Congo Brazzaville : la question pygmée


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En dépit de l’existence de la « loi n°5-2011 » du 25 février 2011 portant promotion et protection des droits des peuples autochtones en République du Congo, les peuples autochtones, appelés, péjorativement, encore pygmées, souffrent encore de discriminations et leurs libertés et droits fondamentaux ne dont pas respectés. Dans cette contribution, Noël Kodia, critique littéraire congolais, nous apporte un éclairage édifiant sur les raisons d’une telle aberration qui tourne souvent à une sorte d’esclavage.

Dans son rapport publié le 12 novembre 2011 à Brazzaville, L’ONG Observatoire congolais des droits de l’homme a interpellé le gouvernement pour que les libertés fondamentales des peuples autochtones, appelés encore pygmées (terme péjoratif et discriminatoire), soient respectées. Ces derniers subissent encore injustice, discrimination et même soumission de la part des bantous. Aussi la cohabitation entre les deux groupes s’avère inégalitaire. Mais pourquoi cette situation dégradante perdure-t-elle malgré la « loi n°5-2011 du 25 février 2011 portant promotion et protection des droits des peuples autochtones en République du Congo » ?

Estimés entre 2 et 10% des 3 600 000 habitants que compte le Congo, les pygmées sont environ au nombre de 43 500 selon le dernier recensement national de 2007. Premier pays africain à abriter un atelier de formation sur les droits des peuples autochtones tenu à Brazzaville le 23 novembre 2011, le Congo s’investit dans la reconnaissance citoyenne de ces peuples. Avant cette loi de février 2011, il n y a pas de mécanisme institutionnel reconnaissant le pygmée comme Congolais au même titre que le bantou.

Discriminés par les bantous

Plus nombreux et plus près de la société moderne, les bantous ont souvent considéré les pygmées comme des sous-hommes car ayant connu, avant ces derniers, la civilisation de l’homme blanc à travers l’école coloniale. Les pygmées apparaissent comme des « sauvages » puisque vivant presqu’à l’état primitif, en général dans des campements situés à la périphérie des villages. Ils n’ont pas, pour la majorité, accès aux services sociaux de base comme la santé et l’éducation. Selon l’Unicef, 65% des enfants pygmées de 12 à 15 ans ne sont pas scolarisés, contre 39% à l’échelle nationale. Aussi, ce complexe d’infériorité qu’ils affichent vis-à-vis du bantou, définit leur soumission. Avec la différence de culture qui se dégage entre les deux groupes, le pygmée est obligé de s’assujettir aux exigences des bantous. Cette discrimination apparaît comme un « racisme » plus ou moins larvé : les bantous sont imposants par leur morphologie vis-à-vis des pygmées qui sont de petite taille. Et cette discrimination est aussi accentuée par la faible scolarisation des enfants pygmées qui ne sont même pas reconnus à l’état civil.

Les pygmées, « esclaves » des bantous ?

Astreints à travailler contre leur gré, parfois sous la menace de violence, les pygmées deviennent des esclaves des bantous, et c’est ainsi que l’OCDH se bat pour qu’ils soient considérés à part entière comme ces derniers car vivant sur le même territoire avec une Constitution qui les reconnait maintenant comme Congolais.

Pour l’ODCH, les peuples autochtones doivent être rémunérés en fonction de la productivité de travail qu’ils fournissent, au même titre que les bantous. Mais il arrive cependant qu’ils offrent leur labeur en échange d’un prêt chez les bantous ; souvent le remboursement de la dette s’avère dérisoire avec le taux d’intérêt excessif qu’on leur impose pour le même travail que peut réaliser le bantou. Aussi, les dettes se perpétuent dans un cercle vicieux auquel ils ne peuvent malheureusement échapper.

Les relations entre bantous et pygmées ne sont jamais en général conflictuelles. Pas de raids dans la brousse, comme on pourrait l’imaginer. Les bantous vont les chercher en forêt pour les utiliser dans la chasse, les travaux champêtres et domestiques en les payant bassement. Les enquêtes réalisées par une autre ONG qui s’intéresse aux pygmées, le Réseau national des peuples autochtones (RENACP) ont révélé que, pour avoir dessouché, labouré et semé dans un champ d’environ 400 mètres, le pygmée ne reçoit en compensation qu’un litre de vin de palme. L’esclavage de ces peuples autochtones peut être considéré comme « normal » car ceux-ci acceptent – peut-être malgré eux – leur situation de soumis. Il n’y a ni contraintes, ni sévices quand le pygmée se soumet à la volonté de « son maître » qui, à son tour, respecte ses us et coutumes malgré quelques restrictions au niveau de sa liberté ; le bantou peut par exemple avoir des relations sexuelles avec une femme pygmée et le contraire est inadmissible.

Que faire pour que les droits de l’homme s’appliquent aussi aux pygmées ?

Face à l’injustice que subissent ces derniers de la part des bantous, l’OCDH ne cesse d’interpeler le gouvernement pour que la loi de février 2011 qui garantit leur promotion et protection soit appliquée. Avec celle-ci, le pygmée ne sera plus discriminé et pourra jouir des mêmes droits que ses « frères » bantous. Mais son application se confronte à la réalité socioculturelle du terrain. Face aux institutions juridiques modernes, les pygmées se voient « troublés » par le nouveau mode de vie communautaire avec les bantous.

Selon l’ONU, les pygmées au Congo menacés d’extinction. Discriminés économiquement, ils se considèrent marginalisés. C’est pourquoi l’OCDH exige l’application de la fameuse loi élaborée en 2004 et promulguée en février 2011 censée réparer les injustices et les inégalités dont ils victimes.

Ces inégalités posent un autre problème pertinent : les droits de l’homme tels que les conçoit la société actuelle ne paraissent-ils pas étranges pour le pygmée habitué à une « vie de forêt » où il assume son complexe d’infériorité vis-à-vis du bantou ? Une question qui devrait interpeller les anthropologues. Mais, avec certains pygmées qui ont été à l’école et qui commencent à s’installer dans les grands centres du Congo comme Brazzaville, Pointe-Noire, Dolisie, Ouesso… leur acceptation comme Congolais à part entière n’est plus qu’une question de temps.

Par Noël KODIA, critique littéraire congolais

Lire aussi : Fier d’être pygmée, interview de Kapupu Diwa Mutimanwa, coordonnateur du REPALEAC

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