L’annonce de la prolongation du mandat du président Ahmed Abdallah Sambi, a plongé les Comores dans une crise politique. Depuis le début de la semaine, la tension est palpable sur l’île de Mohéli qui réclame « la présidence tournante ». Selon certains observateurs, les investisseurs arabes, très présents sur l’archipel, soutiendraient Sambi dans sa volonté de conserver sa place.
Ahmed Abdallah Sambi s’accroche à son siège de président. Malgré les tensions qui secouent l’Union des Comores, il semble être indifférent aux cris de mécontentement des Mohéliens qui revendiquent la tête du pays en vertu de « la présidence tournante ». Depuis l’annonce de la prolongation de son mandat le 1er mars dernier, certains habitants de cette petite île revendiquent leur indépendance. La mise en place d’un gouvernement exclusivement mohélien est d’ailleurs à l’ordre du jour et des réunions s’enchainent depuis une semaine.
Face à cette fronde, Sambi reste inflexible. Pour El Amine Ali Mbaraka, le président de la coordination des jeunes patriotes mohéliens, si le chef d’Etat souhaite conserver le pouvoir à tout prix, c’est en raison de ses relations économiques avec les pays arabes. « Il a passé des accords avec des voyous, il est piégé et il se sent en danger. Il a permis à des investisseurs arabes d’exploiter les richesses des Comores, et maintenant il est pieds et poings liés. S’il s’en va, il devra leur rendre des comptes », fustige-t-il.
Les pays arabes au secours des Comores
Pour renflouer les caisses de l’Etat, le président Sambi a favorisé la venue des nouveaux investisseurs arabes aux Comores en délivrant la citoyenneté économique à 4000 apatrides koweïtiens, les bidouns (en arabe, « les étrangers). Un accès à la nationalité qui passe par la présentation d’ « un programme d’investissement aux Comores » des pays demandeurs et le versement pour chaque candidat de 200 euros, stipule le ministre Hamadi dans un article publié le 15 mars dernier du Monde. « Il a vendu la nationalité comorienne à des personnes, sans se soucier de ce qu’ils allaient faire aux Comores. Il doit en payer les frais », s’énerve El Amine Ali Mbaraka.
Depuis son élection, Sambi est en affaire avec les pays arabes qui jouent les « heureux » bienfaiteurs. Dernier en date, le Qatar qui a versé 20 millions d’euros pour payer 9 mois d’arriérés de salaires dans la fonction publique et organisé une conférence à Doha pour le financement d’une centaine de projets pour un total de 540 millions de dollars. « Ces pays agissent par solidarité musulmane avec cette République islamique mais aussi par intérêt diplomatique. Ils se substituent aux aides de la France, en restriction budgétaire, et du Fonds monétaire international (FMI) », explique Francis Soler, le rédacteur en chef de la lettre de l’océan indien. Si autant de pays arabes s’intéressent aux Comores c’est que son président Ahmed Abdallah Sambi est « conforme à leurs besoins sur la scène internationale ». « Il a fait des études de théologie dans la prestigieuse école de Hawzat Al Qaaim en Iran, il a eu des contacts avec de grands notables arabes », ajoute Ahmed Hassani, le journaliste du quotidien comorien Al-Watwan.
Ces pays ont su tirer profit de ce lien privilégié avec le président Comorien. Moyennant d’importantes sommes d’argent, ils ont pu étendre leur influence politique et militaire. Exemple, le 25 février 2008, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a signé plusieurs accords de coopération avec les Comores notamment militaire (fournitures de matériels logistiques et d’armes, formation et encadrement in situ…). La Libye lui a emboîté le pas en avril 2010, à l’approche de la fin du mandat de Sambi, pour assurer une « mission de formation» de l’armée comorienne. Elle s’est engagée à payer durant un an la solde des militaires. « Par ce biais, le président libyen Mouammar Kadhafi essaye de se faire un allié au cas où il serait une nouvelle fois président de l’Union africaine », analyse Francis Soler.
Mohéli : « le grenier » des Comores
La plupart des pays arabes préfèrent le statut de donateurs à celui d’investisseurs hormis « Comoro Gulf Holding » qui fait figure d’exception. Le groupe koweitien, qui détient une imprimerie, une agence publicitaire et deux journaux dans l’archipel, a ouvert en juillet dernier une banque commerciale à Moroni, en Grande Comore. Les bureaux de la banque ont été inaugurés en l’absence des représentants de la banque centrale qui a refusé de donner son agrément au nouvel établissement, faute de connaître l’origine des fonds. L’opposition soupçonne que l’argent de la banque ait servi à financer la campagne du président Sambi pour obtenir la prolongation de son mandat à la tête des Comores. Autre point obscur, les projets financés par les pays arabes n’aboutissent pas. « Sur la route, on croise les panneaux en construction. On attend et puis rien ne se passe », confie Amina Hassanaly, la présidente du gouvernement national en exil. Certains observateurs avancent que le président Ahmed Abdallah Sambi utiliserait l’argent versé par les pays arabes à des fins personnels (achat de maisons à Dubaï et de magasins à Madagascar).
L’Union des Comores est dépendante de ses importations. Si Mohéli, Anjouan et la Grande Comore sont connues pour leurs exportations d’essence comme l’ylang-ylang et le clou de girofle, la plus grande partie de la population est rurale (50,1% en 2004, selon la Banque mondiale) et vit de culture vivrière ou de la pêche. Le pays qui n’est pas autosuffisant alimentairement doit compter sur Mohéli souvent qualifiée de « grenier » des Comores. Elle exporte notamment du manioc et de la banane verte vers les autres îles. «Les Mohéliens produisent des excédents car ils sont peu nombreux. Résultat, les prix sont plus attractifs à Mohéli. Par exemple, le kilo de banane verte coûte un euro à Anjouan alors que dans cette île, il est à 40 centimes d’euros », explique Said Ali Bencheikh, le secrétaire général de la coordination des Comoriens en France. L’opposition fait planer la menace d’une sécession pour convaincre Sambi de quitter le pouvoir, rappelant que sans Mohéli, les conditions de vie des habitants pourraient empirer. Le pays fait partie des 50 pays les moins avancés du monde avec un PIB par habitant estimé en 2009 à 551 euros [[En France, le PIB par habitant est estimé en 2009 à 42 091 dollars]].
Critiqué par une partie de la population comorienne, prisonnier de ces relations avec les pays arabes, le président Sambi est dans une mauvaise posture. Il devra redoubler d’efforts pour légitimer la prolongation de son mandat.