La baisse des cours du pétrole sur le marché mondial de 105 à 45$ le baril entre 2015 et 2016, s’est traduite au Congo par un important déficit budgétaire moyen de 2,3% du PIB sur la période 2015-2018, contre un excédent moyen de 8,2% en 2010-2014. Cette situation accroit l’insolvabilité de l’Etat dans la mesure où, 69 % de ses recettes publiques et plus de 90 % de ses exportations dépendent du pétrole. En trois ans, le pays a perdu cinq points de sa note de crédit, auprès des agences de notation américaines, en passant de B+ (hautement spéculatif) en 2014 à CCC (extrêmement spéculatif) en 2017.
La dégradation de la note souveraine entraine la perte de confiance des partenaires, renchérit le coût des emprunts de l’Etat, et expose le Congo-Brazzaville au risque de cessation de paiements sous l’effet conjugué de trois facteurs :
1) le déficit de trésorerie qui se produit lorsque les fonds disponibles de l’Etat ne couvrent pas ses dettes qui arrivent à échéance. Les fréquents incidents de trésorerie de ces dernières années en disent long. La République du Congo avait échoué à régler l’échéance de juin 2016 de son Eurobond 2007-2029, représentant 0,2 % de son PIB, en raison d’une « erreur administrative » qui a conduit Standard & Poor’s a dégrader sa note de crédit de B+ à B-.
Le 9 août, cette dette a été régularisée et la note rétablie à B+. Le 7 juillet 2017, cette agence a décidé d’abaisser encore cette note de « B- » à « CCC », tout en la plaçant sous surveillance, pour défaut de paiement des porteurs d’obligations libellées en dollars et émises par le Congo qui n’ont pas été payés à la date d’échéance du 30 juin.
Selon cette agence, le trustee, qui représente et protège les intérêts du pays, a gelé le paiement d’environ 20 millions $, après avoir reçu l’injonction de l’homme d’affaires anglo-libanais, propriétaire de la société Commisimpex (Commissions Import-Export), réclamant au Congo une créance d’un milliard $, relative aux factures impayées à son entreprise de Bâtiments et Travaux Publics pour des travaux effectués depuis 1979. Après ses victoires aux procès à New-York et à Paris contre le Congo, cet homme d’affaires traque les ressources financières du Congo pour obtenir son dû.
Or, le 27 juin, le Gouvernement congolais avait affecté, la somme de 21,1 millions $ pour payer les porteurs des obligations, le 30 juin. Ces sommes étant devenues la propriété exclusive des porteurs de titres, ne peuvent plus être saisies par d’autres créanciers. L’intervention de ce créancier, montre un problème plus profond, celui du surendettement du Congo-Brazzaville…
2) le surendettement d’un Etat se manifeste lorsque le pays dépasse la norme d’endettement autorisée. Dans sa note du 10 mars 2017, le FMI indiquait que la dette publique du Congo avait atteint 77% de son Produit intérieur brut (PIB), supérieure à la norme de 70% autorisée par la Communauté Economique et Monétaire des Etats de l’Afrique Centrale (CEMAC). Le budget de 2017 estimé à plus de 2.744 milliards FCFA, prévoit de traiter cette dette publique à hauteur de 27,6 milliards.
Or, en 2004, avant le passage au Club de Paris regroupant une vingtaine de pays industrialisés, la dette extérieure publique totale du Congo était estimée par le FMI à 8,5 milliards $, faisant de ce pays le plus endetté au monde par habitant. Ce Club avait annulé plus de la moitié de cette dette, permettant au Congo de contenir un désendettement massif en 2010, pour atteindre le point d’achèvement de l’initiative « pays pauvres très endettés » (PPTE), alors que sa dette publique passait de 60% à 21,1 % du PIB.
Mais, l’endettement du Congo est à nouveau en très forte progression, en raison d’une gestion financière chaotique. L’encours de la dette publique a atteint les 3,3 milliards d’Euros au 1er avril 2013, soit une hausse de plus de 70% en 3 ans, depuis l’achèvement du processus PPTE en 2010. L’endettement est remonté à 45,2 % du PIB en 2014 selon Standard & Poor’s, et a atteint les 56,6 % du PIB en 2015. Cette agence estime que la dette extérieure nette devrait atteindre 392 % des recettes des transactions courantes cette année, avant de reculer lentement à 321 % en 2019. C’est pourquoi, dès le 2 octobre 2015, la note du Congo avait été baissée de « B+ » à « B » pour satisfaire ses obligations souveraines de longue et courte maturité.
Le 5 juillet 2017, durant la séance d’adjudication des titres publics de la BEAC, le Cameroun s’en est tiré à bon compte, avec un taux de souscription de ses titres de 105%, pour un taux d’intérêt moyen de 3,1%, quand les autres pays dont le Congo, ont obtenu un taux d’intérêt passant de 2,45% à 5%, parce que l’équilibre budgétaire de ce dernier se dégrade ;
3) le déficit budgétaire qui se produit lorsque les recettes de l’Etat sont inférieures à ses dépenses. L’aggravation du déficit des comptes courants attendu à -15 % du PIB entre 2016 et 2019, contre -5,2 % en 2014 et un excédent de +3,7 % en 2010, a poussé, dès mars 2016, les agences de notation Moody’s et Fitth de dégrader la note souveraine du Congo. Moody’s a abaissé la note de long terme du pays de « B+ » à « B », tandis que Fitch l’a réduite de « Ba3 » à « B1 », en raison notamment de la détérioration de l’équilibre budgétaire du pays.
Le 3 juin 2016, le Gouvernement prévoyait une baisse des ressources budgétaires attendues, pour les ramener à 2 121,5 milliards de F CFA, contre 2 333 milliards FCFA dans la loi de finance initiale, soit une baisse 9% équivalent à 211,5 milliards FCFA. Les charges budgétaires de l’Etat en 2016 avaient également abaissé à 2 396 milliards FCFA, contre 2 608 milliards FCFA prévus dans la loi de Finance Initiale, soit une baisse de 8,12 % équivalents à 211,5 milliards F CFA de dépenses qui affecte essentiellement les dépenses d’investissements qui ont chutées de 15,6 % représentants 1306,7 milliards FCFA.
Les dépenses de fonctionnement reculent de 6 %, soit à 301,1 milliards FCFA, alors que la masse salariale qui était restée inchangée à 410,1 milliards FCFA passe à 451 milliards FCFA en 2017, car le Gouvernement a tenu sa promesse de verser les derniers 25% sur les salaires des fonctionnaires jouissant depuis janvier 2017 de l’indice 300. Quant aux recettes, l’augmentation de la production de pétrole de 5,7 % par rapport à l’année précédente, soit 94,125 millions de barils, a généré des recettes de 544 milliards FCFA contre 754 milliards FCFA prévus dans la loi de Finances Initiale, soit une baisse de 28 %.
L’Etat ne peut couvrir ce manque à gagner par l’injection de ses réserves, estimées à 2 194 milliards de F CFA auprès de la BEAC qui ont été utilisées à 49% en 2015 jusqu’à 75% en 2016, alors que ses actifs détenus en Chine, ont déjà été consommés à 50 % en 2015, réduisant les marges de manœuvre de l’Etat. Le lancement en décembre dernier, d’un emprunt obligataire de 193 milliards F CFA, assorti d’une maturité de 5 ans et d’un taux d’intérêt de 6,5% auprès de la Bourse des Valeurs Mobilières de l’Afrique Centrale, accroît encore l’endettement de l’Etat.
L’économie congolaise étant faiblement diversifiée, sa richesse provenant à 63,7% du secteur pétrolier, des services (23,5%), du BTP (4,3%), de l’industrie manufacturière (4,7%) et l’agriculture et élevage (3,8%), oblige Brazzaville à s’endetter auprès des bailleurs des fonds à des taux très élevés, au risque de subir un plan d’ajustement structurel du FMI et de la Banque Mondiale.
Ainsi, le déficit de trésorerie associé au surendettement et au déficit budgétaire, pousse progressivement le pays vers la cessation de paiements. Ces déséquilibres financiers exigent un effort de redressement des finances publiques par une réduction drastique du train de vie de l’Etat, la promotion de la diversification de l’économie et d’une gestion budgétaire responsable pour regagner la confiance des partenaires sur les marchés mondiaux.
par Emmanuel OKAMBA
Maître de Conférences HDR en Sciences de Gestion