Conflit RDC-Rwanda : le nain qui défie le colosse


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Tensions entre la RDC et le Rwanda
Tensions entre la RDC et le Rwanda

Le M23 et ses soutiens rwandais sont à l’intérieur de Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu. Ceci, en dépit de tout ce que la RDC faisait pour tenir le groupe rebelle loin de cette ville stratégique.

À côté du Rwanda, 26 338 km2 et 14 millions d’habitants, la République démocratique du Congo (RDC), 2,345 millions km2 pour 102 millions d’habitants, est en fait un colosse, un monstre. Rien qu’avec la superficie et la population, le Rwanda est un nain devant la RDC, et l’on ne saurait en temps normal même dans les rêves les plus fous imaginer une seconde que le Rwanda puisse défier militairement la RDC.

La RDC, la 8e armée de l’Afrique tout de même…

Puisqu’on y est, voyons les données militaires les plus récentes des deux pays. Le Rwanda a une armée d’environ 35 000 hommes alors que celle de la RDC en compte plus du quintuple, soit 166 580 hommes actifs, 31 000 réservistes et 10 000 paramilitaires. En termes de matériels militaires, la RDC peut se targuer d’avoir 32 hélicoptères, dont 8 de combats, 105 chars, 916 véhicules blindés, 8 unités d’artillerie automotrice, 25 lance-roquettes, 16 navires de guerre. Selon le classement effectué en 2025 par le site américain de défense Global FirePower (GFP), la RDC a la 8e armée la plus puissante du continent, comme d’ailleurs en 2024.

Il est vrai que le Rwanda ne fait pas partie du classement et que ses informations militaires ne sont pas largement diffusées. Mais, figurant dans le top 10 des armées africaines, l’armée congolaise fait sans aucun doute partie des plus puissantes du continent. Dans ces conditions, il y a lieu de se poser des questions par rapport aux difficultés que le M23, groupe rebelle soutenu par quelque 3 000 ou 4 000 militaires rwandais, arrive à créer à cette armée congolaise devenue incapable de remplir la première fonction d’une armée normale à savoir garantir l’intégrité territoriale du pays.

Depuis plus de trois ans, le M23 dicte sa loi à l’armée congolaise occupant de larges pans du territoire du pays surtout dans la province du Nord-Kivu. Le sursaut d’honneur des FARDC ces derniers jours n’aura été qu’un feu de paille puisqu’en face, le M23 a lancé une grande offensive qui lui a permis de percer la défense congolaise autour de la ville de Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu. Depuis ce dimanche, les éléments du M23 avec leurs alliés rwandais sont bien présents dans plusieurs quartiers de Goma.

L’armée congolaise : une armée minée par des faiblesses internes ?

Si le M23, un groupe rebelle même appuyé par le Rwanda, arrive à défier une armée si bien classée au plan africain, c’est qu’il doit y avoir des problèmes de fond dans cette armée congolaise. Au cours d’une interview qu’il nous a accordée, il y a quelques mois, Martin Milolo, avocat et militant des droits humains expliquait l’avance du M23 sur le terrain en ces termes : « L’armée rwandaise est mieux équipée que l’armée congolaise, parce que l’armée rwandaise bénéficie des appuis des organisations comme l’Union européenne et même des États-Unis pour la lutte contre les groupes terroristes au Cabo Delgado au Mozambique. Mais aussi à cause de son implication dans le cadre de missions de maintien de la paix, notamment en Centrafrique et autres ».

Et d’ajouter : « Donc, c’est une armée qui a des armes que l’armée congolaise n’a pas. Il faut dire aussi que grâce à son intervention sur le sol congolais, le Rwanda a accès à des matières premières stratégiques comme le coltan. Si vous regardez les statistiques aujourd’hui, vous verrez que le Rwanda est devenu l’un des premiers producteurs de coltan, d’or, etc., ce qui lui donne la possibilité d’avoir plus d’armes ».

Dans une autre interview, l’expert avait pointé d’autres facteurs justifiant les défaites récurrentes de l’armée congolaise face au M23, notamment des faiblesses internes parmi lesquelles : la désorganisation de l’armée congolaise, la traîtrise et l’affairisme de certains officiers supérieurs, les détournements des fonds destinés à l’armée qui conduisent au manque de matériels militaires. Dans cette interview publiée le 1er février 2023, l’avocat et militant voyait déjà la possibilité pour le M23 de prendre la ville de Goma.

À cette question que nous lui avions posée : « À l’allure où vont les choses, ne craignez-vous pas que les rebelles finissent par prendre le contrôle de tout le pays ? », Martin Milolo répondait : « Je ne crois pas, car la détermination du peuple congolais est désormais plus forte que jamais. Le commanditaire de cette rébellion, le Président Kagame du Rwanda, a été clairement désigné. Le monde ne continuera donc pas à fermer indéfiniment les yeux. Le M23 pourrait prendre la ville de Goma comme il l’avait fait en 2013 (même si le contexte n’est pas le même). Mais ne prendra jamais le contrôle du Congo et même pas du Nord-Kivu ; ce sera une joie courte, devant la détermination du peuple congolais ».

Eu égard à ce qui précède, on pourrait comprendre pourquoi le Rwanda peut se permettre de défier la RDC et faire la pluie et le beau temps sur son territoire. Mais, le drame dans ce conflit insensé, c’est que ce sont surtout les populations civiles qui payent le plus lourd tribut. Peut-être que l’option diplomatique finira par reprendre le pas sur le crépitement des armes à l’issue de la réunion d’urgence de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) du mercredi 29 janvier, convoquée par le Président en exercice de cette institution, le Kényan William Ruto. Rencontre à laquelle les deux principaux protagonistes du conflit, le Président congolais Félix Tshisekedi et son homologue rwandais, Paul Kagame, ont confirmé leur participation. Un grand pas après la rencontre avortée de Luanda, il y a quelques semaines.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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