère aux valeurs de la tribu. Mais, si la tribalité est une manière de considérer les choses en rapport à une échelle de valeurs qu’est la tribu, elle renvoie systématiquement à une forme de communautarisme. Elle sous-entend une préférence, une vision qui accorde une prééminence à celle-ci. Elle est pour ainsi dire une sectorisation de la société. L’organisation sociale s’opère par une segmentation de la population fondée sur les seuls intérêts des groupes, suivant une filiation linguistique et culturelle. De cette configuration, l’individu n’existe que par rapport à son appartenance tribale ; et n’est perçu qu’à travers le prisme ethnique, loin de toutes valeurs intrinsèques ou sociabilité. De facto, le groupe prend de l’ascendant, une importance éclipsant la personne du citoyen, délaissant la souveraineté nationale au profit des micros-structures. Ce qui donc est une auto- valorisation, une surestimation, un repli sur soi. Pour autant, est-elle une maladie authentiquement africaine?
Un héritage de la colonisation
Non, les phénomènes communautaires ne sont pas caractéristiques au continent africain : ils sont l’apanage des humains. Les sciences humaines ont montré que l’homme est naturellement enclin à choisir son partenaire à l’intérieur du groupe social auquel il appartient. C’est le phénomène dit «dendogamie», un phénomène qui tend à se cristalliser en période de grave crise sociale. Ainsi, le tribalisme et /ou communautarisme préexiste t-il dans le monde, et tend à se généraliser sauf qu’il emprunte en Afrique des accents très marqués et des formes d’expressions anachroniques. La résurgence du nationalisme basque, par exemple, la multiplication de revendications communautaires tibétaines, notamment, sont des démarches qui s’effectuent dans le cadre d’une réappropriation identitaire.
Avec la colonisation, de nouvelles formes d’organisation étatiques ont vu le jour en Afrique, du fait du choc des cultures?; lesquelles formes, aussitôt assimilés à l’Etat moderne, résultaient d’une forte centralisation visant à cultiver l’ idéal de rassemblement inspiré du modèle jacobin .Toutefois, il est un fait objectivement relevé par les historiens que le modèle colonial s’est appuyé sur des divisions ethniques afin de s’implanter et de pérenniser son règne. La balkanisation sinon le morcellement du continent s’est fait à l’envers des évolutions de ce que furent les blocs culturels. Ce partage aux mains des grandes puissances dominantes ne s’est ainsi guère effectués dans le sillage des formations culturellement homogènes (royautés ni empires) mais à contre courant des évolutions historiques ou stratifications sociales, autrement dit en marge des groupements ethniquement homogènes, ce que confirment les études anthropologiques. En effet, ces évolutions se sont effectuées plutôt d’Est en Ouest alors que la cartographie coloniale s’est opérée dans le sens Nord –Sud, en rupture avec l’ordre naturel des évolutions humaines. Les Etats naissants n’étaient que des ensembles difformes, des conglomérats, des juxtapositions des tribus. Ils apparaissaient comme le produit d’un melting- pot, d’un mélange de tribus souvent rivales ; vivant, certes, en osmose, quelquefois, mais bien souvent en proie à des différends.
En traçant ainsi des frontières qui ne répondaient pas à la logique des évolutions sociologiques et géographiques, on parvenait à une superposition des gens et des peuples. Il est donc aisé de voir que cette configuration allait inévitablement devenir problématique dans l’évolution future de ces environnements, tout au moins dans sa phase post –coloniale…
Cet Etat hérité rendait possible les gens de se croiser sans jamais se connaître, et être tout de même liés les uns aux autres. Ce processus d’inclusion se muait en exclusions. A charge, l’attention trop portée sur les problèmes politiques. L’attention fut moins focalisée sur les problèmes existentiels .Les batailles furent centrées essentiellement et portées sur des luttes pour la conquête et la conservation du pouvoir, par la classe politique. Une élite dirigeante, qui, depuis les indépendances s’est voulue plus soucieuse de l’accaparement politique que d’une volonté réelle de satisfaction des besoins des populations. L’Etat devenait, au cœur des batailles politiques, l’instrument, tour à tour, aux mains des minorités…
L’Etat-nation tend alors à s’assimiler à la tribu, celle du prince, et développe avec lui un réseau de clientélisme politique. Or c’est par la capacité de ces dirigeants à apporter des solutions aux problèmes économiques et d’existence des populations qu’aurait pu dépendre la cohésion sociale. Et faute d’y être parvenu, on voit resurgir le régionalisme dans sa forme primaire et la manipulation tribale utilisée comme paravent pour contrer des revendications sociales. En l’absence des réponses économiques appropriées, on a cristallisé les frustrations, des ilots de mécontentements… Autrement, la crise sociale a accéléré la segmentation de la société, sa polarisation et apporté aux politiciens les moyens de récupérer les éléments fragiles de celle-ci, afin de mieux les soumettre à des destins funestes.
Une crise culturelle
La crise politique et donc sociale que traverse le Congo –Brazzaville est d’abord une crise Culturelle avec un sous-bassement fondamentalement économique. Elle est le reflet d’un état d’esprit, de la volonté délibérée des gouvernements de se soustraire de leur responsabilité et de la culture du résultat qu’exige tout régime politique transparent. C’est dire que les Populations africaines risquent longtemps encore le sous-développement avec la prééminence de la contre-culture, cette mentalité primitive d’accaparement des institutions et des biens publics, ce refus d’accéder aux méthodes et des règles modernes de gestion de la cité. Il est vrai que les conflits ethniques peuvent renvoyer à des facteurs purement politiques ou culturels, comme c’est le cas au Rwanda, mais les aspects économiques demeurent fondamentaux et essentiels pour éclipser, sinon atténuer ces périls communautaires.
La mort de l’Etat –providence et les crises sociales qu’induit la mal gouvernance continuent d’être au cœur des enjeux qui tiraillent les pays africains dont notamment le Congo-Brazzaville. Car rien n’a été fait pour favoriser l’émergence d’une nouvelle vision de soi et du monde extérieur. Cet aveuglement se traduit par des comportements contre-productifs, source de toutes misères. En refusant la cohérence, la transparence et donc la rigueur, on a tourné le dos à l’affirmation d’une Afrique sortie des ornières de la pauvreté. L’échec est patent. Il pousse les politiques, démissionnaires de leurs responsabilités, à actionner le levier de la tribu pour mieux se protéger. C‘est dire que les luttes contre la pauvreté doivent constituer des antidotes aux aspirations régionalistes.
L’élite politique ne s’est guère dotée d’une conscience portée sur des efforts économiques placés sous le signe de la socialisation, d’où le délabrement d’une cohésion sociale balbutiante et la déperdition de l’Etat-nation. Si les divisions ethniques trouvent leurs racines dans l’histoire, l’empreinte d’un progrès économique et social avéré aurait toutefois gommé les nombreuses dissensions ethniques, tant les changements qu’impulsent les progrès économiques induisent des rapports de type nouveau à l’intérieur d’une communauté nationale en y développant des relations plutôt transversales. Aux luttes tribales et communautaires, en effet, se substituent des luttes socioprofessionnelles et catégorielles redéfinissant le cadre de ces mêmes luttes qui rejoignent des luttes alors classiques. Ainsi de besoins primaires, l’on passe aux besoins de secondaires, qui sont des besoins hiérarchiquement supérieurs.
Sans ainsi vouloir tout ramener à la question économique au risque de céder à l’économisme, force est de dire avec véhémence que les progrès économiques concourent à la stabilisation du pays et à sa cohésion. A contrario, la misère, la non satisfaction des besoins primaires des populations crée les conditions permissives d’un retour du sentiment communautariste.
Le Congo, surtout, doit intégrer sa diversité, reconnaître son héritage et se défaire des notions fallacieuses de tribalisme, en exorcisant les maux qui piègent son corps social. Ces maux s’appellent misère, corruption, cupidité…
Dans une économie planétaire, aux problèmes économiques traditionnels de base, s’ajoutent les effets de la mondialisation dont les conséquences effrénées déstabilisent les économies et les pays, déchirant le tissu social et, par conséquent, exige la participation de tous. Si le PPTE est révélateur des faiblesses et des échecs du Congo, il permet à la nation de s’accorder une seconde chance, à condition qu’y soient associées toutes les intelligences, toutes les filles et fils et que l’effort de reconstruction nationale s’accompagne et s’appuie sur toutes les bonnes volontés sans exclusive aucune. Face aux dangers qui guettent le pays et qui le fragiliserait davantage, rien ne sert de s’arcbouter sur ses positions tant les méthodes traditionnelles ne marchent pas. Le mode de fonctionnement politique basée sur la cooptation à la fois tribale et/ou clientéliste cause du tort autant qu’il alourdit un passif déjà douloureux. Le gouvernement ne peut pratiquer la politique de l’autruche, en plantant la tête dans le sable et attendre que ça se passe. Ce qui serait de l’irresponsabilité totale et humainement inacceptable. Le Congo ne peut faire autrement que se réconcilier avec lui-même s’il veut retrouver la prospérité.
Par Cicéron Massamba