La jeunesse du Congo-Brazzaville a connu un engagement politique avant et après les indépendances et surtout après la Révolution des 13, 14 et 15 août 1963, quand le pays a sombré dans le marxisme-léninisme. Aujourd’hui, cet engagement politique au niveau des jeunes laisse à désirer, surtout après la chute du mur de Berlin quand le pays est entré dans l’ère de la démocratie pluraliste. Pourquoi alors cette désaffection ?
Quand on observe l’évolution de la jeunesse congolaise, les raisons de ce désintérêt sont de trois ordres : politique, économique et social.
Sur le plan politique, on constate d’abord les pratiques anti-démocratiques des soi-disant leaders politiques censés donner l’exemple. Ces derniers fondent leurs partis ou mouvements politiques sur des bases essentiellement ethniques et régionales. Aussi parle-t-on des fiefs « imprenables » où les jeunes votent majoritairement pour leur candidat au moment des échéances électorales, faisant fi des programmes des candidats. En dehors du PCT (Parti Congolais du Travail) qui a un soubassement national hérité du monopartisme, les partis issus de la démocratie pluraliste comme l’UPADS (Union panafricaine pour le démocratie sociale) et le RDD (Rassemblement pour la démocratie et le développement) se basent respectivement sur l’électorat du sud pour l’un et du nord pour l’autre, leurs leaders étant originaires du sud pour le premier et du nord pour le second.
Et quand les jeunes viennent à s’investir dans un parti, ils sont souvent écartés des postes de responsabilité et confrontés à l’absence de méritocratie et d’égalité des chances dans la gestion interne des partis
Au Congo-Brazzaville et certainement dans d’autres pays comme la Centrafrique, le Mali, la Côte d’Ivoire et dernièrement le Nigéria, il existe une réalité politique fondée sur le clivage régionale. Ce clivage n’encourage pas les jeunes à s’impliquer dans un projet politique national. Par ailleurs, ces mêmes partis politiques n’assurent pas leur fonction principale, à savoir l’encadrement et la mobilisation des jeunes pour une participation politique citoyenne. Au contraire leurs activités sont sporadiques, se limitant à l’approche des échéances électorales. Cette discontinuité et l’absence de proximité des partis politiques donnent le sentiment aux jeunes Congolais d’être dupes n’existant que pour donner leurs voix permettant aux politiques opportunistes de faire carrière. Parfois, pour participer à des meetings et manifestations politiques et propagandistes, les jeunes reçoivent des incitations financières pour les motiver. Et quand les jeunes viennent à s’investir dans un parti, ils sont souvent écartés des postes de responsabilité et confrontés à l’absence de méritocratie et d’égalité des chances dans la gestion interne des partis. Cette marginalisation éloigne les jeunes de la sphère politique.
Seconde cause : l’apathie des économies africaines malgré le taux de croissance à deux chiffres que l’on ne cesse de brandir aux yeux des jeunes qui n’en voient pas l’impact sur leur vie quotidienne. Cette croissance provient de l’exploitation des ressources naturelles comme le pétrole, mais, paradoxalement, elle ne crée que peu d’emplois.
D’après l’ONEMO (Office national de l’emploi et de la main d’œuvre), le taux de chômage se situe, en 2011, à 34,2% au Congo-Brazzaville et touche essentiellement les jeunes de 25 à 35 ans. Aussi, une grande partie des jeunes Congolais sont au chômage et constituent la classe des diplômés sans emploi, obligés de se rabattre sur l’informel. Il est difficile que ceux-ci s’intéressent à la politique quand ils se rendent compte que l’accès à l’emploi (notamment dans la Fonction publique) se fait ouvertement sur des bases arbitraires et discriminatoires. Comment convaincre les jeunes de s’impliquer en politique quand ils voient que le système économique des rentiers et des banques ne favorisent pas l’accès à la propriété et au capital pour les jeunes entrepreneurs ? Face au verrouillage du système économique par les rentiers et certains proches du pouvoir, les jeunes Congolais se sentent marginalisés, résignés et fatalistes, surtout que les règles du jeu politique biaisées les privent de tout espoir de renverser le statu quo. Face à la précarité de leur situation financière, ils n’ont pas suffisamment de temps pour s’investir en politique. La priorité est donnée à la recherche des moyens de survie.
Les jeunes se voient ainsi inculquer la culture de ne pas contredire les ainés, les femmes ne doivent pas contredire les hommes, etc. Cette culture de la soumission est extrapolée au champ politique, ce qui ne favorise pas l’émancipation politique des jeunes
Si la politique et l’économie ont découragé les jeunes, la société a aussi sa part de responsabilité dans leur désintérêt pour la politique. L’école qui était le tremplin de la réussite sociale pour les jeunes est gangrenée par l’incivisme. Elle ne favorise plus l’apprentissage des valeurs citoyennes. Les jeunes sont découragés par le piètre exemple donné par les acteurs politiques, que ce soit lors des élections ou dans la gestion des affaires publiques. Certains d’entre eux s’illustrent par la gabegie, la concussion, le népotisme, le sectarisme…
L’école, loin de sa mission (éducation et instruction des jeunes), forme maintenant des semi-analphabètes qui ignorent même leurs propres droits. Ils deviennent alors des clients potentiels du tribalisme et de l’éthnicisme, souvent expressément développés par l’homme politique pour ses intérêts électoraux. Cet analphabétisme et ignorance de ses droits et obligations civiques se rajoutent à une culture qui ne valorise pas la participation politique des jeunes, car ces derniers sont considérés comme étant « sous tutelle » dans une société pyramidale. Les jeunes se voient ainsi inculquer la culture de ne pas contredire les ainés, les femmes ne doivent pas contredire les hommes, etc. Cette culture de la soumission est extrapolée au champ politique, ce qui ne favorise pas l’émancipation politique des jeunes.
Malgré tout, les jeunes Congolais ne sont pas intrinsèquement apolitiques. Cependant, prenons garde que cette désaffection ne soit pas une bombe à retardement. On se rappelle des actes inciviques portés par une jeunesse que la désespérance a poussé à participer à des milices pendant les tristes événements qui ont entourés les premières années de la démocratie pluraliste.